Qui était Edmond Locard, le pionnier lyonnais de la criminologie ?

Qui était Edmond Locard, le pionnier lyonnais de la criminologie ?
Edmond Locard, entouré de son équipe du laboratoire de police - DR Archives municipales de Lyon

Né dans une famille de bourgeois riches et cultivés, Edmond Locard est l'un des pères de la criminologie. Médecin et grand admirateur de Sherlock Holmes, il a été un des premiers à mettre la science au service de la justice. Son rôle fut clé dans le développement de la police judiciaire.

Les Locard sont une famille d'origine écossaise installée dans la région stéphanoise au XIXe siècle. Des bourgeois riches et cultivés. Ainsi, les ancêtres de la mère d'Edmond Locard, Marie-Gibert de Sennevières, ont fait fortune dans la papeterie. Et le père, Arnould Locard, est ingénieur des mines. Savant, il est passionné de sciences naturelles et de géologie.

A Saint-Chamond où la famille est installée, le train de vie est assez conséquent. Edmond Locard nait le 13 décembre 1877. Mais quelques mois après cette naissance, les Locard déménagent à Allevard en Isère. Dans cette station thermale fréquentée par les célébrités de l'époque comme les frères Lumière, Hector Berlioz ou le photographe Nadar, ils retrouvent leur cousin Bernard Niepce, lui-même neveu du célèbre inventeur de la photographie.

Ce n'est qu'en 1880, à la naissance de leur fille Marguerite, que les Locard s'établissent à Lyon, dans un grand et bel appartement du quai de la Charité, devenu aujourd'hui le quai Gailleton.

Edmond Locard est un élève très doué, notamment en latin, grec et en langues vivantes. Il fait d'abord ses études primaires dans un cours privé chez les demoiselles de Blanchoux puis devient interne au collège Saint-Thomas d'Aquin à Oullins chez les pères dominicains. Il passe deux bacs lettres et sciences, puis entre à la faculté de médecine. Nous sommes en 1894 et il a alors 17 ans.

Sur les quais du Rhône, la fac de médecine de Lyon, fondée 20 ans plus tôt, est en plein essor. Les enseignants sont de jeunes professeurs qui acquièrent rapidement une renommée internationale, à l'instar de Léopold Ollier, brillant chirurgien orthopédiste. Edmond Locard et lui deviennent très proches, l'étudiant peut ainsi suivre partout son professeur, notamment lors des congrès à l'étranger.

Mais Léopold Ollier meurt brutalement le 25 novembre 1900, obligeant Edmond Locard à trouver un nouveau professeur. Il se tourne alors vers Alexandre Lacassagne, grand spécialiste de médecine légale.

Disciple d'Alphonse Bertillon, chef du service de l'identité judiciaire à la préfecture de police de Paris, Lacassagne est à l'origine de la technique des empreintes digitales. A Lyon, il a fondé la première chaire de médecine légale.

Avec ses élèves de la faculté de médecine, il réalise chaque année une centaine d'autopsies publiques pour leur apprendre à identifier la nature des décès et à rédiger des rapports médico-légaux. Pour Alexandre Lacassagne, les expertises scientifiques permettent de limiter le nombre d'erreurs judiciaires. Comme ce fut le cas avec le capitaine Dreyfus, innocenté suite à une analyse graphologique.

Pendant 10 ans, Locard et Lacassagne mènent des recherches dans le laboratoire de ce dernier. Bras droit de son professeur, il passe sa thèse sur la médecine légale au XVIIe siècle en 1902.

L'inspiration dans les romans de Sherlock Holmes

Edmond Locard fait de nombreux stages, notamment au service de l'identité judiciaire de la préfecture de police. Ou à l'étranger puisqu'il parlait parfaitement anglais, espagnol et allemand. Ce qui lui permet de découvrir les méthodes de Berlin, Liège, Dresde, Rome, Lausanne ou encore Turin où il travaille avec Cesare Lombroso, qui considérait qu'on pouvait démasquer un criminel grâce à son visage.

C'est le professeur Reiss, rencontré à Lausanne, qu'il admirait le plus. Edmond Locard voyait en lui la "vivante incarnation de Sherlock Holmes, mettant au service d'une subtilité incomparable une science capable d'éliminer tout risque d'erreur dans la solution des problèmes judiciaires".

Le Lyonnais apprécie les romans de Conan Doyle, avec qui il échange une correspondance suivie. Dans sa première lettre au Britannique en 1927, il écrit : "C'est sous votre influence que j'ai entrepris mes premières recherches et que j'ai choisi mon métier. J'ai emprunté à vos livres plus d'une idée. En particulier l'analyse des poussières, qui est un des points que l'on a le plus travaillé au laboratoire de Lyon, j'en ai pris l'idée dans votre Sherlock Holmes. D'ailleurs, toutes les fois que des jeunes gens me demandent conseil sur les lectures à faire pour se préparer à l'enquête criminelle, je leur indique toujours Sherlock Holmes, avant même Reiss, Lacassagne ou Gross !"

Un petit bureau miteux un jour visité par le FBI

Après ses études, Edmond Locard se met au service de la police. Le commissaire Cacaud, secrétaire général de la police lyonnaise, lui réserve un vieux local poussiéreux dans les combles du Palais de justice de Lyon et lui adjoint deux assistants. En janvier 1910, le laboratoire de police de Lyon est inauguré sous le nom de service anthropométrique.

La même année, à l'âge de 33 ans, il se marie avec une de ses jeunes cousines, Lucie Soulier, fille d'un agent de change. Le couple s'installe à Caluire où il achète une maison avenue des Cottages. Ils auront un fils, Jacques, qui sera chimiste et travaillera avec son père, ainsi qu'une fille, Denise.

