Boussois-Souchon-Neuvesel (BSN) : la saga de Givors qui emmena Danone au sommet

Boussois-Souchon-Neuvesel (BSN) : la saga de Givors qui emmena Danone au sommet
Boussois-Souchon-Neuvesel (BSN) : la saga de Givors qui donna naissance à Danone - DR

C'est l'une des plus grandes sagas entrepreunariales de la région. Du Chablais à Givors, BSN a surfé sur la vague de l'évolution des moeurs des Français, de plus en plus attachés à la consommation d'eau et surtout de vin en bouteille.

Au XVIIIe siècle, la famille Neuvesel est une des plus anciennes familles du Chablais. Elle est originaire du village de Neuvecelle, situé près d'Evian en Haute-Savoie, où cette ligne de chevaliers possédait un château.

Petits nobles vivant de la guerre, les Neuvesel s'établissent maîtres-verriers en Franche-Comté pour ne pas perdre leur privilège et leur rang social. Car c'est l'un des rares métiers qui permet de travailler tout en conservant la qualité de noble.

Dès la fin du XVIIIe siècle, ils s'installent dans la vallée du Gier et à Givors où de nombreuses verreries sont créées avec l'apparition des fours à charbon.

La vallée du Gier a un certain nombre d'atouts qui vont favoriser le développement de l'industrie verrière : la matière première avec les sables du Rhône, le combustible avec le charbon de la Loire mais aussi le marché de l'embouteillage avec les Cotes du Rhône, le beaujolais… Et cette production pouvait être transportée grâce à une voie de communication très pratique : le Rhône.

En 1863, Jean-Baptiste Neuvesel quitte la puissante Compagnie Générale des Verreries de la Loire et du Rhône. Directeur d'une fabrique à Givors, il s'établit à son compte.

Puis saute sur une occasion en or l'année suivante : une ancienne cristallerie transformée en bouteillerie vient de tomber en faillite. Le 12 mars 1864, il décide de racheter cette entreprise avec son beau-frère et crée les Nouvelles Verreries de Givors.

Des conditions de travail effroyables

Dès la première année, Jean-Baptiste Neuvesel emploie une cinquantaine d'ouvriers verriers. Des effectifs qui doublent rapidement. Et dix ans plus tard, ils sont 400.

En 1870, l'entreprise compte trois fours de fusion avec forges, vannerie, logements d'ouvriers et bureaux sur 11 000m2.

Le souffleur qui roule le verre en fusion en le frappant pour l'allonger peut produire jusqu'à 400 bouteilles par jour. Mais ses conditions de travail sont épouvantables. Il fait si chaud dans les ateliers que les verriers sont obligés de boire au moins 20 litres d'eau par jour ! Les maladies pulmonaires et les tuberculoses sont fréquentes et elles se transmettent très facilement par les cannes dans lesquelles on souffle le verre.

La verrerie fabrique des bouteilles en tout genre, mais la spécialité c'est la "Dame-Jeanne", une bonbonne recouverte de paille ayant une contenance de 60 litres.

La production est assez irrégulière au début car elle est soumise aux aléas des vendanges. Mais les cafés se multiplient, la consommation de vin augmente. Et vers 1870, la production annuelle dépasse les 4 millions de bouteilles et 2,5 millions de "Dame-Jeanne".

Un problème de taille survient. Car l'apparition du phylloxéra dévaste tout. Le vignoble des Cotes-du-Rhône est anéanti. Et le marché des bouteilles de vin s'effondre.

Mais Neuvesel tient le coup, grâce au marché des eaux minérales qui se développe de façon spectaculaire avec le thermalisme. Ainsi qu'avec le développement dans la région de l'industrie chimique qui utilise des bonbonnes pour conditionner sa production.

Jean-Baptiste Neuvesel est un véritable industriel, passionné, qui a appris le métier et qui est un excellent gestionnaire. Sa priorité, c'est l'innovation technologique. D'ailleurs, les statuts prévoient que 20% des bénéfices soient obligatoirement réinvestis dans l'entreprise.

Une stratégie payante car en 10 ans, elle devient la première verrerie de Givors. Et en 10 ans de plus, en 1880, la première du département du Rhône.

Jean-Baptiste Neuvesel a ainsi amassé une belle fortune. Mais contrairement à d'autres patrons, il n'achète pas de toiles de maître, n'entretient pas de danseuses et se refuse à faire de la politique. Il vit simplement à Givors et l'été, il s'installe dans la propriété achetée par son fils Fleury à Saint-Andéol-le-Château, qui deviendra plus tard le centre de formation de BSN.

Une nouvelle génération pour moderniser, penser autrement

En 1900, sa petite-fille Marie Neuvesel épouse Eugène Souchon. Jeune ingénieur lyonnais diplômé de l'Ecole centrale de Paris, c'est un meneur d'hommes, intuitif et pragmatique.

Il entre aux verreries et prend la tête de l'entreprise à la mort de Fleury Neuvesel en 1907. Il la dirigera jusqu'en 1931, et va lui donner une impulsion décisive.

