La Grande Rebeyne à Lyon : le soulèvement du peuple, la fuite des notables

La Grande Rebeyne à Lyon : le soulèvement du peuple, la fuite des notables
Bernard Salomon, Bergers regardant vers Fourvière à Lyon, 1547

Les Lyonnais se sont révoltés en avril 1529. Un soulèvement populaire resté dans l'histoire sous le nom de Grande Rebeyne (émeute en lyonnais ndlr). Un évènement qui va marquer profondément les esprits des notables.

A l'origine de cette Grande Rebeyne, il y a la mauvaise récolte de blé de l'année 1528 qui fait flamber les prix. Pour les Lyonnais les plus pauvres, incapables de s'acheter du blé, c'est la famine. C'est la goutte qui fait déborder le vase car il existait déjà un mécontentement profond dans les milieux populaires de Lyon.

Si Lyon a l'habitude de se faire entendre, la dernière révolte remontait à 1436.

Lyon est, en 1529, l'une des villes les plus importantes d'Europe. En croissance économique et démographique, elle compte 40 000 habitants.

C'est un carrefour commercial, avec quatre foires par an durant lesquelles viennent des marchands de tout le continent.

C'est un pôle intellectuel de l'Occident avec la présence de plusieurs personnalités comme Pierre Sala, Claude Bellièvre, le poète Clément Marot ou Rabelais qui exerce la médecine à l'Hôtel-Dieu.

La ville commence également à se développer autour de certaines activités comme la banque et l'imprimerie. Cette prospérité économique attire beaucoup de travailleurs des provinces environnantes qui viennent à Lyon pour trouver du travail. Mal intégrés dans la ville, ils prendront une part active à la Grande Rebeyne.

Pour le peuple, la vie quotidienne est dure. Il a le sentiment de ne pas profiter de la croissance locale. La société lyonnaise est composée de trois groupes.

En premier les notables avec les banquiers, les marchands, les hommes de loi et les intellectuels.

Le peuple avec les compagnons, les ouvriers, les domestiques et les mendiants.

Et puis, entre les deux, les maîtres de métier qui dirigent des ateliers. Ils jouent un rôle de tampon entre le peuple et les notables, et sont en quelque sorte les garants de l'ordre social.

Les notables occupent de belles demeures en Presqu'île, tandis que le peuple vit autour des Terreaux et sur la rive droite de la Saône, vers Saint-Paul, dans des conditions précaires.

Du côté du pouvoir en place, il est double avec l'archevêque François de Rohan et le Consulat, c'est-à-dire la municipalité composée de conseillers gérant la ville.

Le Pôvre entre en scène

Revenons à notre crise du blé. Le peuple lyonnais soupçonne les notables, donc le Consulat, d'avoir vidé les greniers pour vendre les réserves de blé au Piémont ou faire augmenter les prix et donc leurs bénéfices.

La tension s'accroît, d'autant que les impôts locaux sont lourds. Les ressources de Lyon étant peu importantes, le Consulat avait créé un impôt supplémentaire puisque François 1er avait exigé que la ville rénove ses remparts en mauvais état. Pour financer les travaux, les conseillers avaient décidé de taxer le vin. De quoi rajouter de la colère chez le peuple qui se retrouvait avec deux produits de consommation courante, le pain et le vin, hors de prix.

Le dimanche 18 avril, des placards, des affiches de petit format, lançant un appel à la révolte font leur apparition dans les rues de Lyon. Le jour n'est pas choisi au hasard car le dimanche, le peuple sort pour aller à la messe.

    « L’en fait assavoir à toutes gens de la commune de la ville de Lyon,

    Premièrement à tous ceux qui ont désir de soustenir le bien public, pour répugner la malice et fureurs des faux usuriers, plaise vous à avoir regard comme le détriment du blé nous tombe sus sans l’avoir mérité, à cause de leurs greniers pleins de blé, lesquels ils veulent vendre à leur dernier mot, ce que n’est de raison ;

    Et si Dieu n’y met la main, il faudra en jeter en l’eau tant y en a, et ainsi, vu la grâce Dieu et la bonne disposition du temps et qu’il ne se fait nuls amas de blé pour la guerre, et en outre que justice favorise avec gens gouverneurs et conseillers, usuriers et larrons, y mettre ordre ;

    Feignant user dignité, ils nous rongent de jour en jour, comme par vérité le voyez devant vos yeux advenir la cherté dudit blé et autres denrées, qui est chose vile et infâme ; par quoi à l’exemple des autres bonnes villes, que toute la commune soit délibérée y mettre bon ordre, telle que l’en fait au blé avant qu’on l’ôte de la paille, c’est qu’on le bat et escoux ;

    Il nous faut faire ainsi à ces maudits usuriers et à ceux qui ont greniers et enchérissent le blé. Sachez que nous sommes de quatre à cinq cents hommes, que nous sommes alliés ;

    Faisons savoir à tous les dessus-dits qu’ils aient à se trouver dimanche, après-midi, aux Cordeliers, pour donner conseil avec nous d’y mettre ordre et police, et ce sans faute, pour l’utilité et profit de pauvre commune de cette ville de Lyon et de moi.

