Le père de Jules Favre est d’origine savoyarde. Installé à Lyon à la fin du XVIIIe siècle où il devient marchand de tissus, il épouse Marie-Cécile Marrel, fille de commerçants lyonnais. Jules, leur second fils, est né le 21 mars 1809 rue des Bouquetiers, juste en face de l’église Saint-Nizier.
Très attachée aux études, sa mère l’inscrit au collège de la Trinité, futur lycée Ampère, à l’âge de 8 ans. Rapidement, Jules Favre se révèle être un élève très doué. Son excellente scolarité est couronnée en 1825 par un bac de philosophie. Il a alors 15 ans, et rêve de devenir avocat. Mais il n’y a pas encore de faculté de droit à Lyon. Et sa mère le trouve trop jeune pour l’envoyer seul à Paris.
Jules Favre se retrouve obligé d’abandonner ses études pendant deux ans. Il travaille alors dans une étude d’avoués à Lyon, où sa passion pour le métier d’avocat se confirme. Fin 1826, ses parents acceptent enfin de le laisser rejoindre la capitale.
Comme Rastignac, Favre fait partie de ces jeunes provinciaux ambitieux qui ont envie de réussir et qui sont fascinés par le pouvoir. Le Lyonnais est toutefois assez sage, consciencieux et travailleur, il suit avec assiduité ses cours à la faculté.
Jules Favre s’intéresse très tôt à la politique, influencé par les cours de philosophie de Victor Cousin et Pierre-Paul Royer-Collard. Il se sent républicain. Et en juillet 1830, il décide de participer aux Trois Glorieuses, ces fameuses journées révolutionnaires où le Paris populaire, notamment les étudiants, descend dans la rue pour mettre fin à la Restauration. Mais sa mère l’apprend et lui interdit de s’y rendre. Jules Favre s’exécute et termine ses études un mois plus tard. En août 1830, il est officiellement avocat.
Il s’inscrit d’abord au barreau de Lyon où il s’installe dans un petit appartement du Vieux-Lyon rue Tramassac. C’est à cette époque que les travaux de construction du palais de justice du quai Romain Rolland débutent.
Un évènement majeur de l’histoire de Lyon va le marquer aussi profondément. En novembre 1831, 50 000 canuts s’unissent contre les marchands-fabricants de soie.
C’est la première révolte des canuts, et Jules Favre se range de leur côté. L’un de ses amis avocats, Michel-Ange Perrier, est même grièvement blessé lors d’une manifestation. Jules Favre se lie aussi d’amitié avec le journaliste Léon Boitel, co-fondateur d’un journal très polémique qui milite contre le régime de Louis-Philippe. Et il participe à la création de l’Echo de la Fabrique, le journal des canuts qui sera à l’origine de la seconde révolte en avril 1834.
Le 15 avril 1834, les canuts capitulent seulement six jours après avoir proclamé la République de La Croix-Rousse. La répression est impitoyable, Louis-Philippe ordonne de tirer dans le tas et les arrestations sont massives. Jules Favre reste fidèle et défend les principaux accusés du procès des canuts délocalisé à Paris en juillet 1835. C’est sa première grande affaire.
Il y a plus de 200 accusés, qui viennent de toute la France, dont 52 Lyonnais. Car la révolte des canuts a eu des répercussions un peu partout auprès du peuple. Une salle spéciale est construite pour le procès, avec des mesures de sécurité exceptionnelles. Et ce sont les membres de la Cour des Pairs, l’équivalent du Sénat d’aujourd’hui, qui sont chargés de jouer les juges.
Les accusés sont poursuivis pour complot contre la sûreté de l’Etat. Jules Favre plaide leur cause pendant plus de cinq heures. Il n’a que 26 ans, mais a préparé sa plaidoirie pendant des jours pour faire entendre à toute la France le cri de désespoir des canuts lyonnais.
L’auditoire est subjugué par son éloquence et surtout la rigueur de ses arguments. Mais ça ne suffit pas, car les dés sont pipés depuis le début. Comme attendu, les sentences prononcées contre les canuts sont impitoyables. Si quelques acquittements sont prononcés, la plupart des accusés sont envoyés en détention au Mont-Saint-Michel ou à Clairvaux, voire déportés en Algérie.
L’opinion passe rapidement à autre chose, d’autant que Paris se passionne davantage pour le procès d’un autre Lyonnais, l’assassin Pierre-François Lacenaire.
Complètement épuisé, Jules Favre est victime d’une fièvre cérébrale provoquée par le surmenage. Même diminué, le Lyonnais continue à soutenir ses clients détenus à la centrale de Clairvaux.
Il décide ensuite de retourner à Lyon, où il devient un habitué du salon de madame Yeméniz, la femme d’un riche soyeux qui recevait la visite de toutes les personnalités locales de l’époque.