Quelques mois après la création du laboratoire de police, le Dr Locard s'illustre dans l'affaire de la rue Ravat dans le 2e arrondissement. La veuve André avait été victime d'un cambriolage. Et grâce à des relevés d'empreintes digitales, il permet à la police de confondre les deux cambrioleurs, condamnés ensuite à 5 et 6 ans de prison.

C'est alors la première fois en France que la justice condamne un accusé avec pour unique preuve le rapport d'expertise. De quoi faire jurisprudence, car les juges considèreront alors que les empreintes digitales constituent une preuve suffisante pour envoyer un suspect derrière les barreaux.

Edmond Locard ne s'en tient pas qu'aux empreintes. Dans son laboratoire, il ouvre un département de biologie, de toxicologie, de balistique ou encore de photographie. Pour identifier les criminels, son équipe étudie les poussières organiques, les poils, les cheveux, la barbe… mais aussi les empreintes de vêtements, de chaussures ou même de dents. En 1910, il confond ainsi un cambrioleur qui avait dévalisé une pâtisserie et fait l'erreur jusqu'alors bégnine de mordre dans une tartelette avant de prendre la fuite.

Le laboratoire constitue des archives colossales pour l'époque, avec plus de 55 000 fiches de délinquants comportant leurs renseignements, photos et empreintes digitales. Edmond Locard écrit tout, n'oublie aucun détail, archive chaque document…

S'inspirant du système de l'abbé Michon en matière de graphologie, il est un précurseur dans son utilisation de façon scientifique pour établir si une écriture a été imitée ou déguisée. De 1910 à 1914, il élabore sa propre méthode en comparant les écritures, les espaces entre les lettres, les boucles de certaines lettres, la forme des majuscules… La technique sera toutefois contestée, malgré quelques résultats probants.

Malgré son apport aux enquêtes et sa renommée, Edmond Locard n'a jamais touché ni salaire, ni retraite pour son travail au laboratoire de police. Il vivait de subventions accordées par la Ville de Lyon, d'expertises privées et surtout de sa fortune personnelle issue de son héritage familial.

Considéré au départ comme un marginal, ses réussites ont finalement convaincu l'administration de lui accorder des moyens et du crédit. A partir de 1924, il reçoit de l'argent de la Chambre de commerce, ce qui lui permet d'agrandir et de mieux équiper son laboratoire.
Plusieurs fonctionnaires sont aussi mis à la disposition du Dr Locard par le commissariat de la sûreté du Rhône.

Ce qui fait qu'à la fin des années 30, son laboratoire est un modèle du genre, visité par les plus grands policiers de la planète, notamment le chef du FBI.

Un touche-à-tout

A cette période, Edmond Locard accueille un stagiaire qui deviendra célèbre : Frédéric Dard, l'écrivain lyonnais. D'ailleurs, la plupart des auteurs de romans policiers le consultent et lui soumettent leurs manuscrits. Comme Pierre Very et "L'assassinat du Père Noël" ou Pierre Boileau et Narcejac. D'ailleurs, le prix Locard récompense désormais chaque année le meilleur roman policier.

Edmond Locard avait également reçu la médaille de la Résistance à la Libération. Car il avait refusé de collaborer avec la police durant la Seconde Guerre mondiale, les nazis souhaitaient qu'il identifie les faux papiers et ticket de rationnement…

C'est en 1951, à l'âge de 74 ans, qu'Edmond Locard quitte le laboratoire qu'il a bâti de A à Z. Ce n'est pas l'heure de la retraite pour autant puisqu'il ouvre un cabinet d'expertises rue Mercière où il travaillera jusqu'en 1958 avec sa fidèle collaboratrice, Denise Bichambis.

Dans son sillage, Edmond Locard aura laissé une cinquantaine d'ouvrages techniques et professionnels, qui furent essentiels pour la médecine légale. Le plus célèbre reste "Traité de criminalistique", ouvrage en sept tomes (1931-1940) qui fut une bible pour la police à travers le monde. Sans oublier des romans inspirés d'affaires policières comme "La malle sanglante de Millery", "L'affaire Lafarge" ou "Contes apaches".

Touche-à-tout, le Lyonnais avait créé en 1949 l'Académie du Merle Blanc, qui réunissait des gens de lettres et amateurs d'art. Il animait également une émission sur Radio Lyon, où il traite de sujets variés avec beaucoup d'humour. Et il avait même lancé en 1912 la revue Le 7e jour, dans laquelle il tenait la critique musicale…

Avec son ami Henri Béraud, il a ainsi contribué largement à faire découvrir aux Lyonnais la musique du compositeur allemand Wagner.

En 1981, son laboratoire est transféré à l'hôtel de police de la rue Marius Berliet. Quant à ses documents et collections, ils sont réunis au musée de l'Ecole de Police de Saint-Cyr-au-mont-d'Or.

Edmond Locard décède le 4 mai 1966. Il fut le père de la criminologie, qu'il a développée et surtout vulgarisée. Il a incontestablement marqué l'histoire de la police judiciaire. On peut aussi lui attribuer la création de l'Ecole de police de Saint-Cyr en 1941, voire même l'installation d'Interpol à Lyon et du siège de la police technique et scientifique à Ecully.

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3 commentaires
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Grand gognand le 29/09/2024 à 14:59

Aujourd'hui beaucoup d'enquêtes criminelles se résolvent avec le relevé d'ADN et le bornage des téléphones portables...

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la farce ADN le 29/09/2024 à 13:42

locquard,Pinel ...que des grands noms dont peuvent être fiers les lyonnais et qui ont rendu beaucoup de services à l'humanité du moins si l'on se trouve du bon côté de la barrière.

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justice trop laxiste ,on prefere le 29/09/2024 à 13:26

raymond coquards !!

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