Qui était Tony Garnier, l'architecte lyonnais engagé ?

Qui était Tony Garnier, l'architecte lyonnais engagé ?
Tony Garnier - DR

Fils d'un dessinateur lyonnais, Tony Garnier a été l'architecte de la Ville de Lyon pendant 30 ans. Alors que le style classique dominait encore, ce bâtisseur a urbanisé la ville en construisant de nombreux logements fonctionner pour loger les plus défavorisés. Son style robuste et dépouillé colle au matériau qu'il utilise : le béton armé. Engagé voire utopiste, il est encore aujourd'hui une référence.

Tony Garnier est né à la Croix-Rousse le 13 août 1869 au 17 rue Rivet. Ses parents sont d'origine assez modeste, puisque son père Pierre Garnier est dessinateur et sa mère Anne Evrard est tisseuse dans un atelier de soierie du quartier.

Il est envoyé à l'école primaire alors que ce n'était pas obligatoire à l'époque. Puis à 14 ans, Tony Garnier entre à l'école technique de la Martinière où il remporte tous les prix de dessin. Logiquement, il intègre ensuite l'école des Beaux-Arts de Lyon en 1886, alors installée dans les locaux de l'actuel musée des Beaux-Arts place des Terreaux. Malgré des qualités exceptionnelles en dessin et en peinture, le jeune homme préfère suivre les cours d'architecture.

Les grands bâtisseurs comme Soufflot, Morand, Perrache, Vaïsse ou Gailletton ont toujours joué un rôle majeur dans l'histoire de Lyon. Et Tony Garnier veut s'inscrire dans cette lignée prestigieuse. Excellent étudiant, il obtient une bourse pour poursuivre sa formation aux Beaux-Arts de Paris.

Un exil dans la capitale déterminant pour la suite de sa carrière. Car les 10 ans passés à Paris influencent profondément son style.

Dès son arrivée en 1889, année de la grande exposition universelle, Tony Garnier est fasciné par la Tour Eiffel, construite pour l'occasion. Il découvre alors les dernières innovations techniques, notamment l'utilisation de la fonte et de l'acier.

Deux de ses professeurs aux Beaux-Arts vont aussi l'inspirer et lui faire prendre conscience du rôle social de l'architecture. Jules Guadet a construit l'université de Berkeley aux Etats-Unis et le premier hôpital pavillonnaire au monde, celui de Budapest en Hongrie. Et Paul Blondel a conçu les premières cités ouvrières.

Dès le départ, le Lyonnais est un architecte engagé qui veut améliorer les conditions de vie des ouvriers de plus en plus nombreux à vivre dans les cités industrielles comme Givors, Saint-Etienne, Rive-de-Gier, Saint-Chamond… Admirateur d'Emile Zola, il est rapidement surnommé le Jaurès de l'architecture.

A seulement 30 ans, il devient pensionnaire de la Villa Médicis à Rome après avoir remporté le grand prix de Rome, la distinction la plus importante pour un architecte, grâce à un projet de siège central d'une banque d'Etat.

Mais son séjour en Italie ne se passe pas très bien car la Villa Médicis oblige ses pensionnaires à travailler en priorité sur des reconstitutions d'édifices antiques.

Un projet d'utopie

Estimant que "les exigences sociales demandent d'autres études", Tony Garnier commence à écrire "La Cité Industrielle", qui sera la bible de l'urbanisme au début du XXe siècle.

Sa Cité industrielle, il la conçoit comme une cité ouvrière avec une Maison des syndicats, une Bourse du travail, un Hôtel des Invalides. Pour lui, l'essentiel est d'assurer les meilleures conditions de vie possibles aux travailleurs. La ville est imaginée comme un immense parc où l'on circule librement et où toutes les habitations sont surmontées d'un toit-terrasse.

Il veut aussi favoriser l'instruction du peuple et imagine beaucoup d'écoles, de musées, de bibliothèques, des stades, des piscines et gymnases. Par contre, il ne prévoit aucune église, ni prison ou caserne. Car Tony Garnier pense que si le peuple est instruit, il est heureux. Et qu'il y aura automatiquement moins de vols et d'agressions.

Obsédé par l'utilité, l'architecte supprime tout élément de décoration sur les façades de sa Cité pour conserver uniquement le côté fonctionnel des bâtiments : l'hygiène, l'aération, l'ensoleillement… Il répétait souvent à ses collaborateurs : "Et ça, à quoi ça sert ? A rien ? Alors il faut le supprimer".

Tony Garnier revient à Lyon en 1905, à la demande du maire Victor Augagneur. L'édile socialiste lui fait construire une laiterie municipale au parc de la Tête d'Or. Conquis par le bâtiment massif et robuste, Augagneur recommande logiquement l'architecte à son successeur, Edouard Herriot.

Avec ce dernier, c'est une véritable complicité qui va s'installer. Le nouveau maire de Lyon s'emballe pour la Cité industrielle de Tony Garnier, qui deviendra en quelque sorte l'architecte officiel de la Ville de Lyon pendant 30 ans.

Un duo prolifique qui fait entrer Lyon dans le XXe siècle

L'agglomération lyonnaise est en plein essor. Outre la soierie, de nouvelles activités se développent comme l'automobile, l'aviation et le cinéma. Ce qui exige la construction de structures plus grandes et fonctionnelles pour la population qui augmente.

Les réalisations de Tony Garnier sont très connues. A commencer par les abattoirs de la Mouche à Gerland, qu'il fait construire en 1908. Son marché aux bestiaux abrité sous une grande halle en acier représente un véritable exploit technique : la charpente métallique ne dispose d'aucun pilier de soutènement. Le site est devenu aujourd'hui une salle de spectacles, la Halle Tony-Garnier.

