Qui était Claude Martin, le Lyonnais devenu nabab en Inde ?

Qui était Claude Martin, le Lyonnais devenu nabab en Inde ?

Fils d'un commerçant lyonnais, le major Claude Martin s'est engagé en 1751 dans la Compagnie des Indes orientales. Simple soldat de 16 ans, ce jeune ambitieux et opportuniste sera successivement cartographe, commerçant, financier… Avant de devenir un véritable nabab qui recevra dans son palais les plus grandes personnalités du siècle des Lumières.

Installée à Lyon depuis le XVIIe siècle, la famille de Claude Martin s'est spécialisée dans le commerce de la moutarde, du vinaigre et des condiments. C'est dans un milieu assez aisé qu'il naît le 4 janvier 1735 rue Luizerne, qui s'appelle aujourd'hui rue Major-Martin dans le 1er arrondissement. Sa mère, Anne Vaginay, est morte jeune. Et son père s'est remarié et a eu neuf autres enfants.

Claude Martin est donc élevée par sa belle-mère Jeanne-Marie Martinet. C'est très jeune qu'il est envoyé par son père chez un ami dans le but d'être formé aux métiers de la soie. Mais 18 mois d'apprentissage passent et il ne supporte plus ce milieu. Lui rêve de voyages, d'aventures, de découvertes…

En septembre 1751, à l'âge de 16 ans, Claude Martin se présente au bureau de recrutement de la Compagnie française des Indes orientales à Lyon. Créée par Colbert en 1664, elle a reçu du roi le monopole de la navigation et du commerce dans les océans Pacifique et Indien.

A l'époque, l'empire des Grands Moghols est en pleine décadence en Inde. Princes et gouverneurs locaux, les nababs, ont pris leur indépendance et exploitent les populations, trafiquent avec les occidentaux.

La Compagnie française des Indes orientales, dont le siège est à Pondichery, possède de nombreux comptoirs sur place. Mais elle fait face à la concurrence des Anglais, qui contrôlent également des comptoirs stratégiques comme Bombay, Madras et Calcutta.

Ambitieux et nourri des récits d'explorateurs comme Jean-Baptiste Tavernier et François Bernier, Claude Martin veut tenter sa chance dans ces contrées lointaines.

Mais les parents de l'adolescent s'opposent à son départ. D'autant que Claude Martin a convaincu l'un de ses jeunes frères de s'engager avec lui. Têtu, le jeune homme parvient à persuader sa famille de le laisser partir. Et après trois mois de formation militaire à Lorient, il embarque le 9 décembre 1751 sur le Marchault, un voilier qui se rend à Pondichery.

Claude Martin est d'abord soldat pour la Compagnie française des Indes orientales, chargé de défendre les comptoirs. Six mois de voyage sont nécessaires pour atteindre Pondichery et lorsque le Lyonnais arrive en Inde en juillet 1752, les hostilités ont repris entre la France et l'Angleterre. Indisciplinées, les troupes françaises sont faibles. Et les nababs indiens ont tendance à privilégier les affaires avec les Britanniques, qui gagnent en influence sur place.

Les premières années de Claude Martin en Inde n'ont laissé que très peu de traces. On sait seulement qu'en 1755, il fait partie de la garde personnelle du gouverneur de Pondichery. Un an plus tard, il devient cavalier.

La situation française en Inde est si critique que le gouverneur Joseph François Dupleix est rappelé en France, accusé de s'être trop enrichi. Le comte de Lally-Tollendal le remplace, cet officier d'origine irlandaise a la réputation d'un homme à poigne.

Honnête mais militaire borné, Thomas-Arthur de Lally-Tollendal va réussir à se faire détester aussi bien par les Français dont les affaires dépérissent que des nababs locaux. En 1757, les Anglais parviennent à s'emparer du comptoir prolifique de Chandernagor. Et des mutineries éclatent dans les rangs de l'armée française.

Un passage chez les Anglais opportun

Claude Martin est l'un de ces mutins. Il déteste le général Lally-Tolendal, comme il l'expliquait dans une lettre à son ami Benoît de Boigne : "S'il avait eu la mauvaise idée de me frapper, je lui aurais certainement passé mon épée au travers du corps". En janvier 1760, le Lyonnais fait partie des soldats qui, s'estimant trahis par leurs officiers, rencontrent la Compagnie anglaise pour lui offrir leurs services.

De son côté, Lally-Tolendal sera rappelé en France début 1761, puis jugé, condamné à mort et décapité malgré l'intervention en sa faveur de Voltaire.

Avec l'appui des transfuges français, l'Angleterre fonde la Compagnie française libre qu'elle installe à Calcutta en novembre 1761. Et en 1763, Claude Martin se bat aux côtés des Britanniques contre le nabab du Bengale qui tente de s'opposer à la suprématie de l'empire insulaire.

Bon soldat, il se distingue à la bataille de Buxar, qui marque la fin de l'autonomie indienne du Bengale. Ses supérieurs anglais saluent "son attitude loyale et son assiduité au combat". Mais après cette victoire, le Lyonnais quitte l'armée anglaise et rejoint Lucknow, un important centre commercial situé au nord-est de l'Inde.