Eugène Souchon modernise l'entreprise en mettant en place le soufflage du verre par air comprimé. Souchon-Neuvesel sera parmi les premières à avoir un outil industriel mécanisé. Par étapes successives, il en fait le numéro 1 régional, puis national du verre creux en organisant un système de coopération volontaire entre les différentes verreries.

A ses qualités intellectuelles s'ajoutent de solides convictions humanistes. Il fut l'un des premiers patrons de France à organiser des colonies de vacances pour les enfants des ouvriers qui travaillent dans sa verrerie.

Eugène Souchon introduit l'entreprise sur le marché des eaux minérales et obtient l'exclusivité de la production des bouteilles d'Evian.

Mais la Première Guerre mondiale provoque l'arrêt de nombreuses verreries ou leur transformation en usine d'armement. Eugène Souchon, qui est capitaine de réserve, se retrouve au 14e escadron du train où il commande le centre d'approvisionnement de matériel automobile de Lyon pendant toute la durée des hostilités.

Durant le conflit, c'est son associé et beau-frère Amédée Frachon qui gère l'entreprise givordine.

En 1920, Eugène Souchon transforme la verrerie en société anonyme au capital de 2,5 millions de francs, elle prend le nom de Verrerie Souchon-Neuvesel. Et son siège social est transféré à Lyon, rue de la Bourse.

S'il vit désormais boulevard des Belges et possède une maison à Saint-Aygulf, Eugène Souchon n'est toujours pas un mondain.

La crise de 1929 touche durement l'industrie verrière, dont la production ne faiblit pas mais les prix s'effondrent. Il faudra attendre 1938 pour que l'activité redémarre vraiment.

En 1931, Eugène Souchon meurt à 58 ans à la suite d'une opération chirurgicale. Près de 8000 personnes suivent ses obsèques à Givors, du jamais vu !

Sa femme Marie Neuvesel lui succède à la présidence du conseil d'administration jusqu'à sa mort en 1942. Puis vient le tour des neveux Lucien Frachon et Georges Roque.

L'arrivée des Riboud

Durant la Seconde Guerre mondiale, l'entreprise n'est pas réquisitionnée, le verre n'étant pas considéré comme un secteur d'activité stratégique.

En 1942, un évènement décisif passe alors inaperçu : un jeune homme de 24 ans est embauché. Un certain Antoine Riboud…

Issu d'une grande famille lyonnaise qui a fait fortune dans le textile et qui vit à Ecully, son père Camille est président de la Lyonnaise de banque, comme l'était son grand-père avant lui.

Si les fils de Camille Riboud sont brillants, Antoine est un garçon turbulent et assez mauvais élève. Il est alors envoyé chez les maristes à Fribourg en Suisse. Mais c'est un échec et Antoine Riboud est obligé de passer le concours de l'école supérieure de commerce de Paris. En 1938, il réussit de justesse le concours d'entrée dont il sortira dernier.

Lorsque son père meurt en 1939, il est embauché dans la verrerie où il va bricoler une dizaine d'années. Il sert de secrétaire à son oncle Georges Roque, président du groupe de 1941 à 1965. Touche à tout, Antoine Riboud va vite devenir le spécialiste des problèmes difficiles : quand une grève éclate ou qu'un client est mécontent, c'est lui qu'on envoie.

C'est une véritable révélation. Passionné par son métier, c'est un homme de communication à la fois sincère, charismatique et drôle, capable de trancher et de prendre des décisions fulgurantes. Un côté gamin, imprévisible et provocateur qui agace toutefois la bourgeoisie lyonnaise qui le méprise.

Antoine Riboud parvient à prendre le pouvoir dans le dos de son oncle et en 1965, il se fait nommer PDG par les administrateurs, et notamment ses cousins qui ne contesteront jamais sa supériorité.

A l'époque, Souchon-Neuvesel réalise un chiffre d'affaires d'1,2 milliard de francs, emploie 4650 personnes et produit près de 400 000 tonnes de verre, dont 65% sous forme de bouteilles.

Le 25 février 1966, Boussois, une société qui fabrique des vitres pour le bâtiment et l'automobile, fusionne avec Souchon-Neuvesel. Antoine Riboud est l'initiateur de l'opération qui donne naissance à Boussois-Souchon-Neuvesel : BSN. Nommé PDG, il s'installe à Paris, loin du mépris de ses pairs lyonnais.

Puis en 1968, il lance une OPA hostile contre Saint-Gobain, un groupe qui réalise un chiffre d'affaires presque dix fois plus important que BSN ! Une manoeuvre inédite, qui fait sensation dans les milieux financiers. Si l'opération capote, Antoine Riboud se fait un nom auprès du grand public.

C'est une étape importante car après cet échec, il décide de se développer dans l'alimentaire. Un an plus tard, il prend d'ailleurs le contrôle de la Société européenne de brasseries, mais aussi de Kronenbourg et des eaux d'Evian. C'est le début d'une longue série d'acquisitions pour BSN, qui en une vingtaine d'années deviendra le groupe Danone, le numéro 1 français.

