Originaire d'une famille d'Annonay en Ardèche, Marc Seguin nait en 1803. Il est fils et petit-fils de marchands de draps. Son père Marc-François Seguin tient une boutique en plus de son négoce, c'est un bourgeois en pleine ascension sociale.
En 1815, à la fin de l'Empire, l'entreprise familiale traverse une crise difficile. Fournisseurs de l'armée, les Seguin ne sortent pas gagnants de la chute de Napoléon.
Marc Seguin va parvenir à se distinguer et faire preuve d'un savoir-faire utile. Pour faire des économies, il propose d'abord de fabriquer ses propres machines-textile. Puis il travaille avec ses frères sur la mise au point de feutres de papeterie, un drap sur lequel on fait sécher la feuille de papier en cours de fabrication pour éviter qu'elle s'abîme.
Après tout, l'invention coule dans les veines du jeune homme. Son grand oncle n'est autre que Joseph de Montgolfier, qui a créé la fameuse montgolfière.
Curieux et passionné de sciences et techniques, Marc Seguin se rend régulièrement dans son laboratoire pour assister à ses expériences. Il ne cessera ensuite de dire n'avoir fait que développer ce que son oncle Joseph lui avait appris et montré durant sa jeunesse.
Malgré cette soif d'apprendre, Marc Seguin n'a pas fait de longues études. Après trois ans à Paris, il retourne auprès de son père pour travailler. Mais à côté de son activité professionnelle, il lit énormément et fait des mathématiques, de la physique, de la chimie.
A 25 ans, il monte un laboratoire de chimie pour ses propres expériences. Et dix ans plus tard, il a un tel savoir scientifique qu'il se sent capable de construire des ouvrages très techniques.
Marc Seguin propose alors à sa famille de le suivre dans la construction d'un pont suspendu. Un chantier très éloigné du commerce de draps !
Puisqu'il a des amis dans les Ponts et Chaussées, le jeune homme sait qu'il y a des besoins, notamment sur le Rhône, où aucun pont n'a été construit depuis des années. Pour traverser le fleuve, on est obligé d'utiliser des bacs, et ce, tout au long du Rhône entre Lyon et Pont Saint-Esprit dans le Gard.
Marc Seguin doit faire ses preuves et s'inspire de réalisations anglo-saxonnes pour réaliser une passerelle d'essai au-dessus de la Cance, une rivière qui traverse la propriété familiale. Il opte pour une solution plus économique et résistante en remplaçant les chaînes forgées de suspension des Anglais par un câble formé de petits fils de fer. Une véritable innovation technique qui s'inscrit dans la dynamique de la révolution industrielle.
Lorsque les Ponts et Chaussées viennent prendre connaissance de son travail, ils sont conquis et confient à Marc Seguin la construction d'une passerelle similaire sur le Rhône. Son emplacement ? Entre Tournon et Tain, au sud de Lyon.
Le chantier dure 18 mois et le pont est inauguré en 1825, pour la grande foire de Tournon. C'est le premier grand pont suspendu avec des câbles en Europe. La prouesse technique est si importante que lorsque le pont sera détruit en 1849 car jugé trop bas pour la navigation, il a été demandé à Marc Seguin de le reconstruire.
Pour l'ingénieur, c'est le jackpot. Car à l'époque, des péages sont installés sur les ponts et la recette revient aux constructeurs. Les Seguin perçoivent alors un petit pactole qui leur permettra de financer d'autres projets.
Le frère de Marc, Jules, monte sa propre entreprise spécialisée dans la construction de ponts suspendus. C'est lui qui réalise ceux de Saint-Vallier dans la Drôme, au-dessus du Drac à Grenoble ou encore à l'Ile Barbe à Lyon.
Un échec cuisant qui va le mettre sur de bons rails
Marc Seguin lui bifurque sur la navigation à vapeur sur le Rhône. Il estime que le transport fluvial est une activité qui rapportera davantage que les ponts. Et lorsqu'il remonte le fleuve en bateau à vapeur en 1828, c'est une première en France. L'exploit attire de nombreux investisseurs, mais également des concurrents qui poussent les bateaux dans leurs retranchements pour rester compétitifs et arriver plus vite que les autres. Ce qui provoquera des accidents, comme cette explosion d'un bateau en plein centre de Lyon, faisant 27 morts.
Le pari de Seguin est un échec commercial. Endetté jusqu'au cou, il doit faire appel à son ingéniosité pour trouver la solution qui lui permettra d'éviter la ruine. C'est à ce moment-là qu'il décide de réaliser une voie ferrée entre Lyon et Saint-Etienne pour transporter du charbon.
Le train fait ses débuts en France à cette époque. La première ligne de chemin de fer fait seulement 20 kilomètres entre Saint-Etienne et Andrézieux et sert au transport du charbon extrait des mines stéphanoises. Pour parcourir les 60 kilomètres entre la ville ligérienne et Lyon, il faut une demi-journée à cheval. Marc Seguin estime que le train permettra de transporter le charbon jusqu'aux quais du Rhône en moins de trois heures. S'il réussit, c'est la fortune assurée car il deviendrait le fournisseur de toute l'industrie locale, de la métallurgie aux verriers de Givors.