Sur place, il exerce successivement plusieurs métiers. D'abord chargé de la perception du revenu des récoltes, il travaille dès 1767 avec l'ingénieur topographe James Rennell qui établit la cartographie du Bengale et des états voisins. Puis quelques années plus tard, il est affecté à la collecte des impôts.

Au service des Anglais, Claude Martin monte des expéditions pour piller les nababs refusant de se soumettre à l'imposition. Se servant au passage, il accumule une fortune personnelle importante et s'enrichit encore plus en investissant dans l'industrie alors en plein développement en Inde.

Claude Martin s'intéresse notamment à la production d'indigo, de coton et surtout à la soirie qu'il connaît bien pour avoir brièvement travaillé dans un atelier à Lyon. La Compagnie anglaise développe alors la culture des mûriers, importe des vers à soie de Chine, construit des filatures et embauche des Indiens comme tisserands.

Très entreprenant, curieux, doté d'une grande intelligence, le Lyonnais est aussi un intrigant pouvant s'adapter à n'importe quelle situation.

Quand Antoine Polier est choisi par les Anglais en 1775 pour construire la nouvelle ville de Fayzabad pour le nabab de l'état d'Awadh, l'ingénieur français fait appel à Claude Martin pour le seconder. Ce dernier a alors 40 ans, et il sait qu'il peut s'enrichir davantage, dans des proportions dantesques.

Profitant au maximum de la folie des grandeurs du nabab, Claude Martin gagne énormément d'argent avec la construction et la gestion d'un arsenal, mais aussi le commerce fructueux de la poudre à canons, des fruits et légumes, des étoffes…

Une vie dans le luxe

Les Anglais l'adorent, car le Lyonnais sait naviguer entre les fonctionnaires locaux facilement corruptibles et les autorités britanniques. D'ailleurs, en 1779, il est promu major à titre honorifique. Trois ans plus tard, il devient colonel. Et enfin major général en 1795, un grade suprême qui n'est décerné que très exceptionnellement à un sujet étranger.

De 1785 à 1795, l'Inde connaît un véritable âge d'or grâce au développement du commerce des diamants, des pierres précieuses, du bois, du salpêtre, de l'indigo, des tapis, du cachemire… Et Claude Martin est l'un des premiers à en profiter.

A Lucknow, il vit une véritable vie de nabab dans un palais grandiose qu'il fait construire et où il donne des dîners et des réceptions prestigieuses. Chandeliers et miroirs gigantesques, lampes sur piédestal, tableaux prestigieux, tables en marbre, tapis luxueux, argenterie, bibliothèque de 5000 livres, théâtre de marionnettes importé de France : la décoration du palais est si extraordinaire qu'elle servira de modèle à plusieurs autres palais du pays.

En 1790, la fortune de Claude Martin est évaluée à 9 millions de francs germinal. Ce qui équivaut aujourd'hui à quelques milliards d'euros.

S'il n'est pas marié, il collectionne les maîtresses. Et va même acheter sept jeunes filles qu'il fera éduquer afin qu'elles deviennent ensuite ses concubines… A l'époque, la plupart des riches européens faisait de même.

Claude Martin ne reviendra jamais à Lyon après avoir fait fortune en Inde. Pourquoi revenir en France, alors secouée par la Révolution, alors qu'il a réussi sa vie ici ? D'ailleurs, l'exemple de son ami Antoine-Louis Polier, installé à Avignon et assassiné sauvagement en 1795 le refroidit. Le récit du saccage de sa maison, de la mort de sa femme brûlée vive et du viol de ses filles choque profondément le Lyonnais qui tire un trait sur son pays d'origine.

Claude Martin décèdera le 13 septembre 1800 à l'âge de 65 ans, succombant à un cancer de la vessie. Il est enterré dans son palais Constantia à Lucknow.

S'il n'avait pas d'héritier, le Lyonnais avait minutieusement organisé sa succession. Le 1er janvier 1800, il avait convoqué plusieurs de ses amis pour être les témoins de son testament de 83 pages, rédigé en hindi et en anglais. Le document sera ensuite traduit en français, imprimé à Lyon en 1803 par Pierre-Simon Ballanche.

Le testament était l'aboutissement de longues semaines de réflexion concernant ses croyances et ses doutes sur la religion. Il contenait également le compte précis de son immense fortune qu'il distribuait aux pauvres de Lucknow et Calcutta, à ses maîtresses et à ses nombreux serviteurs.

Une partie de sa fortune a servi également à construire trois établissements scolaires nommés La Martinière, dont un à Lyon dans le 1er arrondissement. Les collèges de Lucknow et Calcutta existent encore et sont très côtés, accueillant des élèves issus des milieux indiens les plus aisés et occidentalisés. L'actrice Priyanka Chopra est par exemple passée par la Martinière de Lucknow.

Quant à sa famille lyonnaise, Claude Martin leur a laissé plusieurs maisons qu'il avait achetées dans la capitale des Gaules. Son demi-frère Louis hérita ainsi du château Barthélémy à Charbonnières-les-Bains.

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