Mais en 1838, l’appel de la capitale le pousse à s’installer dans un bel appartement de la rue de Choiseul. Ses affaires marchent bien et il est rapidement considéré comme l’un des plus grands avocats républicains du pays. Il défend alors les opposants au pouvoir de Louis-Philippe, y compris Louis-Napoléon, le futur Napoléon III.
Jeune, brillant, célibataire et assez beau garçon, le Lyonnais a du succès. Il a notamment une liaison avec Louise Babeuf, la femme de l’un de ses amis républicains avec qui il a une fille née aveugle.
La femme de sa vie entre dans son cabinet en 1841. Jeanne Charmont vient le consulter pour obtenir la séparation de son mari, un individu brutal. A l’époque, le divorce n’existe pas. Jules Favre et son amante vivent alors dans l’illégalité, et auront trois enfants : Jeanne Gabrielle, Jules et Geneviève.
L’une des spécialités de l’avocat, ce sont les procès de la liberté de la presse. En 1856, il défend notamment le grand critique de La Revue des Deux Mondes, Gustave Planche. On peut également citer l’affaire du miracle de Notre-Dame-de-la-Salette près de Grenoble en avril 1857 qui a soulevé une très vive polémique. Jules Favre défend Constance Saint-Ferréol de La Merlière, accusée de s’être fait passer pour la Vierge dans les apparitions de la Salette.
Des répercussions continentales
Mais le procès le plus retentissant de la carrière de Jules Favre, c’est l’affaire Orsini.
Le 14 janvier 1858, l’explosion d’une machine infernale boulevard de l’Opéra fait plusieurs morts et blesse légèrement l’empereur Napoléon III. Le responsable de l’attentat est aussitôt arrêté. Felice Orsini est un révolutionnaire italien, qui sollicite Jules Favre pour assurer sa défense. L’avocat lyonnais décide de présenter le terroriste comme un grand patriote, qui s’est sacrifié pour la cause italienne. Son attentat ? Un rappel à l’ordre pour Napoléon III, qui n’avait pas tenu sa promesse faite aux Italiens de leur donner leur indépendance.
Là encore, le procès est perdu d’avance. Orsini est condamné à mort et exécuté.
Mais l’affaire a provoqué une émotion profonde dans toute l’Europe, sur laquelle se répercutent les échos de cet appel à la liberté. Jules Favre a donc réussi son coup. A tel point que Napoléon III décide d’intervenir en faveur de l’unification italienne.
A 50 ans, Jules Favre est au sommet de son talent. Il travaille énormément, mais surtout très vite et épate par son efficacité. Cheveux et barbe grisonnants, il impressionne à la barre lorsqu’il parle avec sa voix grave, lente et qui s’enfle. C’est le grand avocat de son époque, il est d’ailleurs élu bâtonnier de Paris de 1861 à 1866. Puis élu à l’Académie française en 1868 malgré ses opinions républicaines.
Avec Jeanne Charmont, il vit dans une belle propriété à Sceaux. Très riche, entouré de domestiques, le couple est généreux et donne beaucoup aux pauvres. La situation matrimoniale compliquée de Jules Favre l’oblige toutefois à vivre dans une semi-clandestinité et ne peut recevoir que quelques intimes.
En parallèle de sa vie bien remplie d’avocat, le Lyonnais se lance en politique. En tant que républicain, il accueille très favorablement la seconde République qui instaure le suffrage universel et supprime la peine de mort. Il est d’ailleurs nommé chef de cabinet dans le gouvernement provisoire mis en place par le ministre de l’Intérieur, Alexandre Ledru-Rollin, lui-même avocat. Et aux élections d’avril 1848, Jules Favre est élu député de la Loire.
Il participe à l’élaboration de la nouvelle constitution qui institue l’élection du Président de la République au suffrage universel. Et le 10 décembre 1848, Louis-Napoléon est élu prince-président. Jules Favre ne tarde pas à s’élever contre les juridictions d’exception qu’il institue en invoquant de soi-disant complots contre la sûreté de l’Etat.
En décembre 1851, le coup d’Etat fait du prince-président l’empereur Napoléon III. Jules Favre rejoint logiquement l’opposition républicaine et participe au comité de résistance où se retrouvent tous les grands noms de l’époque : l’historien Edgard Quinet, l’écrivain Victor Hugo, le futur Président de la République Jules Grévy… Mais leur appel à un mouvement populaire ne rencontre pas d’écho dans l’opinion, notamment chez les Parisiens qui sont restés très bonapartistes.
Victor Hugo propose alors à Jules Favre de s’exiler avec lui à Guernesey. Mais l’avocat refuse et sera une des rares personnalités républicaines à rester en France.
En danger, il doit se cacher chez des amis pour ne pas être arrêté. Le conseil de l’ordre des avocats le protège et obtient du pouvoir impérial qu’il ne soit finalement pas expulsé du pays. Avec ce statut particulier, Jules Favre devient la principale figure de l’opposition républicaine. Aux élections de 1859, il est élu député de Paris et se voit porté à la tête du fameux "groupe des cinq", composé de Louis Darimon, Ernest Picard, Emile Ollivier et le député de Lyon Jacques-Louis Hénon.
