Qui était Pierre-François Lacenaire, le poète assassin lyonnais ?

Qui était Pierre-François Lacenaire, le poète assassin lyonnais ?
Le double assassinat de Lacenaire et Avril - DR

Fils de soyeux, Pierre-François Lacenaire a passé sa vie à dénoncer la société au XIXe siècle. Son arme : le crime. Jusqu'à l'âge de 35 ans où ce jeune révolté sera guillotiné au terme d'un procès mémorable qui fera de lui un personnage légendaire et une figure dont s'inspireront romanciers, poètes et cinéastes.

Issu d'une famille de paysans franc-comtois, Jean-Baptiste Lacenaire s'installe à Lyon à la veille de la Révolution. Il s'associe aux frères Albert qui tiennent une maison de soierie. Et en février 1793, à l'âge de 47 ans, il épouse la fille de sa logeuse, Marguerite Gaillard, qui n'a que 18 ans.

Après la Terreur, Lacenaire liquide ses affaires qui lui ont rapporté beaucoup d'argent et achète une grande propriété à Francheville pour vivre confortablement de ses rentes. Quelques années plus tard, le 20 décembre 1800, naît Pierre-François, le quatrième enfant de la famille Lacenaire.

Mis en nourrice à la campagne, il développe une relation distante et froide avec ses parents absents. Par réaction, il devient un enfant méchant, cynique, orgueilleux et prétentieux, avec une très haute conscience de lui-même. Dans ses "Mémoires", il écrira par exemple : "Si j'eusse voulu donner une autre direction à mes idées, je serais devenu un homme remarquable, car il y avait en moi une autre capacité".

En 1812, la famille Lacenaire revient s'installer à Lyon, sur les quais du Rhône, près du lycée Impérial dont il devient l'élève. Là encore, le jeune Pierre-François se sent mal aimé : "Dans nos maîtres, je ne trouvais que caprices, mauvaise humeur sans cause, injustes préférences pour les élèves qui appartenaient aux milieux les plus fortunés".

Pierre-François Lacenaire devient ensuite interne à la pension de l'Enfance à la Croix-Rousse, puis au collège de Saint-Chamond. Il fréquente même le petit séminaire d'Alix dans le Beaujolais où il joue encore et toujours sa partition de martyr : "Professeurs atrabilaires, moroses, ascétiques. Elèves stupides aux figures blafardes, cafardes". Et en 1817, il finit par se faire renvoyer du séminaire.

De retour chez ses parents qu'il déteste, il mène une vie oisive, à jouer aux boules dans la plaine des Brotteaux.

Un destin funeste tout tracé

Pierre-François Lacenaire commence alors à fréquenter des voyous, à voler de l'argent à ses proches, à falsifier ses papiers d'identité… Un jour qu'ils assistaient à une exécution publique place des Terreaux, son père lui lance : "Regarde. C'est comme ça que tu finiras si tu ne changes pas".

Cette prédiction fait figure de révélation pour le jeune homme. "Dès ce moment, un lien invisible existait entre moi et l'affreuse machine. J'avais un contrat avec l'échafaud", écrivait-il.

Brûlant la vie par les deux bouts, Pierre-François se laisse aller à tous les vices : tabac, alcool, femmes...

Son père, alors âgé de 75 ans, tente de le remettre sur le droit chemin en le plaçant chez un avoué, Me Normont, pour qu'il s'initie à la procédure et à la jurisprudence.

Mais cet univers balzacien ne convient pas du tout à son esprit rebelle. S'il travaille ensuite chez un notaire et dans une banque, il finit par y voler deux billets de 1000 francs. Et à l'automne 1824, il monte à Paris pour se consacrer à l'écriture.

Lacenaire place quelques articles dans des journaux, mais la vie est difficile et il gagne peu d'argent. Il est ainsi obligé de soutirer quelques francs à sa tante et à son frère aîné, qu'il dépense ensuite au jeu.

