Qui était Claude-Marius Vaïsse, l'Haussmann de Lyon ?

Qui était Claude-Marius Vaïsse, l'Haussmann de Lyon ?
Qui était Claude-Marius Vaïsse, l'Haussmann de Lyon ? - DR

Fils de bourgeois marseillais, Claude-Marius Vaïsse a été pendant 10 ans le préfet de Lyon. Nommé par Napoléon III en 1853, il a complètement transformé la ville. Le Haussmann lyonnais a repensé la Presqu'île, imaginé les rues de la Ré et du Président Edouard-Herriot... Mais aussi créé le parc de la Tête d'Or. Si Lyon est aujourd'hui inscrite au patrimoine mondial de l'Unesco, c'est en grande partie grâce à lui.

C'est le 8 août 1799 que Claude-Marius Vaïsse naît dans une famille bourgeoise de Marseille. Ses origines restent toutefois un mystère.

Le jeune homme fait des études de droit dans la cité phocéenne, où il s'installe d'abord comme avoué. Mais après la Révolution de 1830, il profite des circonstances pour se lancer dans une carrière administrative.

Louis-Philippe vient de prendre le pouvoir, et Claude-Marius Vaïsse est nommé secrétaire général de la préfecture des Bouches-du-Rhône, puis sous-préfet de Saint-Quentin en Picardie.
Il est ensuite envoyé en Algérie où il occupe les postes de secrétaire général. Avant de devenir préfet des Pyrénées Orientales jusqu'à la révolution de 1848.

Cette dernière interrompt sa carrière quelques mois. Comme tous les fonctionnaires de Louis-Philippe, Claude-Marius Vaïsse est mis à l'écart. Mais il est vite rappelé par le prince-président, futur Napoléon III, qui lui confie la préfecture du Doubs, puis celle du Nord.

Napoléon III lui fait confiance, et le considère même comme l'un des hauts-fonctionnaires les plus fidèles. D'ailleurs, en 1850, il le nomme ministre de l'Intérieur. Une véritable marque de confiance dans une période très agitée.

En 1853, après être devenu conseiller d'Etat, il est nommé à Lyon. Vaïsse a 54 ans, et Napoléon III lui demande d'organiser la transformation de cette ville. Dans le même temps, il confie une mission identique pour Paris au baron Haussmann.

Napoléon III a de grands projets pour Lyon, ville assez bonapartiste qu'il veut complètement remodeler. Dans ses Mémoires, le ministre de l'Intérieur Victor de Persigny écrit : "Vaïsse, loin des regards jaloux, devait simplement, sans bruit, sans tapage, accomplir dans la deuxième ville de France ce que Haussmann était destiné à faire avec fracas dans la capitale". Le processus d'urbanisation de Lyon servira ensuite de modèle pour d'autres villes de province comme Rouen, Avignon, Nice, Amiens...

A Lyon comme à Paris, Napoléon III a supprimé la fonction de maire. C'est donc le préfet qui a tous les pouvoirs sur la ville.

La préfecture est installée place des Jacobins. Mais pour bien marquer la fin du pouvoir municipal, Vaïsse fait détruire le bâtiment et s'installe plutôt à l'Hôtel de Ville où il prend la succession du préfet Charles Bret, un homme modeste, consciencieux et déjà âgé.

Le pouvoir s'organise à Lyon avec une commission municipale qui assiste le préfet. Son président et ses membres sont nommés par le pouvoir impérial. Ce sont tous des fonctionnaires, aucun n'est élu. Même les maires des cinq arrondissements lyonnais sont nommés.

Claude-Marius Vaïsse n'est pas le seul décideur à Lyon. Le maréchal Boniface de Castellane exerce le pouvoir militaire. Nommé en 1850 par Napoléon III, c'est un homme infatigable, inflexible, qui entend faire respecter l'ordre dans cette ville agitée.

