Qui était Pierre Poivre, l'aventurier lyonnais des épices ?

Qui était Pierre Poivre, l'aventurier lyonnais des épices ?

Fils de commerçants lyonnais, Pierre Poivre a été un des grands explorateurs du XVIIIe siècle. Botaniste et naturaliste, il fut missionnaire au Tonkin, commerçant d'épices, intendant de l'Ile Maurice…

La famille de Pierre Poivre était installée à Lyon depuis la fin du XVe siècle. Ce sont des commerçants assez prospères, le père Hilaire Poivre tenait une mercerie en gros avec sa femme Marie Pompalier.

Le couple vit rue Grenette, où naîtra d'ailleurs Pierre Poivre le 23 août 1719.

Enfant, il est élevé chez les missionnaires de Saint-Joseph, rue du Garet, à côté du collège de la Trinité devenu aujourd'hui le lycée Ampère. S'il se révèle être un étudiant assez moyen, le jeune Pierre Poivre se passionne pour la botanique et l'histoire naturelle. Il peut passer des heures en observation dans le grand jardin des missionnaires sur la colline de la Croix-Rousse. Les témoignages de ses professeurs le fascinent, il rêve de grands voyages.

C'est donc logiquement qu'il termine ses études à Paris au séminaire des Missions étrangères où il apprend la théologie, l'histoire naturelle, les arts industriels et le dessin. A 21 ans, Pierre Poivre devient missionnaire sans avoir été ordonné prêtre et peut préparer sa première mission.

Ce voyage le conduira à Macao en Chine. A l'époque, Lyon avait déjà mis en place de vrais échanges commerciaux avec l'Asie où des comptoirs étaient ouverts, notamment pour le commerce de la soie.

Parti de Lorient à bord d'un bateau de commerce, le jeune missionnaire met six mois pour atteindre la Chine. Et arrivé à Macao, il est fait prisonnier à la suite d'un malentendu. Beaucoup auraient baissé les bras, mais Pierre Poivre redouble d'ingéniosité. Il apprend le chinois derrière les barreaux et parvient à convaincre le vice-roi de Canton de le libérer et même de lui accorder le droit de circuler librement dans toute la Chine et la Cochinchine…

Ordonné prêtre et nommé à la mission du Tonkin, il part pour le Vietnam après avoir attendu huit mois que la peste se calme, ainsi que les raids de bandes armées qui avaient décapité des missionnaires. Sur place, Pierre Poivre ne remplit pas son rôle de prêtre, il préfère s'informer sur le commerce local, l'agriculture, l'administration… Ce n'est pas la religion qui l'intéresse chez les missionnaires, mais le voyage, l'aventure, la découverte de nouveaux pays ! Ses supérieurs l'accusent alors de fréquenter des voyous et de se livrer à du trafic.

Quelques années passées au Tonkin le conduisent à vouloir revenir en France. Pierre Poivre ne sait toutefois pas que son pays est en guerre contre l'Angleterre. Au large de Sumatra, son bateau est attaqué par les Britanniques. Le prêtre tente de participer à la bataille navale armé d'un simple fusil. Mais un boulet anglais lui arrache le bras droit. Grièvement blessé, il est fait prisonnier.

Les Anglais emmènent Pierre Poivre à Batavia sur l'île de Java où il passe une première nuit sans être soignée. La gangrène se développe et le lendemain, il faut lui amputer l'avant-bras.

Cet épisode est une révélation : "Heureux malheur qui m'a ouvert les yeux, m'a convaincu de mon néant… J'avoue que jamais je n'ai connu Dieu si bon que lorsqu'il m'infligea". Pierre Poivre n'a que 26 ans, il est devenu manchot, renonce à être prêtre et se lance dans le commerce des épices.

Une nouvelle vie commence

A l'époque, les épices sont l'équivalent du pétrole d'aujourd'hui. Des empires se bâtissent alors sur leur commerce. En Europe, les épices étaient utilisées en médecine, en parfumerie et en cuisine. Et au début du XVIIIe siècle, ce sont les Hollandais qui exercent un véritable monopole sur ce marché lucratif.

