La famille Jacquard est originaire des Monts d'Or. Ou plutôt les Charles dit Jacquard. Le grand-père de Joseph-Marie, Isaac Charles dit Jacquard, était donc tailleur de pierres à Couzon. Et son père, Jean Charles, s'installe à Lyon pour devenir ouvrier en soie. Avec sa femme, Antoinette Rive, une Savoyarde, il exploite deux métiers à tisser sur lesquels il fabrique des étoffes de soie, d'or et d'argent.
Ouvrier en soie, c'est un peu l'aristocratie ouvrière. Ce sont des artisans qui travaillent selon un tarif fixé à l'avance. Ces ouvriers en soie qu'on appellera ensuite les canuts ont une certaine indépendance : ils sont propriétaires de leur atelier, de leur métier à tisser et ils rémunèrent eux-mêmes le personnel qu'ils emploient.
L'atelier de Jean-Charles Jacquard est situé grande rue de l'Hôpital, près de l'Hôtel-Dieu. C'est là que sa famille vit et travaille, et où naît son fils Joseph-Marie le 7 juillet 1752.
C'est le cinquième de huit enfants, mais seuls sa soeur aînée Clémence et lui survivront.
Joseph-Marie Jacquard apprend à lire et à écrire mais ne fait pas d'études et s'instruit tout seul. Autodidacte, sa démarche est toujours pragmatique, concrète. Dès son plus jeune âge, c'est un vrai bricoleur qui fourmille d'idées et passe son temps à fabriquer de petits objets en bois, en fer, des meubles, des outils…
Après avoir travaillé comme relieur chez le mari de sa soeur, l'imprimeur-éditeur Jean-Marie Barret, Joseph-Marie Jacquard s'intéresse fortement à l'imprimerie. Il est engagé par Saulnier, un fondeur de caractères très connu à l'époque dans la région.
C'est à la mort de son père en 1772 qu'il doit faire un choix, en tant que seul homme de la famille : reprendre l'entreprise paternelle ou continuer dans l'imprimerie. Il devient finalement négociant en soie.
La même année, il épouse Claudine Boichon, fille d'un maître fourbisseur lyonnais, c'est-à-dire un artisan spécialisé dans le montage et le polissage d'armes blanches.
Le couple vit rue Bouteille dans le 1er arrondissement, près du quai Saint-Vincent. C'est là que naît leur unique enfant en 1779, Jean-Marie.
Le début de la traversée du désert
Joseph-Marie Jacquard se révèle être un piètre négociant en soie. Il fait de mauvaises affaires qui le conduisent à avoir de gros problèmes financiers. Pour faire vivre le ménage, sa femme doit fabriquer des chapeaux de paille.
Juste avant la Révolution, il abandonne son commerce et devient chaufournier, un ouvrier dans un four à chaux.
Comme beaucoup de Lyonnais, il s'enrôle dans l'armée girondine du général Précy pour défendre sa ville contre Robespierre et ses Ultras de la Révolution. Et il emmène même avec lui son fils qui n'a que 14 ans.
Mais après un siège de cinq mois, Lyon tombe aux mains des Révolutionnaires et les Jacquard doivent se cacher pour sauver leur vie. Père et fils s'engagent ensuite dans l'armée du Rhin pour défendre la République contre les envahisseurs prussiens et autrichiens. Mais Jean-Marie est tué le 22 décembre 1793 à la bataille de Geisberg. Anéanti, son père rentre à Lyon.
Il retrouve une ville dévastée par les troupes de Fouché. Avec sa femme, ils survivent en confectionnant des chapeaux. Comme l'écrit Lamartine, "ils pleurèrent ensemble leur enfant, leur jeunesse, leur fortune et leurs espérances".
Joseph-Marie Jacquard est un obstiné. Depuis des années, il a une idée de génie en tête : améliorer le métier à tisser sur lequel travaillent les ouvriers en soie.
Il trouve un travail chez Pernon, un atelier de tissage très connu. Et, encouragé par son nouveau patron, il réfléchit à son nouveau système, étudie la mécanique, lit tous les ouvrages sur les techniques du tissage et finit par trouver la solution.
Le 23 décembre 1800, Joseph-Marie Jacquard a alors 48 ans et il obtient un premier brevet d'invention pour sa machine. Une nouvelle vie commence.
Les honneurs, les insultes et le désintérêt
Son métier à tisser est révolutionnaire car il supprime le tireur de lacs dans la fabrication des étoffes brochées et façonnées. Le tireur de lacs, c'est un ouvrier qui reste debout à côté du métier à tisser et qui tire les cordes pour soulever les fils qui permettent de composer les motifs d'un tissu. Un poste très pénible, mal payé et ne demandant aucune compétence particulière, généralement occupé par les femmes et les enfants, globalement traités comme des esclaves.
A cette époque, il y a environ 7000 ateliers à Lyon, implantés essentiellement dans le quartier Saint-Georges. Ce sont des ateliers familiaux où l'ouvrier en soie travaille avec sa femme, ses enfants, mais aussi des compagnons et des apprentis. La paie quotidienne est misérable : 40 sous par jour, soit 50 centimes de nos jours. Surtout que pour acheter un métier à tisser, il fallait débourser l'équivalent de 50 euros.
Avec son invention, Jacquard convainc immédiatement. Car depuis longtemps on cherche à supprimer ce travail très pénible de tireur de lacs.
S'inspirant du travail du tisseur lyonnais Jean-Baptiste Falcon et du mécanicien grenoblois Jacques de Vaucanson, il combine leurs inventions pour parvenir à ses fins. Le premier avait imaginé un système de rubans perforés pour contrôler le passage des aiguilles dans le tissu. Le second inventa les cartons perforés, qu'on utilisera plus tard pour l'orgue de Barbarie.
