Le gang de la souris verte

30 mars 2006, 8 h 15. Jean et son collègue Mathieu, tous deux convoyeurs de fonds chez Securitas, garent leur Renault Master banalisé devant l’agence Banque populaire de Villefontaine, près de Bourgoin-Jallieu. Pour cette mission, ils utilisent des mallettes spéciales qui aspergent les billets volés d’une encre indélébile si on tente de les ouvrir de force. Après avoir vérifié les abords de la banque, Jean récupère les mallettes à l’intérieur de la banque avant de rejoindre son fourgon. Mais quand il ouvre la porte du véhicule, il se retrouve nez à nez avec à un malfaiteur cagoulé qui a pris en otage son collègue. Le braqueur saute sur le trottoir pour forcer Jean à monter dans le fourgon. Mais il glisse, car il vient de pleuvoir ! Jean en profite pour s’échapper. Un second braqueur, déguisé en plombier, tente de le rattraper, en vain. Du coup, il saute dans le fourgon, qui part en trombe avec à son bord son collègue Mathieu. Le convoyeur fonce jusqu’à une boulangerie où il prévient les gendarmes. Dans les minutes qui suivent, le plan “Milan” est déclenché. Des dizaines de gendarmes sont mobilisés alors qu’un hélicoptère décolle de Lyon.

Rapidement, le Renault Master blanc est retrouvé abandonné dans une forêt, à Bonnefamille à 5 km de Villefontaine. Et Mathieu, le convoyeur de fonds qui a réussi à s’échapper, s’est réfugié dans une villa isolée dans les prés. Une patrouille de gendarmes appelée en renfort sur les lieux croise une Peugeot 807 rouge qui, à leur vue, fait demi-tour et accélère tout à coup. Ce qui leur semble suspect. S’en

Ancien militaire
Très vite, les braqueurs sont identifiés. Parmi eux : deux pointures en cavale. Le suicidé, c’est Laurent Cocogne, 38 ans. Né à Saint-Fons, il a mené selon sa famille une existence assez banale jusqu’au décès, en 1997, de son premier enfant atteint d’une grave maladie. Sa vie bascule alors. Employé jusque-là chez Yoplait à Vienne, il plonge dans la marginalité. Condamné pour trafic de drogue en 2001, il va disparaître alors qu’il est soupçonné de s’être reconverti dans les braquages. Le blessé au poignet, c’est Serge Quemin, le beau-frère de Cocogne, un autre récidiviste en cavale dont le parcours est assez classique : divorcé, il s’est retrouvé au chômage. Après avoir travaillé un peu au noir, il va tomber dans la marginalité. Le troisième, enfin, a un tout autre profil. Ancien militaire et père de deux enfants, Hervé Carlier vit à Paris, où il a été successivement installateur de cheminée, détective, puis consultant en sécurité notamment pour l’ex-président du Togo. Il était même un membre actif de Symbole et tradition, une association de passionnés d’insignes militaires. Condamné pour escroquerie et usurpation d’identité, il a déjà fait plusieurs mois de prison avant de se ranger, en apparence seulement. Un personnage haut en couleur qui a tenté de se reconvertir dans l’hôtellerie à Madagascar. Mais à court d’argent, il a rejoint le tandem Cocogne-Quemin dont il devient le chauffeur. Mais il aurait caché cette nouvelle vie à sa femme en expliquant assurer “des missions en province”. Avec l’aide ponctuelle de son fils Philippe chargé d’être “la sonnette”, c’est-à-dire le guetteur qui conduit la voiture ouvreuse au cours des braquages et qui donne l’alerte en cas d’intervention des forces de l’ordre.
Mais ce qui intriguera les gendarmes, c’est une étrange découverte dans le coffre de leur 807 : cinq bacs remplis d’huile où ils avaient plongé les mallettes de billets volés.
L’enquête est confiée à Annick Corrona, une juge d’instruction lyonnaise réputée pour sa ténacité et qui fait partie de la fameuse juridiction interrégionale mise en place pour démanteler les réseaux du grand banditisme.