    Le Pôvre. »

Qui lance cet appel ? Cela reste un mystère.

Les placards sont signés "Le Pôvre". Mais les historiens n'ont jamais su qui se cachait derrière ce surnom. Certains affirment que les confréries, ces associations à caractère religieux qui critiquaient le fonctionnement de l'Eglise, aient pu piloter cet appel. Cela repose sur les allusions à Dieu dans le texte des placards, mais peut-on dire pour autant que le Pôvre était proche de la contestation religieuse naissante en train de gagner Lyon ?

Ce qui est sûr, c'est que le peuple s'identifie au Pôvre.

La majorité des Lyonnais ne sait toutefois pas lire. A cette époque, seuls les ouvriers et les maîtres-imprimeurs n'étaient pas analphabètes. Ces derniers étaient toutefois nombreux rue Mercière. Et ils participèrent activement à l'explication du contenu des affiches au reste de la population.

Rapidement, l'appel du Pôvre provoque une prise de conscience. D'autant qu'il annonce que 500 hommes sont déjà prêts à se battre pour le peuple. De quoi pousser les plus indécis à passer à l'action.

La révolte est lancée

Et une semaine plus tard, le dimanche 25 avril, un millier de Lyonnais descendent dans les rues de la Presqu'île. La révolte va durer trois jours.

Les 25 et 26 avril, le peuple cherche le blé caché dans les rues étroites de Lyon. Il fouille le couvent des Cordeliers, pille ses greniers, puis il s'en prend aux maisons des notables. Cinq à six d'entre elles sont forcées et saccagées, mais point de blé. Parmi les maisons pillées, celle du médecin Symphorien Champier, située à l'angle de la rue Grenette et de la place des Cordeliers.

Difficile de savoir comment s'organise la Grande Rebeyne. Car le seul récit des évènements est celui de Symphorien Champier qui fuit Lyon lors du pillage de sa maison. Pour désigner les leaders de la révolte, il évoque "un boulanger" et "un manieur d'épée" dénommé Jean Musy.

Les notables sont pétrifiés par la peur. Outre Symphorien Champier, d'autres fuient comme le lieutenant du gouverneur de Lyon, Théodore Trivulce, qui quitte son hôtel du Grand Cheval Blanc près de la Grenette pour trouver refuge dans les couvents que le peuple n'ose pas attaquer.

Le 26 avril, le lieutenant du roi, Jean du Peyrat, ami des lettres et à la tête d'une belle bibliothèque, convoque le Consulat à l'archevêché de Lyon. Il oriente ensuite le peuple le 27 avril vers l'Ile Barbe où se trouvait le blé des greniers de l'abbaye et où avait lieu l'embarquement des grains sur la Saône. Un piège tendu puisque le départ des émeutiers de la Presqu'île permet aux pouvoirs publics de s'organiser et réagir.

Les émeutiers revenant bredouilles de leur expédition à l'Ile Barbe, la Grande Rebeyne s'éteint.

Le Consulat va réprimer l'émeute en faisant appel à des gentilshommes armés, en attendant l'arrivée des troupes royales. Une véritable chasse à l'homme est lancée, car on promet des primes pour toute arrestation de participant à la Grande Rebeyne.

Le sort qui attend les pilleurs est la pendaison. La peur de ce châtiment fait que début mai, une cinquantaine de personnes, hommes, femmes et enfants compris, vient restituer des biens pillés. Cela permettra de localiser le gros des émeutiers, au nord de Saint-Nizier.

Le 4 mai, 11 hommes sont pendus sans jugement sur les lieux de passage de Lyon : le pont de Saône et le pont du Rhône, afin que le spectacle du châtiment soit visible par tous. De nombreuses femmes sont ligotées et exposées sur la place publique, afin d'être raillées et humiliées. Parmi elles, Pernette Barbier, qui avait déclaré qu'il fallait "tuer ces gros larrons de la ville".