Les rapports entre les deux sont très bons, avec une vraie complicité dans leur travail. Un troisième homme joue également un rôle important à Lyon : le cardinal de Bonald, archevêque de Lyon, avec qui Vaïsse entretient aussi de très bonnes relations.

Claude-Marius Vaïsse, c'est le type même du haut fonctionnaire impérial : froid, dédaigneux et autoritaire. C'est un véritable administrateur. Pour lui, une seule chose compte : remplir la mission qui lui a été confiée. Il ne cherche pas du tout à attirer les sympathies. D'ailleurs, il passe ses journées enfermé dans son cabinet à travailler avec quelques proches collaborateurs. Un Marseillais qui a parfaitement su s'adapter à l'esprit lyonnais !

Une Presqu'île sale, insalubre, archaïque

En 1835, Lyon comptait environ 150 000 habitants, dont plus de 50 000 entassés entre Bellecour et les Terreaux. En 1852, le gouvernement impérial rattache à la ville les communes de La Croix-Rousse, de Vaise et de La Guillotière. Ce qui fait qu'en 1870, Lyon compte près de 400 000 âmes.

Sur le plan urbanistique, le centre-ville n'a pas changé depuis plus de deux siècles. La Presqu'île est un enchevêtrement de rues étroites et sales. Un rapport datant de 1845 dresse un constat assez alarmant : "La partie centrale de la ville de Lyon est celle où la nécessité d'une large restauration se fait plus particulièrement sentir. Les rues sont étroites et sans concordance dans leur percement. L'air, la lumière, l'espace et la facilité de la circulation manquent aux nombreux habitants d'une masse de réduits infects qui enfantent tous les désordres physiques et moraux. Le quartier des Terreaux est un pêle-mêle de maisons où vient s'entasser une population dégradée par la misère, l'insalubrité et le vice. A l'aspect de ces rues ténébreuses, les étrangers fuient notre cité..."

De nombreux écrivains comme Stendhal confirment cette description. En 1837, il écrit dans Mémoires d'un touriste : "Lyon est le pays de la boue noire et des brouillards épais. Il faut voir la tournure et le costume "canut" des gens qui se démènent dans cette brume fétide... Ce qui fait mon désespoir à Lyon, ce sont ces allées obscures et humides qui servent de passage d'une rue à l'autre. Et quelles rues ! Jamais les maisons de six étages ne permettent au soleil d'arriver jusqu'au pavé".

Même l'anglais Charles Dickens, auteur d'Oliver Twist, partage ce constat : "Les maisons hautes et excessivement sales sont pourries comme de vieux fromages. Les gens entrent et sortent en se traînant, venant répandre sur le trottoir un souffle haletant, se faufilant parmi d'énormes piles et balles de marchandises d'où émane une odeur suffocante de moisi et de renfermé".

Vu l'état du centre-ville, les bourgeois abandonnent leurs demeures lyonnaises pour s'installer à l'extérieur.

Et rares sont les travaux conséquents réalisés depuis des décennies. Le maire de Lyon Jean-François Terme avait, en 1846, fait percer la rue Centrale, aujourd'hui rue de Brest. Mais c'est un axe relativement étroit...

Des projets, il n'en manque pourtant pas, mais aucun ne voit le jour. Des municipalités ont imaginé une large voie centrale entre Bellecour et les Terreaux pour aérer le quartier et mettre en valeur les monuments de la ville. D'autres souhaitaient accéder aux demandes des Lyonnais concernant le prolongement de la rue Grenette jusqu'à la Saône.

Ce qui provoque cette inertie, ce sont les difficultés liées à l'expropriation. Car les bourgeois s'accrochent à leurs immeubles et ne veulent pas entendre parler de travaux.

C'est pourquoi Claude-Marius Vaïsse va trouver la solution adéquate à ce problème : il va imposer son projet aux notables sans leur demander leur avis ! Un décret du 26 mars 1852 va d'ailleurs accélérer ces expropriations pour permettre de nettoyer le centre-ville, l'assainir et le réhabiliter, ainsi que de créer de grands axes de circulation. Le préfet veut clairement faire de Lyon une ville moderne.