Avec l'aide de ses frères, Marc Seguin obtient l'aide des banques et de l'Etat qui leur permet de créer une compagnie ferroviaire. Des actions de 5000 francs sont mises sur le marché pour que les particuliers participent à l'aventure. Et au final, un capital de 10 millions de francs est constitué.
Les travaux débutent en 1827. Pendant six ans, plus de 2000 personnes travaillent en permanence sur le chantier, dont plus de 100 ingénieurs. Marc Seguin se rend quotidiennement sur place et n'hésite pas à montrer l'exemple en mouillant la chemise.
Ouvert, il sait également écouter les ouvriers quand ils ont des propositions à soumettre pour résoudre les nombreux problèmes que rencontre le chantier.
Car plusieurs difficultés majeures se trouvent sur le tracé choisi par les Seguin. A commencer par le fait que les deux tiers de la ligne sont en zone montagneuse. Pour gagner en temps de parcours, Marc Seguin veut rester le plus droit et régulier possible entre Lyon et Saint-Etienne. Il faut donc creuser 13 tunnels ! Le plus compliqué est celui du col de Terrenoire, avec ses 1500 mètres tout en pente.
Quant au pont de la Mulatière, il faut également chercher une innovation technique pour le faire suffisamment haut et robuste afin de laisser passer la navigation. Plutôt qu'une seule colonne centrale comme cela se faisait à l'époque, Marc Seguin l'imagine avec d'étroites colonnes en pierres, renforcées par des rondins de bois.
Mais sa plus grande invention imaginée sur le chantier restera la fameuse chaudière tubulaire. En 1828, il construit sa propre locomotive car il trouvait que les machines n'étaient pas assez puissantes pour s'aventurer sur sa ligne pentue et sinueuse. Reprenant les recherches qu'il avait effectué sur les bateaux à vapeur, il met au point la chaudière tubulaire qui deviendra le standard des locomotives jusqu'à la fin de la Seconde guerre mondiale.
Bientôt 200 ans d'existence pour la ligne
La ligne est inaugurée fin 1832. Et si le coût final du chantier dépasse largement celui initialement prévu, les délais sont respectés. Ce sont d'abord les voyageurs qui profitent du voyage entre les deux villes voisines, avant que les marchandises ne soient incluses quelques mois plus tard.
Nommé directeur de la compagnie ferroviaire, Marc Seguin s'installe à Lyon avec son jeune frère Paul pour exploiter la ligne. Ensemble, ils la gèrent au quotidien, et dirigent la construction de locomotives et wagons.
Economiquement, c'est un succès. Les Seguin pensaient transporter 300 000 tonnes de marchandises par an, mais ce chiffre est largement dépassé dès la première année d'exploitation. Jour et nuit, le fret est acheminé à Lyon dans plus de 1000 wagons. Et le trafic voyageurs marche également très bien, avec 100 000 passagers en 1833 et plus de 150 000 l'année suivante.
Marc Seguin avait également acheté de nombreux terrains à Perrache, où il a construit une gare, un port, des entrepôts, des routes… Il aidera aussi des entreprises qui utilisent le charbon à s'implanter dans la région lyonnaise.
Avec l'argent de l'exploitation, les deux frères font fortune à Lyon. Devenus promoteurs, ils spéculent sur les terrains qu'ils achètent le long de la voie ferrée Lyon-Saint-Etienne et investissent même dans les mines à charbon.
Avec cet argent considérable, Marc devient pénible et moraliste. Et ses frères l'abandonnent pour se consacrer à leurs affaires. Assez vite, il entre également en conflit avec son conseil d'administration qui refuse de le suivre alors qu'il veut investir davantage pour rendre la ligne plus performante. Persuadé que s'il met sa démission dans la balance, il arrivera à ses fins, c'est avec stupéfaction qu'il apprend que les administrateurs acceptent son départ. En 1835, il doit donc quitter son poste et un nouveau directeur est désigné.
Toujours très rentable, la compagnie est absorbée par une autre compagnie avec l'avènement de la Seconde République, puis rejoindra la compagnie PLM en 1857 et finira par se fondre dans la SNCF en 1937.
Marc Seguin lui se retire des affaires. Après la mort de sa femme, il se remarie en 1838 avec Marie-Augustine de Montgolfier, sa nièce par alliance et vivra à Fontenay, dans une abbaye appartenant à sa belle-famille. Malgré ses 19 enfants, il trouvera le temps de poursuivre ses recherches et d'écrire des ouvrages d'astronomie et d'aéronautique. Et il mourra à Annonay en 1875, à l'âge de 89 ans.
Cas unique en France, sa ligne ferroviaire Lyon-Saint-Etienne est aujourd'hui toujours la même, avec le tracé d'origine. Si on pense trop souvent que le développement du chemin de fer est le fait de grandes compagnies, on oublie que c'est en province que tout a commencé, avec des pionniers comme Marc Seguin.
C'est sa chèvre qui est plus connue que lui
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