Opportuniste certes, mais surtout visionnaire. L'historien lyonnais Paul Eymard écrivait en 1863 : "Si Jacquard n'a pas eu le mérite d'inventer sa mécanique de toutes pièces, il n'en a pas moins celui incontestable de la combinaison des inventions qui l'ont précédée. (…) Presque toutes les inventions sont comme un résumé de connaissances déjà acquises et elles apparaissent providentiellement au moment voulu".
Comme les frères Lumière avec le cinéma, c'est souvent un petit plus, une lueur de génie qui est à l'origine des grandes inventions.
Avec la technique du métier Jacquard, le travail est beaucoup plus facile et rapide. On fait en une heure ce qu'on faisait avant en plusieurs jours. Et c'est plus économique puisqu'on économise le salaire du tireur de lacs.
Ce n'est toutefois pas le raz-de-marée chez les canuts car les premiers métiers fonctionnent assez mal. Le dispositif est très encombrant, il fait beaucoup de bruit, provoque d'importantes vibrations… Six ans après son invention, seulement 15 métiers Jacquard sont en service ! L'année suivante, on est passé à 50. A Lyon, on se méfie généralement de la nouveauté…
Joseph-Marie Jacquard a toutefois convaincu des personnalités lyonnaises comme le commissaire des marchands fabricants qui mesure tout l'intérêt de l'invention qui lui fera gagner de l'argent. Ou le maire de Lyon qui lui trouve un poste à l'Antiquaille où il dirige les ateliers de tissage pour les pensionnaires.
Nourri et logé avec sa famille par l'hôpital de l'Antiquaille, il reçoit un salaire annuel d'un peu moins de 800 euros. De quoi vivre confortablement.
Début 1805, Napoléon en personne le félicite pour son invention. Au cours d'une visite à Lyon, l'empereur le rencontre au Palais Saint-Pierre où Jacquard lui présente son métier à tisser. C'est la consécration.
Dans les années qui suivent, il reçoit plusieurs distinctions. Et pourtant, les canuts boudent toujours sa machine !
La naissance d'un quartier
Il faudra attendre 1820 pour que le métier Jacquard commence vraiment à se généraliser. Il y en a près de 2000 à Lyon. Et on en recense 10 000 dix ans plus tard. Les négociants font pression sur les canuts pour qu'ils produisent plus vite et moins cher, les poussant à changer leurs machines.
Le Jacquard est toutefois vilipendé parce que le bruit court que des milliers de Lyonnais vont perdre leur travail à cause de lui. Un métier aurait même été brûlé sur la place des Terreaux, même s'il n'existe aucune preuve de ce récit.
La vérité se trouve plutôt dans la jalousie provoquée son inventeur, qualifié de plagiaire et même d'imposteur. Pourtant, Joseph-Marie Jacquard est décoré de la Légion d'honneur en 1819, une distinction qu'on ne distribuait pas à tout va à l'époque. On peut même dire qu'il a permis à la soierie lyonnaise de faire face aux problèmes de main d'oeuvre consécutifs aux guerres napoléoniennes qui avaient tué beaucoup d'hommes.
"Cette découverte est d'autant plus intéressante que les bras deviennent rares", jugeait ainsi la chambre de commerce en 1808.
Le métier Jacquard fait aussi naître un nouveau quartier à Lyon. Encore une colline verdoyante avec quelques couvents, la Croix-Rousse va accueillir les ouvriers en soie. Ces derniers étaient jusqu'alors groupés sur la rive droite de la Saône, dans le quartier de la Quarantaine, du Gourguillon… Mais les nouvelles machines, plus hautes, exigent des ateliers beaucoup plus élevés de plafond.
Il est donc décidé d'en construire à la Croix-Rousse, avec des traboules permettant de livrer les rouleaux de soie en Presqu'île, même par temps de pluie. Commune indépendante pas encore rattachée à Lyon, la Croix-Rousse bénéficie aussi d'une bonne lumière, indispensable pour la fabrication des étoffes.
La population du quartier quadruple en seulement 20 ans. Et dans les rues de la Croix-Rousse, on n'entend plus que le bruit des métiers à tisser répartis à chaque étage des immeubles de 7 à 8 étages.
Après 1815, Joseph-Marie Jacquard se désintéresse de son invention malgré les perfectionnements qu'elle réclame. Ce sont d'autres mécaniciens comme Jean-Antoine Breton qui rendront son métier à tisser plus performant et rentable.
Installé dans le quartier d'Ainay avec sa femme où il vit comme un bon bourgeois lyonnais, Jacquard déménage en 1817 au 2 rue Vaubecour. Mais il préfère passer une grande partie de son temps à la campagne, dans la villa du Clos Fleury à Oullins, propriété dont il a hérité par la famille de sa femme. C'est d'ailleurs là qu'il meurt le 6 août 1834 à 82 ans.
C'est donc loin des tumultes de la Croix-Rousse que Joseph-Marie Jacquard, en fin de vie, a vécu la révolte des canuts en 1831 et 1834. Retiré de la vie lyonnaise, il n'en a probablement pas beaucoup entendu parler.
Il avait travaillé comme relieur chez le mari de sa sœur, l'imprimeur-éditeur Jean-Marie Barret, imprimeur-libraire : adresse palais St-Pierre, n° 20 place des Terreaux à Lyon, c'est le lieu ou il y a encore de nos jours une librairie " Archipel Librairie ", cela signifie que cela fait plus de 250 ans que ce commerce est lié au livre. Si quelqu'un a des infos, je suis à l'écoute.
Signaler RépondreJe vous conseille d'aller voir un métier Jacquard dans un musée, ça défie l'entendement si on est attentif à sa complexité. Et je ne parle pas de celui qui en commandait un et devait l'installer.
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