La réalisation la plus spectaculaire de Vaïsse, c'est incontestablement la rue Impériale, qui deviendra en 1870 la rue de la République. Le percement de cette artère exige de mettre en oeuvre une gigantesque opération d'urbanisme entièrement axée autour de la rue.

Les travaux sont financés par des fonds publics mais aussi privés. Le préfet crée la Société de la rue Impériale et ouvre une souscription de 14 000 actions, qui est couverte en 48 heures. Un vrai succès qui permet de constituer un capital de 7 millions de francs auxquels s'ajoutent 4 millions versés par l'Etat.

L'architecte lyonnais Benoît Poncet est nommé architecte directeur de ce projet appelé à être réalisé en plusieurs étapes, pour ne pas trop brusquer les Lyonnais. Enfin, le moins possible car ce sont tout de même 270 maisons qui sont abattues pour percer la rue Impériale, et 10 000 habitants chassés du secteur !

Dès 1857, les premiers nouveaux immeubles sont habités, mais la rue Impériale ne sera inaugurée qu'en 1860 par Napoléon III.

A la même période, Claude-Marius Vaïsse fait construire le Palais du Commerce et les Halles des Cordeliers. On perce également rue de l'Impératrice, future rue Edouard-Herriot. Les rues d'Algérie, Constantine, Lafont, de la Barre sont élargies. Les taudis sont détruits et on reconstruit ou restaure la plupart des bâtiments de la Presqu'île : l'Hôtel de Ville, le lycée Impérial (futur lycée Ampère) ou le palais Saint-Pierre...

Ces travaux permettent l'installation d'une bourgeoisie nouvellement enrichie. Les nouveaux appartements sont pratiques et spacieux, leurs façades sont sobres et bien décorées.

Quant aux anciens habitants exclus, ils s'entassent dans les secteurs pas encore rénovés comme la rue Mercière côté Saône et le quartier Grolée côté Rhône. D'autres vont s'installer dans les faubourgs, à la Guillotière et la Croix-Rousse.

Si Vaïsse donne la priorité à la Presqu'île, c'est aussi parce que les vastes rues permettent de déployer facilement les forces de l'ordre en cas d'émeutes. Le maréchal de Castellane écrit d'ailleurs : "La rue Impériale, j'en suis convaincu depuis trois ans que j'habite à Lyon, est encore plus indispensable sous le rapport stratégique que sous celui de la salubrité, de l'embellissement de cette ville et de son utilité pour les habitants. Le maintien de la tranquillité dans cette cité est une chose importante pour le gouvernement, de belles et larges rues contribuent aussi à améliorer le moral de la population".

Des rues et des immeubles, mais pas que

A Saint-Jean, Vaïsse crée l'avenue de l'Archevêché, aujourd'hui Adolphe Max. Et à la Croix-Rousse, il ouvre le cours des Chartreux avec ses jardins, tout en rénovant le secteur de l'Annonciade et du jardin des Plantes. C'est aussi lui qui est à l'origine du parc de la Tête d'Or, construit entre 1856 et 1858 par l'architecte paysagiste Bülher sur des terrains marécageux achetés aux hospices civils.

Préoccupé par l'hygiène et la santé publique, le préfet décide de revoir complètement le système de digues après la mémorable crue de 1856. Ce qui permet de mettre définitivement la rive gauche du Rhône à l'abri des inondations.

Dans les rues nouvellement percées, il conçoit un système d'égouts destiné à recevoir les eaux pluviales et les immondices pour les rejeter dans le Rhône, en aval du pont de la Mulatière.

On lui doit également l'hôpital de la Croix-Rousse, ainsi que des écoles, des asiles, des églises... Il favorise aussi la création de caisses de retraite et de caisses d'épargne, il organise des sociétés de secours mutuel...