Dans la capitale, il vit dans un modeste hôtel de la rue Saint-Merri, près de bouges sordides fréquentés par la pègre parisienne. Pour financer sa passion pour le jeu, il multiplie les escroqueries. Il fabrique de fausses lettres de change pour les convertir en pièces d'or, il vole un prêtre après l'avoir fait boire, il tue même un de ses complices au cours d'un duel truqué…

Durant quatre années, il va multiplier les voyages à Lyon pour supplier ses parents de lui donner de l'argent. Et en 1828, à force d'insister, ces derniers parviennent à convaincre leur fils de s'engager dans l'armée à Grenoble. Pierre-François Lacenaire signe pour huit ans…

Mais évidemment, sitôt sous les drapeaux, le jeune homme ne rêve que d'une chose : déserter. Au bout de sept mois et un passage par le cachot, il s'enfuit et rentre à Paris. Et écrit cette phrase qui classe bien le personnage : "Je n'ai pas d'autre intention que d'attendre paisiblement la mort de mon père, ce qui me laisserait la facilité de me livrer au genre de vie qui me convenait".

Sauf que Jean-Baptiste Lacenaire lui fait l'affront de s'accrocher à la vie. Et pire, il fait faillite ! Son fils se tourne alors vers sa tante pour lui emprunter de l'argent pour s'installer aux Etats-Unis. Mais le prix de la traversée est trop onéreux et le fait renoncer.

Refroidi par ce faux-départ, le Lyonnais sombre et se fixe comme nouvel objectif de "devenir le fléau de la société". Cherchant à intégrer la pègre, il décide de faire de la prison pour soigner sa réputation et faire des rencontres. Après un vol d'attelage, Pierre-François Lacenaire est rapidement arrêté et condamné à un an derrière les barreaux. Comme toujours, il est déçu. Lui qui pensait rencontrer des as du cambriolage, il ne tombe que sur des petits voleurs sans envergure…

Fumant du matin au soir, refusant de se laver et lisant de pitoyables romans, il reçoit parfois de l'argent de la part d'une de ses tantes, mais s'empresse de le perdre au jeu.

Le dandy du crime

A sa sortie de prison en 1830, Pierre-François Lacenaire est plus que jamais haineux et révolté. Il parvient enfin à pénétrer dans le cercle des brigands. Mais surprise, il rencontre surtout des intellectuels dévoyés comme lui. Des clercs de notaire vont réussir à le faire rentrer comme copiste chez un avoué au palais du justice, duquel il se fera renvoyer.

Il multiplie les délits, les agressions et les arnaques, se trouvent de fausses identités.

En juillet 1833, il se fait prendre en train de dérober des couverts dans un restaurant et retourne en prison à Poissy durant 13 mois. C'est là qu'il écrit ses premiers véritables poèmes, notamment "Pétition d'un voleur à un roi voisin" qui paraît dans le journal lyonnais "La Glaneuse". Il compose aussi 17 chansons qui paraissent dans la presse d'opposition républicaine.

Libéré, il forme une bande de voleurs avec un ancien codétenu nommé Pierre-Victor Avril. Ils se spécialisent dans le vol de tiroirs-caisse. Et c'est avec Avril qu'il commettra son premier assassinat le 14 décembre 1834.

La victime se nomme Jean-François Chardon, un ex-complice qui l'avait dénoncé. Surnommé Tante Madeleine car homosexuel, il tenait avec sa mère une boutique d'objets de piété passage du Cheval-Rouge à Paris. Lacenaire et Avril poignardent Chardon puis tuent sauvagement sa mère. Après avoir dérobé 500 francs et quelques couverts, ils se rendent aux bains turcs pour se détendre…

Suspecté, Lacenaire est arrêté à Beaune alors qu'il commet de nouvelles escroqueries à la fausse lettre de change. Il nie les faits mais Avril et un nouveau complice, Hippolyte François, vont, par maladresse, le dénoncer. Transféré à Paris le 25 mars 1835, les fers aux pieds, il est enfermé à la prison de la Force.

Le procès du siècle

Huit mois après son arrestation, le Lyonnais est jugé à la cour d'assises de la Seine le 12 novembre 1835 pour assassinats, tentatives d'assassinat, vols et escroqueries. L'opinion commence à s'intéresser à son cas et avocats, médecins et journalistes demandent à voir ce dandy qui a le diable au corps. Très à l'aise, Pierre-François Lacenaire les reçoit dans sa cellule comme dans un salon.

Selon la presse de l'époque, le procès est "le spectacle le plus extraordinaire qui ait jamais eu lieu de mémoire d'habitué de cour d'assises". On s'arrache les places dès le premier jour d'audience. Beaucoup de femmes sont là avec des jumelles de théâtre.

