Victor Augagneur naît le 16 mai 1855 dans le 1er arrondissement de Lyon. Il est issu d’une famille de la bonne bourgeoisie catholique. Son père, Pierre-François, est un négociant originaire du Charolais, et sa mère, Marie-Louise Lamothe, est une Lyonnaise pure souche
Le petit Victor reçoit une éducation assez stricte. Ses parents l’envoient en pension au petit séminaire de Semur-en-Brionnais près de Charolles. C’est un établissement catholique très dur, et les années qu’il y passe le marqueront à vie. Jusqu’à devenir profondément anticlérical.
Au début des années 1870, Victor Augagneur revient à Lyon et décide de s’engager dans des études de médecine qu’il achève à 24 ans, avec une thèse de doctorat sur la syphilis.
Praticien de talent et gros bosseur, il se distingue rapidement à l’Hôtel Dieu où il exerce comme chirurgien. En 1881, il est nommé chef de clinique. Et trois ans plus tard, à seulement 28 ans, il devient chef de l’hôpital de l’Antiquaille à Fourvière, où il succède à Antoine Gailleton, qui vient d’être élu maire de Lyon.
Entre les deux hommes, les relations sont excellentes. Gailleton a immédiatement vu dans Augagneur une forte personnalité qui va au-delà de la médecine. Il le prend donc sous son aile et l’initie à la politique.
Victor Augagneur débute en écrivant des chroniques médicales dans le Lyon Républicain, un quotidien radical qui a une certaine influence. Cela lui permet d’entrer dans la grande famille républicaine lyonnaise, où les médecins ont toujours occupé une place importante.
Et lorsqu’arrivent les élections municipales de 1888, c’est tout naturellement qu’Antoine Gailleton propose à Victor Augagneur de figurer sur sa liste pour son nouveau mandat.
Après son élection, le chirurgien devient adjoint aux Finances. Un poste qu’il quittera avec fracas en 1892.
Officiellement, cette démission intervient pour des raisons d’ordre privé. Mais en réalité, Victor Augagneur souhaite prendre ses distances avec Antoine Gailleton qui commence à vieillir et à s’user.
Rusé, Augagneur sait qu’en reprenant son indépendance, il peut critiquer publiquement le maire de Lyon et préparer la suite.
Un style offensif qui divise
Il reproche donc à Antoine Gailleton sa mauvaise gestion, notamment dans les différentes opérations d’urbanisme engagées en centre-ville comme dans le quartier Grolée. Il dénonce aussi certains projets hasardeux comme cette idée d’alimenter Lyon en eau potable puisée dans le lac d’Annecy… Enfin, il pointe du doigt le gonflement du personnel municipal, qui entraîne une hausse des dépenses publiques.
Quand Victor Augagneur entre en campagne en mai 1892 dans le 2e arrondissement, il propose aux Lyonnais de lui confier les rênes de la ville pour une gestion plus saine de leur argent.
C’est toutefois un échec. Au premier tour, il lui manque 200 voix par rapport à la liste d’Antoine Gailleton. Et pour éviter une victoire de la droite, il fusionne avec son rival.
Ces jeux politiciens ont raison de ses ambitions durant la décennie. En 1896, le même scénario se répète pour Victor Augagneur, une fois de plus battu par le maire sortant. Il envisage alors de quitter la politique. Mais un déclic se produit en 1898.
La parution du fameux article d’Emile Zola dans l’Aurore, "J’accuse", le 13 janvier 1898, touche Victor Augagneur en plein coeur. Sa fibre anticléricale vibre et il devient le leader des Dreyfusards à Lyon.
Comme le reste des Français, les Lyonnais sont divisés en deux camps dans cette affaire. Le clergé, encore très influent entre Rhône et Saône, est violemment anti-dreyfusard et agit en ce sens.
Le maire Antoine Gailleton est coincé : radical, il ne peut prendre parti à cause de ses bonnes relations avec l’Eglise.
Sa position devient intenable, surtout avec le nouveau grand débat qui agite le pays : la séparation de l’Etat et de l’Eglise. Victor Augagneur saute sur l’occasion pour attaquer son ancien mentor.