Les pendaisons se poursuivent ainsi jusqu'en août.

La Grande Rebeyne entraîne l'apparition des premières ouvres sociales car le Consulat a compris que le peuple peut facilement se révolter parce qu'il a faim. Il va donc créer une aumône générale, un système d'assistance aux pauvres financés par la ville.

C'est vraiment avec la Grande Rebeyne que les notables lyonnais prennent conscience que le peuple est incontrôlable et qu'il faut s'en méfier. Tandis que le peuple se rend compte qu'en descendant dans la rue, il dispose d'un formidable moyen d'expression et de pression sur le pouvoir.

La liste des révoltes qui suivront est longue. Mais il faut attendre 1786 pour assister à Lyon à une révolte aussi importante que la Grande Rebeyne. Les ouvriers de la soie se révoltent pour obtenir une augmentation du tarif de la pièce tissée auprès des marchands. Un évènement qui accentue les tensions sociales qui éclateront quelques années plus tard, à l'occasion d'une certaine Révolution de 1789...

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10 commentaires
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RAC le 05/08/2024 à 06:16

Ils avaient faim , ils ont réagi , ils ont fini pendu... comme d'hab.

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Allons, allons le 04/08/2024 à 22:21
pareil aujourd'hui a écrit le 03/08/2024 à 14h43

le soulèvement du peuple contre Macron et l'extrême droite dans le bassin lyonnais

Les dizaines de dernières manifestations étaient pour la Palestine.

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HISTOIRE ANCIENNE le 04/08/2024 à 11:59
Quinoa a écrit le 03/08/2024 à 15h49

Ce serait bien que les VRAIS lyonnais aient un sursaut d'orgueil et de bon sens et qu'ils virent Manu militari le grand pignouf de parigot ainsi que toute sa clique de bras cassés . Vive le RN.

Faut pas rêver, la population a été savamment abâtardie et les révoltes c'est de l'histoire ancienne .

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Bien écrite, la "lettre du Pôvre", quand même. le 04/08/2024 à 11:13

Même dans cet ancien français.

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ttKC69 le 04/08/2024 à 08:51

Merci pour cet article.
Ca change des des faits divers écrits uniquement pour alimenter les trolls d'extrême droite!

(Mais on les retrouve quand même ici)

Ce serait aussi bien que les auteurs de Lyonmag signent leurs articles!

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Tatin le 03/08/2024 à 17:52
Quinoa a écrit le 03/08/2024 à 15h49

Ce serait bien que les VRAIS lyonnais aient un sursaut d'orgueil et de bon sens et qu'ils virent Manu militari le grand pignouf de parigot ainsi que toute sa clique de bras cassés . Vive le RN.

Les vrais Lyonnais et les patriotes sont pour la démocratie et son respect, c'est bien là toute la différence avec les fascistes de LFI qui manipule les foules d'écervelées.

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Le martien le 03/08/2024 à 17:30

L'époque où l'homme faisait du feu 🔥 en frottant des cailloux (allumettes inventées il y a 170 ans ) et ou l'on utilisait aussi des peaux de bêtes au lieu de couvertures pour se protéger la nuit du froid. Nostalgie quand tu nous tiens.

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Alcofribas le 03/08/2024 à 16:42

Une erreur historique : 1786 n'est pas le seul évènement important, car une très grave émeute a eu lieu en août 1744, les ouvriers en soie s'étant rendus maîtres de la ville durant plusieurs jours et obtenu la révocation provisoire de l'édit les assujettissant aux marchands, suivie d'une seconde en 1745 durement réprimée par le comte de Lautrec.

Une lacune : c'est la crainte du peuple fort justement décrite qui a provoqué la création de l'Aumône générale, généralement célébrée comme manifestation de la générosité lyonnaise, alors que cette charité avait été fortement contrainte. Il avait en particulier fallu vaincre l'opposition du clergé.

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Quinoa le 03/08/2024 à 15:49
pareil aujourd'hui a écrit le 03/08/2024 à 14h43

le soulèvement du peuple contre Macron et l'extrême droite dans le bassin lyonnais

Ce serait bien que les VRAIS lyonnais aient un sursaut d'orgueil et de bon sens et qu'ils virent Manu militari le grand pignouf de parigot ainsi que toute sa clique de bras cassés . Vive le RN.

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pareil aujourd'hui le 03/08/2024 à 14:43

le soulèvement du peuple contre Macron et l'extrême droite dans le bassin lyonnais

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