Contrairement à ce qu'on pourrait penser, Pierre Poivre n'a pas donné son nom à l'épice éponyme. Le poivre était déjà connu à l'époque romaine. Mais il fera beaucoup pour le populariser en France.

A l'issue de sa captivité anglaise, le Lyonnais tente à nouveau de rentrer en France, non sans avoir patienté quatre mois en Malaisie après une tempête. Son bateau fera toutefois une escale déterminante pour son parcours. A l'Isle de France, actuelle île Maurice, Pierre Poivre découvre ce territoire français placé sous l'autorité du gouverneur général Mahé de la Bourdonnais.

Nous sommes en 1746 et l'ancien missionnaire a l'idée d'y implanter les fameux arbres à épices, alors exclusivement cultivés dans les îles Moluques, l'archipel indonésien détenu par les Hollandais.

Fasciné par la beauté de l'île où il passe trois mois, Poivre embarque ensuite avec Mahé de la Bourdonnais pour la France. Il semblait écrit que son retour sur sa terre natale serait parsemé d'embûches puisqu'il affronta à nouveau des tempêtes, des attaques de corsaires et un assaut des Anglais qui le captureront une nouvelle fois. Prisonnier à Guernesey, il est libéré en 1748 et pose enfin le pied sur le sol français le 2 juin après sept ans d'absence.

Pierre Poivre a 30 ans et n'a qu'une envie : concurrencer les Hollandais. Fort de ses observations en Asie et dans l'Océan Indien, le jeune homme présente ses projets aux dirigeants de la Compagnie française des Indes. Très enthousiastes, ces derniers le renvoient illico sur place.

La compagnie financière et commerciale fondée trente ans en arrière fait du commerce avec l'île Maurice et l'île Bourbon, (future île de la Réunion), et dispose de comptoirs en Inde à Pondichéry, Chandernagor et Mahé où sont organisés les commerces du papier, de la soie ou de la porcelaine.

De retour en Cochinchine, Pierre Poivre doit négocier avec des mandarins cupides. Ce n'est qu'en 1749 qu'il parvient à fonder un comptoir, tout en s'intéressant à l'élevage du ver à soie. Sa mission ne lui plaît guère, il ne fait que rêver de l'île Maurice et d'épices.

Durant cinq ans, le Lyonnais va multiplier les voyages entre l'île et Manille aux Philippines pour ramener des plants de muscadiers et de girofliers. Mais cela ne suffit pas, il doit s'aventurer sur le territoire interdit, chasse-gardée des Hollandais : les Moluques.

A bord d'une vieille frégate, Pierre Poivre s'embarque dans cette expédition périlleuse dans des mers inconnues et infestées de pirates. C'est un succès, il passe par les îles Célèbes, Amboine, Termate et Timor où il fait l'acquisition de toutes sortes d'arbres à épices.

En 1755, lorsqu'il revient à Maurice, sa cargaison est un trésor inespéré : 3000 noix de muscade, de nombreux plants de différentes espèces. De quoi lancer une plantation capable un jour de rivaliser avec celles des Hollandais.

Mais le nouveau gouverneur de l'Isle de France, René Magon, bloque son projet. Ce qui oblige Pierre Poivre à retourner en France pour demander des comptes à la Compagnie française des Indes.

Pour la troisième fois de sa vie, le Lyonnais est fait prisonnier par les Anglais sur le chemin. Interné à Cork en Irlande, il profite d'une trêve durant la guerre de Sept ans pour quitter sa cellule après quatre mois d'emprisonnement.

Interlude lyonnais de courte durée

Considéré comme un véritable savant à seulement 37 ans, Pierre Poivre fut le correspondant du physicien René-Antoine Ferchault de Réaumur, puis du botaniste lyonnais Antoine Jussieu.

En 1759, il devient membre de l'Académie de Lyon où il donne des conférences sur l'élevage des vers à soie, sur la culture des girofliers… Ses mérites sont reconnus jusqu'au plus haut niveau de l'Etat, et le roi Louis XV le fait chevalier. Henri Bertin, l'ancien intendant de Lyon devenu contrôleur général des finances, lui obtient également une gratification de 20 000 livres.