Les enquêteurs s'intéressent d’abord au leader du groupe, Cocogne, qui menait une vie très discrète à Romans-sur-Isère, où il habitait une maison bourgeoise avec sa compagne et leur second enfant. Pour passer inaperçu, il payait tout en liquide. Du loyer de 900 euros aux factures EDF. Dans son bureau, des cartes routières où toutes les gendarmeries de la région étaient signalées. Au sous-sol, un stock d’armes impressionnant : flash-ball, pistolet-mitrailleur, fusils à canon sciés, revolvers... Sans oublier des faux papiers suisses et belges mais aussi des cartes de membre d’Interpol ! Les enquêteurs vont aussi tomber sur du matériel de signalisation routière qui leur servait visiblement à préparer leur mise en scène pour coincer des convoyeurs de fonds. Avec notamment plusieurs panneaux “Chantier mobile”.

Mas les gendarmes sont surtout surpris de retrouver là encore des mallettes sécurisées, cette fois vidées de leur contenu. Ce qui démontre que ce gang réutilisait les billets malgré l’encrage. Leur secret ? Les enquêteurs vont interroger longuement leurs proches et en particulier la compagne de Cocogne, qui tous certifient n’avoir jamais vu des billets tachés d’encre. Ce qui renforce leur curiosité.

Huile de tournesol
Un des complices va finalement avouer. Cette équipe avait mis au point un système assez ingénieux permettant de contourner le dispositif de sécurité qui neutralise les billets de banque en les aspergeant d’encre indélébile, si un braqueur tente de forcer les fameuses mallettes utilisées par les convoyeurs de fonds. Les fameuses Axytrans adoptées par l’ensemble de la profession.
En fait, le trio ouvrait à peine les mallettes avec une pince spéciale en évitant ainsi le déclenchement des jets d’encre. Puis ils plongeaient ensuite ces mallettes dans un bain d’huile pour bien imprégner les billets avant d’ouvrir les mallettes. Du coup, quand l’encre était projetée, elle ne pouvait plus tacher les billets déjà saturés d’huile. Les braqueurs lessivaient ensuite les billets à l’eau chaude pour les dégraisser. Avant de les faire sécher. Plus de 3 000 pinces à linges seront ainsi découvertes dans une de leur planque !
Une technique miracle qu’ils avaient surnommée avec humour “la souris verte” en référence à la chanson pour enfants : “Une souris verte qui courait dans l’herbe... Trempez-la dans l’huile, trempez-la dans l’eau, ça fera un escargot tout chaud.” Un escargot qui a permis à cette équipe de “sauver” leur butin.

Apparemment, c’est Cocogne, aussi habile dans les faux papiers que les braquages, qui aurait imaginé le dispositif alors que son complice fabriquait les outils nécessaires. Fier de cette invention, un des complices va même préciser aux enquêteurs qu’après plusieurs essais c’était l’huile de tournesol bon marché qui s’était avérée la plus efficace !
Une découverte qui sème aujourd’hui la panique dans les milieux bancaires. En effet, les fabricants des mallettes présentent toujours aujourd’hui leur système comme inviolable et ils refusent de croire qu’il a pu être déjoué. Mais si ces braqueurs ont vraiment trouvé une technique imparable. D’autant plus que la grande famille des braqueurs a bien compris aujourd’hui tout l’intérêt de cette technique qui risque de relancer les attaques de fourgons. D’autant plus que le gang de la souris verte a avoué que le braquage de Villefontaine qui leur a été fatal était en fait leur dernier coup. Car le chef de cette petite bande, Cocogne, avait décidé de prendre sa retraite à Madagascar. Avec un joli butin dont les enquêteurs ne savent toujours pas quel est le montant exact ni où il est caché.

Un Cocogne sûr de lui, qui affirmait à ses complices qu’il était “toujours revenu à la maison après les braquages” grâce à sa “préparation” mais aussi “sa méfiance”.
D’ailleurs, leur organisation était si bien rodée que pendant certaines périodes ils auraient enchaîné un braquage tous les quinze jours ! Alors qu’un complice de Cocogne affirme qu’il leur fallait plutôt deux mois de préparation. Ce qui leur aurait permis de réaliser plusieurs dizaines de braquages sans bavure. Et de récolter plusieurs millions d’euros. Mais officiellement on refuse de confirmer. Pour éviter de susciter des vocations.

© Lyon Mag, juillet 2006

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