La fin des bandits d'honneur : le jour où le fils d'Alain Mérieux a été kidnappé à Lyon

La fin des bandits d'honneur : le jour où le fils d'Alain Mérieux a été kidnappé à Lyon
Christophe Mérieux interviewé par la presse lors de son retour à la maison - DR

Dans les années 1970, il y avait deux types de truands à Lyon.

Les petits voyous qui agissaient pour leur propre compte, comme Guy Renaud qui avait braqué un casino et un Carrefour à la fin des années 60. Et puis les vrais gangsters, organisés, comme le gang des Lyonnais qui avait commis le fameux casse de la Poste de Strasbourg en 1971 et dont certains membres travaillaient pour le Sac, le service d'ordre des gaullistes.

La spécialité des truands lyonnais, en dehors des braquages, c'était le proxénétisme et le monde de la nuit, car ils achetaient souvent des restaurants et des boîtes de nuit. Mais ils ne touchaient ni à la drogue, ni au kidnapping.

Une règle d'or qui a été bafouée en 1975, avec l'enlèvement de Christophe Mérieux, la cible idéale à Lyon. Fils d'Alain Mérieux et de Chantal Berliet, il était l'héritier de deux empires colossaux et richissimes de l'agglomération lyonnaise.

Face à l'organisation de plus en plus efficace des policiers pour protéger les banques de braquages, le kidnapping devient pour certains un acte logique. Voire même politique. Depuis mai 68, faire payer les riches est considéré comme légitime. Et s'attaquer aux Mérieux, c'est s'attaquer au pouvoir.

Le mardi 9 décembre 1975, vers 8h du matin, Christophe Mérieux, qui a 9 ans à l'époque, se rend comme d'habitude à l'école de la Rédemption dans le 6e arrondissement de Lyon. Et après l'avoir accompagné pendant une partie du trajet, le majordome des Mérieux va le laisser parcourir seul les 500 derniers mètres qui le séparent de l'école de la rue Lieutenant Colonel Prévost. Et ce, à la demande du petit Christophe, qui ne voulait pas que ses copains le voient accompagné d'un domestique.

Marchant seul rue Jacquier, l'enfant est subitement saisi par un homme portant un casque de moto puis embarqué dans une camionnette où se trouve un complice. Un troisième individu, au volant du véhicule, démarre en trombe. Le plan avait été minutieusement préparé par les truands, qui avaient surveillé les allées et venues de la famille Mérieux pendant des semaines.

Quelques minutes plus tard, Chantal Mérieux reçoit un coup de téléphone d'un homme qui affirme que son fils a été enlevé. Il est demandé à la famille de ne pas prévenir la police, puis de préparer une rançon de 10 millions de francs, l'équivalent alors de 3 millions d'euros, composée également de devises étrangère comme des deutsche marks et des florins néerlandais.

Chantal Mérieux appelle immédiatement son mari qui était à Paris. Ce dernier redescend sur Lyon, tout en transgressant l'ordre des ravisseurs et en prévenant son ami, le commissaire Claude Bardon.

Un second coup de fil des ravisseurs est porteur d'une mauvaise nouvelle : la rançon est désormais deux fois plus importante puisque ce sont 20 millions de francs qui sont exigés aux Mérieux. La somme, la plus forte jamais réclamée en France pour un kidnapping, doit même être réunie sous 24 heures !

Alain Mérieux suit les instructions à la lettre

Très vite, le Premier ministre de l'époque est mis au courant de l'affaire. Jacques Chirac est un proche d'Alain Mérieux. Mais malgré les recommandations du ministre de l'Intérieur Michel Poniatowski, il n'arrivera pas à convaincre le père désemparé de ne pas céder aux injonctions des malfaiteurs.

Car Alain et Chantal Mérieux sont déterminés à revoir leur fils, et rassemblent la somme requise auprès de différentes banques.

Mercredi, le chef d'entreprise reçoit un nouvel appel des ravisseurs sur une ligne placée sous écoute. Il prend le volant de sa BMW et part leur livrer la rançon. Mais Alain Mérieux perd le contact avec eux sur le chemin, victime probablement d'un test de leur part pour s'assurer de sa fiabilité et de l'absence des forces de l'ordre.

Jeudi, Alain Mérieux n'a toujours aucune preuve que Christophe est toujours en vie. Un nouvel appel fixe un autre lieu de rendez-vous : une ferme à Saint-André-de-Corcy dans l'Ain.

Il s'y rend, et cette fois il est attendu. Menotté au volant de sa berline allemande, il laisse les ravisseurs s'emparer des sacs contenant les 20 millions de francs. Dans la précipitation, ils oublient un sac qui contenait un quart de la rançon...

"Ils ont voulu me donner l'apparence d'un commando politique. (...) A mon avis c'est du bidon", réagit Alain Mérieux après coup.

Les heures passent, les Mérieux craignent de ne jamais revoir Christophe car les malfaiteurs vont forcément se rendre compte qu'il manque de l'argent.

C'est vendredi soir qu'un dernier coup de fil salvateur apportera la bonne nouvelle : l'enfant de 9 ans a été libéré, abandonné dans une poubelle à côté d'un garage Volvo de l'avenue Jean-Jaurès dans le 7e arrondissement de Lyon.