La première activité de fabrication de verre, portée par BSN Emballage dont le siège social était à Villeurbanne, est finalement délaissée en 2003. Le fonds d'investissement CVC Capital Partners, dont on parle beaucoup en ce moment au sujet de la Ligue 1 de football, récupère ainsi 100% du capital.

Les Luxembourgeois ont d'ailleurs un faible pour Lyon, puisqu'ils rachètent également Panzani et April.

Mais BSN Glasspack ne reste pas longtemps en possession de CVC, qui vend à l'américain Owens-Illinois dès l'année suivante, en 2004.

A Givors, il ne reste désormais plus que la cheminée de l'ancienne verrerie BSN qui donne sur le parking du Megarama, et sur le quai Eugène Souchon en bord de Gier. Quant aux anciens verriers, ceux qui sont toujours vivants se battent pour que soit reconnue l'origine professionnelle des cancers qui les déciment.

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6 commentaires
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PJF le 31/03/2025 à 12:20
Ex Précisions a écrit le 30/03/2025 à 15h32

Articles très intéressants chaque semaine, merci LM !
Mais aujourd'hui le groupe Danone s'amuse à faire du greenwashing, à puiser l'eau pour leurs bouteilles dans n'importe quel cours d'eau avec tout plein de résidus des eaux usées malgré une filtration qui est en plus interdite.
De toute façon à Givors il n'y a plus grand chose à part un centre commercial qui prend l'eau ;-)

Vius confondez avec Nestlé !

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leger le 31/03/2025 à 09:57

c'est assez symptomatique que les sujets tel celui de BSN fasse réagir autant peu de lecteur il est vrai que c'est un thème un peu plus "profond et réfléchi " que celui des critiques (que je supporte) sur Doucet et Bernard .
Pour ces derniers c'est du pain béni pour les lecteurs qui se lâchent à coup de vannes douteuses ,de propos incendiaires parfois insultants .Intéressant en tt cas de voir la typologie des lecteurs de LM!!!

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Jeronimo69 le 31/03/2025 à 09:56

Quelle tristesse ! Une fortune amassée sur la maladie et la mort !

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Ex Précisions le 30/03/2025 à 15:32

Articles très intéressants chaque semaine, merci LM !
Mais aujourd'hui le groupe Danone s'amuse à faire du greenwashing, à puiser l'eau pour leurs bouteilles dans n'importe quel cours d'eau avec tout plein de résidus des eaux usées malgré une filtration qui est en plus interdite.
De toute façon à Givors il n'y a plus grand chose à part un centre commercial qui prend l'eau ;-)

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leger le 30/03/2025 à 15:06

Article très (trop )synthétique mais qui ne comporte pas d'erreur .Il eut fallut continuer cette saga après l'achat de BSN par OI (Owens -Illinois ) a CVC qui a fermé l'usine de Givors et qui appartenait à une filiale (100%) de BSN dénommée VMC (verrerie mécanique champenoise)
VMC qui sera fusionné plus tard dans OI avait une usine à Reims (300 salariés ) qui sera également fermée en 2011.
Autre précision : les usines de Givors et de Reims ne fabriquaient pas des bouteilles mais des pots (confiture, yogourt,pot pour bébé etc ..) dont le fameux pot pour les conserves Le Parfait et le commercialisait. Pot Le Parfait également vendu à un groupe US (encore) il y a peu .
Enfin il est remarquable de noter qu'à l'origine vers 1970 Danone était une filiale BSN .Grâce au génie d'Antoine Riboud et a ses acquisitions (Kronenbourg ,Evian , Lu et etc ),Danone vers les années années 90 pesait en terme de chiffre d'affaire 10 fois plus que BSN et consequement est devenue filiale de Danone..on inverse les rôles génial non !!
PS : OI (ex BSN ) qui possèdent 2 usines en Espagne est entrain de fermer celle de Barcelon ,200 salariés et s'apprête à mettre en oeuvre un plan social drastique en France pour je cite un de ses dirigeants mieux rénumerer ses actionnaires .

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123456 le 30/03/2025 à 13:17

Les Neuvesel, nobles du Chablais ? Hum, ça serait pas plutôt tous ces maîtres verriers anoblis par lettre royale, comme il y en a tant en France. Une petite noblesse, qui travaille de ses mains...
H Jean Baptiste NEUVESEL
Né le 11 juillet 1767 - Plancher-les-Mines / verrerie Saint Antoine, Haute-Saône, Franche-Comté
Baptisé le 12 juillet 1767 - Plancher-les-Mines, Haute-Saône, Franche-Comté
Décédé le 25 août 1835 - Givors, Rhône, Rhône-Alpes, à l'âge de 68 ans
Verrier à Fours fin 1790- 97 et St Léger-les-Vignes, coupeur de verre Givors 1823, commis Givors 1831
Source geneanet

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