Qui étaient les Gadagne, les financiers lyonnais du royaume ?

Qui étaient les Gadagne, les financiers lyonnais du royaume ?
Thomas Gadagne - DR

D'origine italienne, Simon Gadagne s'installe à Lyon durant le XVe siècle. Commerçant et banquier, il va fonder une véritable dynastie. Les Gadagne furent l'une des plus riches et puissantes familles de France, proches du roi auquel ils resteront fidèles notamment pendant les guerres de religion.

Les Guadagni sont des commerçants et banquiers italiens prospères, originaires de Fiesoles en Toscane. Mais au milieu du XVe siècle, la famille est condamnée à l'exil pour avoir comploté contre les Médicis qui régnaient sur Florence.

Simon Guadagni, âgé alors de 23 ans, s'installe à Turin pendant quelques années. Et son activité le mène à Genève, Montpellier, en Savoie… Mais c'est à Lyon en 1459 qu'il choisit de s'établir avec ses proches.

Après la guerre de Cent ans, Lyon est devenue très prospère. Beaucoup d'Italiens s'y installent pour faire fortune, attirés par cette ville proche de leur pays d'origine. Et ils vont largement contribuer au rayonnement lyonnais.

En moins d'un siècle, la population de Lyon passe de 20 000 à près de 80 000 habitants. Les quatre grandes foires franches annuelles permettent ce développement rapide, elles attirent de nombreux marchands venus de toute l'Europe. C'est aussi à Lyon que se fixe le taux des changes entre les monnaies du continent et le taux des prêts à intérêts.

Un tiers des importations de la France transitent par Lyon : les draps, toiles et métaux venus des Pays-Bas, d'Angleterre et d'Allemagne, les épices, la soie et les bijoux en provenance des pays méditerranéens…

Les Italiens de Lyon, venus de Gênes, Milan, Turin et surtout de Florence jouent un rôle essentiel dans le domaine commercial et bancaire. Les Médicis y ont fondé en 1466 la première succursale bancaire.

En 1500, il y a déjà 70 familles florentines à Lyon : les Strozzi, les Pazzi, les Rinucci, les Spina, les Bonvisi et surtout les Gondi qui se font construire à Pierre-Bénite le petit et le grand Perron, deux villas florentines en partie inscrites au titre des monuments historiques en 1979.

Dans l'ensemble, les rapports avec les Lyonnais sont bons. Ces derniers ont conscience de l'importance des Italiens pour la prospérité de la ville. Et l'intégration est souhaitée par les Italiens qui se marient avec des Françaises, se font naturaliser et francisent leur nom. A l'instar de Simon Guadagni, qui devient Gadagne.

A Lyon, il place ses trois fils Thomas, Olivier et François chez les Pazzi pour leur apprendre les ficelles du commerce et de la banque.

Simon Gadagne meurt en 1480.

Deuxième génération : la renommée locale

Thomas Gadagne s'installe alors à son compte et s'associe à ses deux frères. Ingénieux, ils allient avec talent le commerce de marchandises aux activités bancaires. Ils inventent par exemple un système dit de "paiement des foires" qui permet de faire circuler à travers toute l'Europe des lettres de change. Ces traites sont une garantie de sécurité et d'efficacité.

Les affaires marchent très bien pour les Gadagne qui deviennent très riches. Ils ont eu l'excellente idée d'investir dans la soie en prêtant de l'argent aux premiers ateliers de tissage lyonnais. Le secteur est très prospère, et en 1550, déjà plus de 10 000 personnes vivent de cette activité à Lyon, avec les belles retombées que cela implique pour la famille Gadagne.

Comme le reste de la communauté italienne, les Gadagne vivent dans le quartier Saint-Jean. Les belles demeures du Vieux-Lyon et du quartier Mercière ont largement permis à Lyon d'être, des siècles plus tard, classée au patrimoine mondial de l'humanité.

Thomas Gadagne se marie en 1507 avec Péronette Buatier, issue d'une grande famille de notables lyonnais. Mais le couple n'a pas d'enfants.

Ce sont donc les fils de son frère Olivier qui prennent la relève après sa mort à l'âge de 80 ans en 1533. Notamment Thomas II, né en 1495 et qui travaille avec son oncle dès 1515.

Troisième génération : une fortune continentale

C'est lui qui va faire entrer la famille dans une autre dimension. A tel point qu'à Lyon, on ne disait plus "riche comme Crésus", mais "riche comme Gadagne" ! En 1537, sa fortune est évaluée à 400 000 ducats. Les Gadagne sont alors la famille la plus riche de France, et peut-être même d'Europe.

A cette époque, les guerres d'Italie font rage. Charles VII, Louis XII, François Ier et Henri II font de l'Italie leur principal champ de bataille contre la Maison d'Autriche, alliée à l'Espagne de Charles Quint.

Les Florentins sont de grands alliés de la France, d'où le mariage de Catherine de Médicis avec Henri II. Beaucoup d'artistes italiens comme Leonard de Vinci étaient ainsi accueillis à la cour de France, et tous passaient logiquement par Lyon. Aujourd'hui, ils prendraient le tunnel de Fourvière. Hier, ils empruntaient le fameux pont de la Guillotière.

Pour être au plus près des opérations militaires, le roi et sa cour s'installent durant des mois à Lyon. Et pour financer ces coûteuses campagnes, les souverains font appel aux riches banquiers italiens, qui leur prêtent des sommes considérables. Les Gadagne tout particulièrement.

Ce sont eux qui financent en 1520 la célèbre entrevue du camp du Drap d'or qui a lieu près de Calais entre François Ier et le roi d'Angleterre Henri VIII. Une réception fastueuse qui permet à la France d'obtenir la neutralité anglaise dans les guerres d'Italie.