Car le maire veut créer un hospice des invalides du travail et confier sa gestion aux Hospices Civils de Lyon. Ce qui revient à faire entrer les religieux dans cette institution. Or, Victor Augagneur exige qu’elle reste laïque. Il dépose un amendement qui appelle à un vote des élus. Dos au mur, Antoine Gailleton négocie avec la minorité conservatrice du conseil municipal, ce qui lui fait perdre sa légitimité de gauche.
Un épisode qui servira grandement à Augagneur lors des élections municipales de 1900. Cette fois, c’est lui qui les remporte face à Gailleton. C’est la victoire de la laïcité sur le cléricalisme.
D’ailleurs, dès qu’il s’installe au pouvoir, le nouveau maire prend un certain nombre de mesures pour limiter le pouvoir de l’Eglise à Lyon. Il résilie la convention conclue entre les HCL et l’hospice des invalides du travail, il expulse de Lyon des congrégations religieuses et fait voter un texte réclamant la fermeture de la basilique de Fourvière, qualifiée par ses soins de "citadelle de la superstition et de l’exploitation religieuse".
L’Eglise n’est pas la seule à se retrouver dans son viseur, Victor Augagneur s’en prend aussi à la bourgeoisie locale en supprimant l’octroi. Il s’agit d’un impôt qui taxait les denrées de première nécessité à leur arrivé sur Lyon, ce qui pesait lourd sur les classes populaires. Et décide de le remplacer par différentes taxes sur la propriété bâtie et non-bâtie, sur l’alcool fort et les débitants de boisson.
Un Grand Lyon avant l'heure
Le grand projet de Victor Augagneur pour la ville, c’est d’agrandir Lyon. Pour y parvenir, il compte annexer un certain nombre de communes limitrophes : Villeurbanne, Bron, Saint-Fons, Vénissieux, Saint-Rambert, Caluire, Oullins, Sainte-Foy et La Mulatière. Une fusion qui ne se fera jamais mais qui aurait fait de Lyon la 2e ville incontestée du pays, avec 50 000 habitants supplémentaires. Lyon, qui comptait 467 000 âmes en 1900, aurait été dotée d’un demi-million d’habitants.
Son projet, visant à éviter que se développe un centre-ville lyonnais intellectuel et artistique, et une périphérie ouvrière et productive, fait l’unanimité au conseil municipal. Mais la majorité des élus de ces communes convoitées s’y impose, apeurés par la hausse des impôts que la fusion allait provoquer.
Le dossier reste dans les cartons jusqu’à l’élection de 1904, qui est un triomphe pour Victor Augagneur, réélu confortablement à la tête d’une liste d’union de la gauche allant du Parti socialiste de France aux radicaux, en passant par la Fédération socialiste autonome dont il est le principal animateur.
Victor Augagneur est un homme à la stature imposante. Grand, avec de belles moustaches, il domine physiquement ses interlocuteurs. C’est un sportif accompli qui aime les grandes randonnées à cheval ou à vélo, et c’est un excellent nageur. Son ton sévère, voire cassant, renforce encore cette image. Bon orateur, jamais à court de répartie, il est réputé pour sa franchise brutale qui plaît aux jeunes générations. Mais c’est aussi un homme imbu de sa personne, et son autoritarisme lasse les Lyonnais, qui le surnomment Victor 1er ou l’Empereur.
Cela se ressent aussi sur ses idées politiques car il dérive vers un socialisme autoritaire. Lorsqu’il exige de connaître la liste de tous leurs adhérents, le maire se met immédiatement à dos les syndicats lyonnais.
Trop indépendant dans l’âme, il refuse d’adhérer à la SFIO en 1904, dont le but est de réunir tous les courants socialistes du pays. Lui préfère lancer des chantiers municipaux pour donner du travail à la population plutôt que de se lancer dans de grandes théories avec les idéologues portés aux nues par la SFIO.
Au cours de son second mandat, Victor Augagneur passe en régie directe les principaux services municipaux comme l’Opéra et le théâtre des Célestins.
Et alors qu’il envisage toujours d’étendre le territoire lyonnais aux communes voisines, il démissionne brutalement de la mairie le 21 octobre 1905. Là encore, les versions officielles invoquent des raisons personnelles. Mais le maire savait qu’il n’aurait jamais le soutien nécessaire pour mener à bien son projet d’extension de Lyon. Il sent également que son tempérament agace les Lyonnais, qui se retrouvaient davantage dans la modération d’Antoine Gailleton.