En revanche, le préfet n'est pas un homme qui aime s'amuser. Assez austère, célibataire, il vit seul et ne sort jamais. Claude-Marius Vaïsse ne conçoit pas que les Lyonnais gaspillent leur argent à se distraire. Il se méfie donc des cafés et brasseries, et tente même d'interdire la vogue de la Croix-Rousse !

Son manque d'appétence pour le terrain se traduit même par une absence remarquée sur les grands chantiers qu'il lance. Loin de lui l'idée de superviser le moindre détail, il préfère déléguer aux architectes et ingénieurs, notamment Tony Desjardins, René Dardel ou l'ingénieur en chef de la ville, Gustave Bonnet.

Le préfet rencontre assez peu d'opposition. Les républicains rendent même hommage à ses qualités, même si certains estiment qu'il va trop loin. Le député républicain Jean-Louis Hénon, futur maire de Lyon, dénonce par exemple l'endettement de la ville. Car avec ses grands projets, Vaïsse a endetté Lyon pour 50 ans !

Claude-Marius Vaïsse meurt le 29 août 1864 d'une rupture d'anévrisme alors qu'il reçoit un élu de la région dans son bureau. Une mort brutale, avant l'achèvement des travaux.

Pas forcément connu du grand public actuel, le haut-fonctionnaire fut l'un des Lyonnais qui a le plus marqué le visage de la ville. Si Lyon est inscrite au patrimoine mondial de l'UNESCO, c'est en partie grâce à lui.

Pourtant, les municipalités successives lui rendent ingratement hommage aujourd'hui avec une minuscule rue dans le 6e arrondissement et une statue de quelques centimètres posée sur un socle immense au fond du parc de la Tête d'Or. Même son prénom a été mal orthographié sur la plaque, Claude-Marius s'étant transformé en Jean-Claude...

Un mépris assumé puisqu'il a servi un régime autoritaire que la République lui ayant succédé à cherché à discréditer.

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8 commentaires
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je crois plutot le 16/03/2025 à 19:57
histoire a écrit le 16/03/2025 à 14h51

dans un siècle on parlera de doucet comme du grand démolisseur de lyon

que dans moins de 10 ans , plus personne ne s'en souviendra ; et cela sera aussi bien ; un mauvais cauchemar a oublier en quelque sorte ... bon , certes il va falloir éponger le désastre financier ; le prix a payer pour 'un moment d'égarement ' si l'on peut dire ...

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Tatin le 16/03/2025 à 19:52

Belle époque parce qu'il y avait de l'harmonie architecturale, de nos jours c'est "Arlequin" des compositions à la Picasso faites de pièces et de morceaux sans cohésion les unes avec les autres.

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GAD le 16/03/2025 à 18:29

Il va nous falloir un nouveau Vaïsse après la parenthèse écologiste !

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eastwood le 16/03/2025 à 17:40
L'empereur doudou a écrit le 16/03/2025 à 15h35

Pourquoi pas et ont mettra sa statue de doucet a la place de l'actuel statue de la place Bellecour en vous fesant Un doigt d'honneur

toi tu creuses !

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cela se fait rare le 16/03/2025 à 16:39

de véritables hommes d'état , visionnaires a long terme ; et non pas des politicards qui sautillent d'élections en élections comme nous subissons (avec notre complicité électorale ) depuis plus de 40 ans

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L'empereur doudou le 16/03/2025 à 15:35
histoire a écrit le 16/03/2025 à 14h51

dans un siècle on parlera de doucet comme du grand démolisseur de lyon

Pourquoi pas et ont mettra sa statue de doucet a la place de l'actuel statue de la place Bellecour en vous fesant Un doigt d'honneur

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histoire le 16/03/2025 à 14:51

dans un siècle on parlera de doucet comme du grand démolisseur de lyon

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123456 le 16/03/2025 à 14:29

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