Quelques années plus tard, en 1525, les Gadagne mettent 50 000 écus à la disposition de la reine mère pour obtenir la libération de François Ier, fait prisonnier par les Autrichiens.

Avec la famille Gondi, ils financent aussi pour le compte du roi l'expédition de Giovanni Verrazano. Grand navigateur, par ailleurs cousin des Gadagne, il part en 1524 à la recherche d'une nouvelle route vers les Indes. Et découvre la côte atlantique des Etats-Unis, future New York où il implante un comptoir.

A Lyon, les Gadagne sont aussi investis dans la politique locale. Thomas et Thomas II font partie du consulat, sorte de conseil municipal de l'époque. Et en 1537, Thomas II est chargé de percevoir l'impôt très lucratif de la "ferme du sel et gabelle".

Leur influence dépasse largement Lyon. Contre 2200 écus d'or, ils s'offrent le domaine de Beauregard à Saint-Genis-Laval. Outre leur important comptoir en Avignon, ils font construire sur la terre de la papauté un couvent et un hôpital, et font l'acquisition d'un superbe hôtel particulier auprès de la famille de Sade.

Ce sont aussi des mécènes, à l'âme charitable. Ils font de nombreux dons aux pauvres et aux ordres religieux. En 1534, Thomas II fait construire par le grand architecte florentin Salvatori la galerie Saint-Thomas de l'hôpital Saint-Laurent, bâtiment pour les pestiférés situé au bas de la montée de Choulans.

Thomas II a eu sept enfants, dont trois meurent très tôt. Les quatre autres, Jeanne, Hélène, Thomas III et Guillaume, sont encore jeunes quand leur père décède en 1534.

Quatrième génération : les fiefs et seigneuries

Abisse del Besse, homme de confiance de Thomas II et futur surintendant des finances d'Henri II, devient leur tuteur, tout comme le banquier Laurent Capponi.

A partir de la deuxième moitié du XVIe siècle, les Gadagne s'occupent essentiellement de la gestion de la fortune accumulée par les générations précédentes.

En 1545, ils rachètent à la famille Pierrevive, d'origine piémontaise, un superbe hôtel particulier construit entre 1511 et 1527. Résidence des Gadagne dans le Vieux-Lyon, elle accueille aujourd'hui le célèbre musée portant leur nom.

La vie menée par les Gadagne est grandiose. Guillaume et son frère Thomas III font donner des fêtes somptueuses, des tournois… Guillaume excelle à la course des bagues, un jeu d'adresse à cheval où il faut enfiler sa lance dans une bague accrochée à un fil.

Ils offrent aussi à la population des "momeries", des mascarades avec des défilés qui éblouissent les Lyonnais.

Les services rendus aux rois ont été récompensés par des fiefs et seigneuries. Les Gadagne obtiennent ainsi la seigneurie de Saint-Victor-la-Côte près d'Avignon. En Bourgogne, Guillaume achète la terre de Verdun-sur-le-Doubs, érigée en comté par son fils. En 1571, la baronnie de Champroux dans le Bourbonnais. Il devient aussi baron du Lunel et seigneur de Gallargue dans le Languedoc. Sans oublier la baronnie d'Ambérieu en Dombes, le domaine de Charly au sud de Lyon, le double fief de Saint-Héand et Saint-Galmier dans le Forez…

La dernière grande consécration de la famille, c'est le château de Bouthéon dans la Loire. Une magnifique demeure dont Guillaume fait sa résidence. A tel point qu'il se fait appeler M. de Bouthéon. Entouré d'une cour brillante, il contribue à répandre la culture italienne dans la région stéphanoise.

Quant à Thomas III, son fief se trouve à Saint-Genis-Laval où il a aménagé à l'italienne le domaine de Beauregard hérité de son père. Lui aussi se fait appeler M. de Beauregard. Il y recevra à plusieurs reprises le jeune roi Charles IX et sa mère Catherine de Médicis, le duc d'Anjou, le futur Henri III, Henri IV… Sans oublier Nostradamus ou la princesse Christine de Lorraine.

A cette époque, les Gadagne ne sont plus des commerçants mais de véritables nobles au service de la couronne. En 1556, Thomas III est nommé bailli du Beaujolais et rend la justice au nom du roi. Puis en 1570, il devient lieutenant général du Bourbonnais. Guillaume n'est pas en reste, puisqu'il était lieutenant général du Lyonnais, du Forez et du Beaujolais depuis 1554.

Lors des guerres de religion en 1560, les frères Gadagne se mettent spontanément au service du roi. Guillaume prend part à toutes les batailles contre les protestants jusqu'en 1570.

En prenant parti pour Henri IV, Guillaume reçoit du roi la distinction suprême : le collier de l'ordre du Saint-Esprit. Et en 1600, le souverain lui confie les préparatifs de son mariage à Lyon avec Marie de Médicis. Une dernière mission, avant sa mort en 1601 à 67 ans. Thomas III l'avait déjà quitté quelques années auparavant, en 1594.

Les frères Gadagne ont eu de nombreux enfants : huit pour Guillaume et dix pour Thomas III. Les garçons se sont pour la plupart illustrés dans les campagnes militaires du roi, tandis que les filles entraient en religion ou épousaient des gentilshommes du Lyonnais.

Leurs descendances ont finalement quitté la France pour retrouver leurs racines florentines.

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1 commentaire
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mouchette le 15/12/2024 à 15:19

Très instructif, et intéressant. On aimerait bien savoir se que sont devenus les descendants qui sont retournés en Italie, il doit quand même rester quelques traces de toutes cette fratrie sur notre sol..

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