Pour soulager l'Hôtel-Dieu et la Charité, saturés, Edouard Herriot lui demande en 1909 de construire un nouvel hôpital à Grange-Blanche où il a mis à disposition un vaste terrain à la limite de Bron. Dans les pas de son professeur, Tony Garnier opte pour le modèle pavillonnaire, avec des bâtiments séparés, reliés entre eux par des souterrains et affectés à différentes spécialités : médecine, chirurgie, enfants… Le célèbre hôpital Edouard-Herriot !

Puis en 1914, nouvelle commande du maire de Lyon : il faut organiser l'exposition universelle, et en faire la vitrine de l'urbanisme moderne. L'exposition est un succès et le 42e congrès des architectes français est l'occasion de visiter les abattoirs de la Mouche que vient d'achever Tony Garnier.

Mais en août, la Première Guerre mondiale éclate et l'exposition est brutalement interrompue. Les abattoirs sont transformés en dépôts de munitions et Tony Garnier, trop âgé pour aller au front à 45 ans, suit le conflit à distance.

Petit homme alerte et souriant, il porte la moustache et a toujours une cigarette à la bouche, ainsi que son éternel chapeau mou. Réservé, presque timide, il sort peu et fuit les mondanités. Tony Garnier vit avec sa femme à Saint-Rambert-l'île-Barbe, qui ne sera annexée à Lyon qu'en 1963, dans une maison construite par ses soins.

Après la guerre, il se lance dans la construction d'un stade olympique capable d'accueillir jusqu'à 30 000 spectateurs. Conçu à la manière antique, avec des gradins en plein air, le stade de Gerland est l'un des chefs d'oeuvre de l'architecture en béton armé. Aujourd'hui, il n'en reste plus que les quatre entrées monumentales classées monuments historiques. Le reste du stade a été refait.

Si Edouard Herriot lui fait une confiance presque aveugle, cela ne veut pas dire que tous les grands projets de Tony Garnier aboutissent.

Ainsi, en 1919, alors que le maire réclame la construction d'un monument aux morts pour honorer ceux tombés durant le conflit mondial, l'architecte propose d'ériger un immense temple inspiré du Parthénon d'Athènes à l'emplacement actuel du Gros Caillou sur l'esplanade de la Croix-Rousse. Et même de prolonger la rue de la République jusqu'à ce monument ! Un chantier colossal qui fut jugé trop cher et trop grandiose par les conseillers municipaux lyonnais.

Tony Garnier ne se laisse pas abattre et se replie sur l'île aux Cygnes au parc de la Tête d'Or, où verra le jour son monument sur lequel seront inscrits les 10 000 noms des victimes lyonnaise de la guerre.

Les Etats-Unis, le rêve brisé

Le temps passe et les beaux projets se poursuivent. Toutefois, la Cité industrielle est restée dans les cartons. Ce n'est qu'en 1921 qu'Edouard Herriot le sollicite pour enfin appliquer ses préceptes. Le maire veut créer un important quartier entre l'avenue Berthelot et Vénissieux : le quartier des Etats-Unis.

Edouard Herriot réclame des habitations à bon marché. Ce sont donc 1500 logements qui sont programmés, avec des magasins, une école, une bibliothèque, un stade… Au départ, ce devait être une véritable cité autonome avec des immeubles ne dépassant pas les trois étages. Mais la crise de 1929 poussa le duo à réviser le projet à la baisse. Un certain nombre d'équipements collectifs sont supprimés, les espaces verts sont réduits et les immeubles passent à cinq étages.

Tony Garnier maudit cette crise qui saccage sa Cité idéale, et l'empêche également de réaliser la transformation de l'Hôtel-Dieu en Poste centrale, ainsi que la construction de la Bourse du Travail place Jean Macé.

Ses derniers chantiers seront plus modestes : le Central téléphonique Vaudrey près de l'avenue de Saxe et l'Ecole de tissage de la Croix-Rousse, devenue le lycée Diderot.

A part l'Hôtel de Ville de Boulogne-Billancourt, Tony Garnier ne se consacra qu'à sa ville de Lyon.

A sa retraite en 1939, il vend sa maison de Saint-Rambert et se retire à Bédoule près de Marseille. Se repliant sur lui-même, il meurt le 19 janvier 1948. Son corps a été inhumé dans le tombeau familial qu'il avait fait construire au cimetière de la Croix-Rousse.

Professeur à l'école d'architecture de Lyon pendant 30 ans, il a formé de nombreux élèves fidèles. Comme Michel Roux-Spitz, qui a construit la grande Poste de la place Antonin-Poncet, et Louis Weckerlin, auteur de la Maison du Peuple de Vénissieux.

Sa renommée est mondiale et il reste une référence. Le Corbusier en personne admettra le rôle majeur de Tony Garnier sur la dimension sociale de l'architecture, et reconnaitra qu'il a été le premier à utiliser le béton armé, considéré jusque là comme un matériau pauvre.

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3 commentaires
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Grand gognand le 13/10/2024 à 14:39

Très intéressant car si on connaît ses principales constructions lyonnaises on connaît mal l'histoire de cet architecte renommé...
Bravo,,!

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Alcofribas le 13/10/2024 à 14:19

Un bon article, bien documenté, malgré quelques scories ("urbaniser la ville", revient à "mouiller de l'eau") .
J'abonde dans son sens : de Sydney à Montréal et de Rio de Janeiro à Budapest, la renommée de Garnier est établie, et être identifié comme lyonnais revient, dans les milieux de spécialistes, à être interrogé à son sujet. Mais nul n'est prophète en son pays, c'est connu…

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l'oeil le 13/10/2024 à 13:36

Merci pour ce récit 👍

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