Lacenaire provoque un véritable tohu-bohu mondain à son arrivée. Il tranche complètement avec la clientèle habituelle des cours d'assises où se pressent des gens frustres et sans instruction. Lui, c'est plutôt un beau parleur, intelligent, plein d'esprit et d'humour. Un vrai séducteur malgré son âme noire !

Profitant de sa tribune, Lacenaire fait éclater sa révolte et sa haine de la société : "Je suis ici devant vous et je ne manquerai à aucun de mes devoirs en vous disant quelle fut ma responsabilité, ce que furent mes crimes, mais aussi tout le passé de misères et de déceptions qui m'a conduit jusqu'ici. (…) Ma guerre n'a duré que le temps de deux escarmouches. S'il n'avait tenu qu'à moi, ce n'est pas deux morts que vous me reprocheriez, mais dix, mais cent !"

Reconnaître face aux juges que sans son arrestation, il aurait fini tueur en série, c'est une tactique de défense particulière. Lacenaire s'attend donc à finir guillotiné, mais ça ne lui fait pas peur : "Cette société qui n'a pas voulu de moi (…), elle m'a vaincu et il est juste que je subisse la loi du Talion. (…) J'aime la mort comme on aime une fiancée. Ne me condamnez pas à vivre".

Son indifférence à son propre sort est vécue comme une insulte à la justice, la salle reste sidérée. Et son avocat commis d'office tente de plaider la folie, sans succès.

Comme Avril, Pierre-François Lacenaire est logiquement condamné à mort. Leur troisième complice François écope lui de la perpétuité au bagne de Toulon.

En attendant son exécution, le Lyonnais est reconduit à sa prison de la Conciergerie.

Dans les salons parisiens, on colporte ses propos cyniques et provocants. Il est devenu la coqueluche, notamment des intellectuels fascinés par le dévoiement d'un jeune bourgeois qui s'encanaille dans les bas-fonds de Paris, par défi et révolte contre son milieu. Or, le thème de la révolte était d'actualité avec le Romantisme.

Conscient d'être devenu une vedette, Lacenaire en profite durant ses derniers jours. Il entretient une correspondance notamment avec les figures de l'époque et tout le monde cherche à le rencontrer : officiels, savants, écrivains, duchesses… Il consacrera également énormément de temps à l'écriture de ses "Mémoires", publiées quelques mois après sa mort, et dans lesquelles il exprime toute sa haine de la société. L'ouvrage rencontrera un vif succès malgré l'intervention de la censure.

Le jour de son exécution, il est amené avec Avril en charrette jusqu'à Bicêtres, à la limite de Paris. Les autorités cherchent à manipuler l'opinion pour discréditer le Lyonnais et empêcher qu'il devienne un héros. Sous la pression du ministre de la Justice Jean-Charles Persil, certains journalistes assurent même qu'il est mort en lâche. "La Gazette des tribunaux" par exemple, autorité en matière d'information judiciaire, décrit un Lacenaire blafard, montant en tremblant les marches de l'échafaud. Ce qui est loin de la vérité, le jeune homme ayant accepté son sort depuis de nombreuses années.

Lacenaire devient un héros. Le romancier Léon Gozlan, ami d'Honoré de Balzac, estime que "Lacenaire est un dieu, il a élevé la guillotine au niveau de la gloire. Lacenaire est un saint, sa légende est dans la Gazette des tribunaux".

Il fascine car tout le monde se demande comme un homme si distingué et si doué a pu se livrer à de tels crimes. Son histoire, qui rappelle les héros hors-la-loi séduisants et dangereux de George Sand et Lord Byron, va ensuite largement inspirer d'autres auteurs comme Victor Hugo ou Théophile Gautier. En 1990, Francis Girod réalise un biopic de Lacenaire, avec Daniel Auteuil dans le rôle du poète assassin lyonnais.

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3 commentaires
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Niveuil le 22/09/2024 à 14:42

Il est surtout magnifiquement interprété par Marcel Herrand dans ”Les Enfants du paradis” de Marcel Carné en 1943.

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Gabin69 le 22/09/2024 à 14:25

J'étais presque persuadé que le premier commentaire serait celui d'un benet pour poser une connerie sur un article intéressant..
Bingo 👏

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Ariba le 22/09/2024 à 13:19

Il était le précurseur au mouvement LFI et NFP

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