Dix ans plus tard, les républicains font une entrée en force à l’Assemblée nationale, accompagnés par l’extrême-gauche. Jules Favre est alors un peu dépassé. Car face à des figures d’extrême-gauche comme François-Désiré Bancel, il apparaît comme un modéré. Le Lyonnais est aussi jalousé et calomnié par ses propres amis, qui lui reprochent sa fortune et ses succès.
Un bouc émissaire national
En 1870, Jeanne Charmont meurt. Puis la France entre en guerre contre la Prusse. Les défaites se succèdent et dans la nuit du 2 au 3 septembre, un télégramme annonce aux Parisiens que l’empereur et l’armée se sont laissés enfermer à Sedan. Jules Favre en profite pour exiger à la tribune de l’Assemblée la destitution de Napoléon III et la fin de l’Empire. Une tirade acclamée par les républicains.
Le 4 septembre, la foule pénètre dans le Palais Bourbon aux cris de "Vive Jules Favre, vive Léon Gambetta !", considérés comme les deux principales têtes du parti républicain. A la tête du cortège, le Lyonnais suit Léon Gambetta qui proclame le retour de la République à l’hôtel de ville. Jules Favre est véritablement le père de la IIIe République.
Mais sa victoire est de courte durée. Nommé ministre des Affaires étrangères, Jules Favre fait partie d’un gouvernement dirigé par Léon Gambetta qui décide de poursuivre la guerre et défendre Paris. Sauf que les défaites sont toujours aussi nombreuses. Et le 28 janvier 1871, après le terrible siège de Paris et la déroute des armées françaises, Jules Favre signe l’armistice au nom du gouvernement.
Les négociations menées avec Otto von Bismarck sont longues, une épreuve redoutable et inédite pour le Lyonnais. Le 10 mai 1871, il signe le traité de Francfort qui officialise la cession de l’Alsace-Lorraine aux Allemands, ainsi qu’une indemnité de 5 milliards de francs. Les troupes allemandes entrent alors dans Paris et défilent sur les Champs-Elysées, le revers est amer et humiliant.
Il est clair que personne n’aurait mieux négocié face à Bismarck, le chancelier de fer. Mais Jules Favre devient logiquement un véritable bouc émissaire, le seul responsable de ce traité de Francfort qui marque la fin de sa carrière politique de premier plan.
Pour se justifier face aux critiques sur son manque de fermeté et d’habileté, Jules Favre écrit ses mémoires.
Après avoir renoncé à son mandat de député, il devient en 1976 sénateur du Rhône et se bat pour l’obtention par les femmes de nouveaux droits. C’est aussi un opposant au gouvernement conservateur et royaliste du nouveau chef de l’Etat Patrice de Mac Mahon.
Toujours avocat, il plaide pour un dernier grand procès, celui des héritiers de Karl Wilhelm Naundorff qui prétendait être le dauphin Louis XVII. Le républicain qui tente de démontrer que les prétentions des Naundorff étaient justifiées, c’est assez cocasse. Et on ne saura jamais le fin mot de l’histoire.
C’est modestement qu’il termine sa vie à Versailles aux côtés de Julie Welten, une institutrice alsacienne de 40 ans. Il consacre son temps à la rédaction d’une autobiographie rédigée sous la forme d’un roman, Henry Belval. A l’automne 1879, se sentant malade, il fait un dernier voyage en Suisse avec sa femme. Et meurt le 19 janvier 1880 à 70 ans. Un peu dans l’oubli car à l’époque, on ne jure que par Gambetta.
Par son combat et sa ténacité, Jules Favre incarne tout à fait cette tradition républicaine qui est née à Lyon au XIXe siècle. Il n’était ni opportuniste comme Adolphe Thiers, ni outrancier comme Léon Gambetta ou extrémiste comme Eugène Raspail. Jules Favre annonçait déjà cet esprit républicain et modéré qu’incarnera ensuite Edouard Herriot et qui reste une composante de la sociologie lyonnaise.
Aujourd'hui c'est un arrêt de bus toujours dans un quartier bobo...
Signaler RépondreTrès intéressant..vous avez fait ressusciter Jules Favre...qui grâce à vous à été sénateur du Rhône...en 1976..?!
Signaler RépondreUn grand fonctionnaire de la République...What else ?
Signaler RépondreLa barbe, ça fait vraiment sale… Vive les imberbes !
Signaler RépondreC'est au Château de Ferrières, magnifique propriété de James de Rothschild, qu’Otto von Bismarck dicta les bases du traité de Francfort à Jules Favre.
Signaler Répondrehttps://fr.wikipedia.org/wiki/James_de_Rothschild
hi,hi,hi
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