Pierre Poivre restera 10 ans à Lyon. Il habite d'abord rue des Quatre Chapeaux dans la maison d'un ami de la famille, François Robin. Puis il achète le superbe domaine de la Freta à Saint-Romain-au-mont-d'or où il réalise d'importants travaux avec l'installation d'un bassin, d'une grotte, de statues et bien sûr d'un jardin de plantes rares.

Il se marie à Pommiers avec la nièce de son ami, Françoise Robin. Elle n'a que 17 ans, lui 47.

Mais l'appel du large est fort. En 1764, la Compagnie française des Indes fait faillite et ses différentes possessions sont alors directement placées sous l'autorité du roi, notamment l'île Maurice. Un nouveau gouverneur, Jean-Daniel Dumas, est nommé par Louis XV. Et pour devenir son intendant, le ministre des Finances Bertin souffle le nom de Pierre Poivre.

C'est ainsi qu'il embarque avec son épouse pour l'Océan Indien dans la peau d'un représentant du roi de France, et non plus comme simple aventurier intrépide. Intendant de Maurice et de la Réunion, il a de grands projets en tête.

Il aura du mal à les mettre rapidement en place car il ne s'entend pas avec le gouverneur. Jean-Daniel Dumas est un militaire autoritaire, qui n'a aucune vision pour les îles dont il a la charge. Rappelé en France, il est remplacé par François-Julien du Dresnay, le chevalier des Roches.

Et ça ne va toujours pas mieux avec ce dernier, qui se révèle être un gouverneur très dépensier, contractant des prêts insensés, distribuant des concessions…

Pierre Poivre se décide à lancer son projet seul. Il cultive des goyaviers, manguiers, tamarins, lichees, lilas de Perse, hibiscus… Fin négociateur, il organise trois grandes expéditions vers l'archipel des Moluques pour ramener des cargaisons de muscadiers et girofliers.

A l'île Maurice, le Lyonnais ne se contente pas de cultiver des épices et d'en organiser le commerce. Bâtisseur dans l'âme, il aménage la capitale Port Louis, fait construire des digues, dynamise l'agriculture, achète du riz à Madagascar et des animaux domestiques en Afrique.

Au centre de l'île, à Monplaisir, il vit dans un très beau domaine avec un superbe jardin regroupant plus de 600 espèces de plantes rares. Le fameux jardin des Pamplemousses existe encore aujourd'hui et reste une référence pour les botanistes.

En 1772, à force d'habileté et d'acharnement, Pierre Poivre casse enfin le monopole hollandais. Considérant sa mission achevée, il écrit au ministre des Colonies, le duc Praslin : "Permettez-moi de retourner en France, je suis désormais inutile ici".

Fin de vie d'un Lyonnais des Lumières

Les Poivre reviennent en France début 1773 (sans se faire capturer par les Anglais !). Pierre Poivre a 53 ans, et le baron de Turgot, ministre de Louis XVI, lui obtient une très honorable pension pour grands services rendus à la couronne.

De retour dans son domaine de Saint-Romain-au-mont-d'Or avec son épouse et leurs trois filles, il reçoit de nombreux savants. Mais aussi Jean-Jacques Rousseau qui séjournera à la Freta durant tout un printemps.

Ses fidèles relais à Paris, Bertin et Turgot, lui proposent de prendre la tête du Consulat de Lyon, l'équivalent de la mairie actuelle. Les versions diffèrent sur les raisons qui ont conduit Pierre Poivre à ne pas se lancer en politique. Certains disent qu'il a refusé car il souffrait de fièvres, d'autres rappellent qu'il n'était pas négociant contrairement à ses parents, donc impossible de devenir prévôt.

Il meurt le 6 janvier 1786 à l'âge de 67 ans dans l'appartement qu'il louait l'hiver place Bellecour.

Sa veuve refait alors sa vie. Son époux Pierre Samuel du Pont de Nemours l'emmène à Philadelphie aux Etats-Unis où ils fondent une poudrerie qui permettra de bâtir une fortune colossale. Aujourd'hui, les Du Pont font partie des familles les plus riches d'Amérique, avec 18,1 milliards de dollars.