Sauf qu'entretemps, Christophe Mérieux a réussi à se sortir de sa cachette où il était enfermé, a alpagué un chauffeur routier qui l'a ramené chez lui. Epuisé, notamment par les tranquilisants qui lui ont été administrés, il sonne à l'interphone, lâchant un laconique "C'est moi" à ses parents.

Pour remercier la presse d'avoir respecté l'embargo durant cette semaine chaotique, le couple Mérieux autorise plusieurs journalistes à interviewer le garçon, qui révèle avoir été bien traité, ses ravisseurs lui avaient donné des livres et le laissaient écouter la radio.

La traque difficile des bandits

Vient le temps de l'enquête pour retrouver la piste des malfaiteurs, qui sont repartis avec plusieurs millions de francs. La police judiciaire est sur leurs traces.

A partir des écoutes téléphoniques de leurs appels aux Mérieux, l'inspecteur Marcel Aillot reconnaît une voix. Il en est sûr, c'est Louis Guillaud qui parle ! Ce truand lyonnais, il l'a déjà interrogé dans le cadre d'une autre affaire.

Les policiers l'arrêtent donc en février 1976 à Paris, où il était en train d'échanger des billets de la rançon contre des lingots d'or.

Outre Louis Guillaud, les enquêteurs mettent la main sur sa femme Gilberte, son beau-frère et sa belle-soeur Albert et Denise Novel. Car chacun a touché de l'argent de la rançon des Mérieux.

Surnommé Loulou la Carpe, ce proche du gang des Lyonnais fait honneur à sa réputation et garde le silence. Il refuse de donner ses complices !

Le juge Jean Veyre, chargé du dossier, n'a qu'une seule piste à exploiter : un courrier anonyme évoque un appartement à Oullins qui aurait servi de repaire aux ravisseurs.

Sur place, les empreintes du petit Christophe Mérieux sont effectivement retrouvées, alors que l'enfant avait d'abord déclaré avoir été retenu dans "une maison avec une montagne et de la neige".

Les empreintes d'un autre voyou lyonnais, Jean-Pierre Marin, sont aussi découvertes. Un gros gros poisson, à l'époque soupçonné d'avoir assassiné le juge François Renaud.

L'individu fait l'objet d'une filature jusqu'à une maison de Champagne-au-mont-d'Or où il loge avec une amie. Mais son interpellation tourne mal le 9 mars 1976. Au volant de sa DS, il tente de fuir et il est abattu par les policiers.

Voilà le juge Jean Veyre bien avancé. Un suspect garde le silence et un autre a été réduit...définitivement au silence.

Leurs complices ne seront jamais retrouvés, pas plus que le reste de la rançon.

En décembre 1981, le procès aux assises de Lyon s'ouvre. Et sur le banc des accusés, Louis Guillaud écope de 20 ans de prison. Sa femme est condamnée à 2 ans, dont 16 mois avec sursis, tandis que son beau-frère et sa femme sont acquittés.

Christophe Mérieux a longtemps été traumatisé par ce rapt, ce qui ne l'empêcha pas de faire de brillantes études et d'être destiné à suivre une carrière tout aussi florissante, qu'un malaise cardiaque en 2006 brisera en plein vol.

Cet épisode marque un tournant à Lyon. Les bandits d'honneur, c'est fini.

Si les kidnappings sont trop compliqués à organiser et risqués car passibles de la peine de mort pour ses auteurs, les truands tombent dans le trafic de drogue, n'hésitent plus à tirer sur les policiers lors de leurs attaques à main armée. La page du milieu traditionnel est tournée.

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6 commentaires
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Coustard le 10/05/2024 à 10:34
bisounourssss a écrit le 08/05/2024 à 17h47

"braquages, milieu de la nuit (extorsion) et proxénétisme (traite humaine) donc ça c'était les gentils bandits d'honneur d'avant !

Ah le c était mieux avant... Quelle mystification, Même pour les truands,

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bisounourssss le 08/05/2024 à 17:47

"braquages, milieu de la nuit (extorsion) et proxénétisme (traite humaine) donc ça c'était les gentils bandits d'honneur d'avant !

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123456 le 08/05/2024 à 15:36

Parler de "bandits d'honneur" qui kidnappent des enfants, c'est un peu gros. Je relis "Colomba" pour ce qui est de la description d'un vrai bandit d'honneur.

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Salve regina le 08/05/2024 à 14:33
agent 212 a écrit le 08/05/2024 à 07h57

C’est dingue comme à l’époque, les enquêtes et les faits divers sont systématiquement passionnants. aujourd’hui, tout est aseptisé. Les policiers relèvent des empreintes, envoient au labo puis retournent cuver au commissariat

On parle de crimes ! Pas d'une serie TV policière.

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Jolie Môme le 08/05/2024 à 09:04
agent 212 a écrit le 08/05/2024 à 07h57

C’est dingue comme à l’époque, les enquêtes et les faits divers sont systématiquement passionnants. aujourd’hui, tout est aseptisé. Les policiers relèvent des empreintes, envoient au labo puis retournent cuver au commissariat

Agent 212 : commentaire d'un imbécile !
Navrant comme réflexion . J.M

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agent 212 le 08/05/2024 à 07:57

C’est dingue comme à l’époque, les enquêtes et les faits divers sont systématiquement passionnants. aujourd’hui, tout est aseptisé. Les policiers relèvent des empreintes, envoient au labo puis retournent cuver au commissariat

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