L'aînée du couple Poivre, Marie-Antoinette, s'est mariée avec un ami du marquis de La Fayette, Jean-Xavier Bureau de Pusy, qui deviendra préfet de Lyon sous l'Empire.

La célèbre famille Pérouse à Lyon descend directement de Pierre Poivre.

S'il a une petite rue à son nom dans le 1er arrondissement de Lyon, c'est surtout à l'étranger que Pierre Poivre est connu et célébré pour ce qu'il fut : un explorateur tenace, grand intellectuel du siècle des Lumières. Un lycée porte son nom à la Réunion, et son buste trône à l'entrée du jardin des Pamplemousses à Maurice.

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Pierre Poivre

9 commentaires
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👍 le 17/09/2024 à 05:13

Bravo et merci à l’auteur, ou aux auteurs, hommes ou femmes, de ces articles historiques.

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DMPP le 16/09/2024 à 21:29

Cousin de ducros?,habite un moulin?....non,non,j'en ai pas un grain.

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merci le 16/09/2024 à 18:07

article très intéressant ; quelle destin pour cet aventurier hors du commun

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une petite question le 16/09/2024 à 13:26

Ce n'était pas l'ancètre à Poivre d'Arvor ? ?

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DMPP le 16/09/2024 à 07:40

Cette histoire ne manque pas de sel,bien défférente que celle de poivre d'arvor....

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AAAAAAA..........TCHOUMM!! le 16/09/2024 à 06:26

à vos zouhaits!!....BERCI......SNIFF

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le biggeur le 16/09/2024 à 06:23

IL PORTE BIEN SON NOM!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

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Tatin le 15/09/2024 à 19:38
Alcofribas a écrit le 15/09/2024 à 18h27

C'est de l'excellente, vulgarisation, sérieuse et documentée. (pourquoi ne pas donner des références, pour les lecteurs intéressés ?)
Il faut néanmoins déplorer l'emploi systématique du présent dit narratif, qui révèle l'abandon du temps consacré au récit, le passé simple, avec toutes les nuances que permettent dans l'échelle des temps et des actions l'imparfait, le plus que parfait et le passé composé. Quant à l'emploi du futur simple à propos d'une action passée, il est illégitime.
Je pense ici aux jeunes en situation d'apprentissage du Français. Ils ne trouveront pas ici de quoi améliorer leur style.
Même quand elle n'est pas infectée de pseudo-termes d'américanisme, notre belle langue s'appauvrit de jour en jour. À quand une nouvelle chronique rédigée… à l'ancienne ?

De la contrainte rigoureuse,
Où l'esprit semble resserré,
Il acquiert cette force heureuse
Qui l'élève au plus haut degré ;
Telle, dans des canaux pressée,
Avec plus de force élancée,
L'onde s'élève dans les airs ;
Et la règle qui semble austère
N'est qu'un art plus certain de plaire,
Inséparable des beaux vers.
(Jean François Leriget de la Faye né à Vienne (Isère) en 1674 et mort à Paris le 11 juillet 1731, qui fut administrateur de la Compagnie des Indes et sociétaire de l'Académie Française en 1730).

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Alcofribas le 15/09/2024 à 18:27

C'est de l'excellente, vulgarisation, sérieuse et documentée. (pourquoi ne pas donner des références, pour les lecteurs intéressés ?)
Il faut néanmoins déplorer l'emploi systématique du présent dit narratif, qui révèle l'abandon du temps consacré au récit, le passé simple, avec toutes les nuances que permettent dans l'échelle des temps et des actions l'imparfait, le plus que parfait et le passé composé. Quant à l'emploi du futur simple à propos d'une action passée, il est illégitime.
Je pense ici aux jeunes en situation d'apprentissage du Français. Ils ne trouveront pas ici de quoi améliorer leur style.
Même quand elle n'est pas infectée de pseudo-termes d'américanisme, notre belle langue s'appauvrit de jour en jour. À quand une nouvelle chronique rédigée… à l'ancienne ?

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