Une carrière nationale et internationale, des regrets locaux
Nommé gouverneur de Madagascar, il prend le temps d’imposer son successeur. Il s’agit d’un jeune universitaire, inexpérimenté, choisi exprès pour pouvoir récupérer le siège de maire quand les temps seront plus favorables à son retour de l’océan Indien. Mais ce dauphin va finalement se révéler être un fin politicien qui ne rendra jamais son écharpe de premier magistrat… Un certain Edouard Herriot !
A Madagascar où il reste cinq ans, Victor Augagneur ne reste pas inactif. Sur cette île qui est alors un territoire français, il supprime les corvées indigènes, lance un programme de travaux publics permettant la construction de 1000 kilomètres de routes et réduit l’influence des missionnaires dans l’île… On ne refait pas un laïcard !
Il revient à Lyon en 1910 et se fait élire député du Rhône. Il passe alors davantage de temps à Paris, dans les couloirs de l’Assemblée. Cela lui permet de se faire remarquer par le président du Conseil des ministres Joseph Caillaux. Et de devenir ministre des Travaux publics et des PTT. Victor Augagneur a alors 56 ans et c’est une consécration politique. Après trois ans à ce poste, il reste au gouvernement et est nommé ministre de l’Instruction publique et des Beaux-Arts.
Mais la Première Guerre mondiale éclate. Il devient alors ministre de la Marine. En 1915, la flotte française est balayée par la marine allemande aux Dardanelles. Et Victor Augagneur est vivement critiqué et contesté.
Aux élections législatives de 1919 après le conflit, il perd l’élection au profit des conservateurs.
Le Lyonnais est ensuite nommé gouverneur de l’Afrique équatoriale, où il est chargé de la réorganisation sanitaire de la colonie.
De retour en France en 1928, il parvient à reconquérir son siège de député du Rhône. Aveuglé par cette prouesse, il s’imagine pouvoir faire de même avec la mairie de Lyon. Mais en l’espace de deux décennies, Edouard Herriot est parvenu à s’implanter solidement au conseil municipal et dans le coeur des habitants.
Une ultime bataille perdue par Augagneur, qui meurt quelques années plus tard dans une clinique du Vésinet le 23 avril 1931. Il est alors âgé de 76 ans.
Victor Augagneur aura été une parenthèse dans la vie politique lyonnaise : cinq ans de socialisme sur un siècle de radicalisme. S’il a pu agacer la population modérée de Lyon, il a été le premier à sentir que la ville allait rencontrer un problème démographique avec le temps. Si son "Grand Lyon" n’a jamais abouti - même si Saint-Rambert a finalement rejoint Lyon en 1963 -, il aura été le précurseur de cette politique d’agglomération qui a été progressivement mise en place ensuite avec la communauté urbaine et aujourd’hui la Métropole de Lyon.
Il cherchait à faire grandir Lyon. Doucet la fait rapetisser.
Signaler RépondreVirer la religion... le problème n'est pas la religion, mais bien les humains qui font n'importe quoi avec, et font qu'elle aille dabs leur sens.
Signaler RépondreBien que laïc, Augagneur s'est bien servi de Gailleton, il a fait pas mal d'entourloupes... comme quoi, laïc ou croyant, les humains restent imparfaits et mauvais.
Votre raisonnement ne tient donc pas. De plus, vous arrivez à parler de " ne pas trouver de mini-preuves..." concernant la véracité de la Bible, je pense.
Dommage de faire tant de raccourcis et de ne pas vous renseigner sur l'archéologie et la Bible, sur les scientifiques chrétiens ou les scientifiques athées devenus chrétiens parce- que leurs thèses ne tenaient pas debout...
Pour en revenir à Augagneur, je ne doute pas du tout qu'il a souffert de sa scolarité dans cet établissement très stricte de Semur. Là encore, ce sont bien les hommes qui l'ont dégouté de la foi, de la religion. Pas la religion elle-même.
4 maires de Lyon sont enterrés au cimetière Loyasse Lyon 5° : Gailleton, Herriot, Collomb et avant eux le baron Rambaud (restauration XIX°)
Signaler RépondrePubliez plus d'articles historiques comme celui ci sur les personnages lyonnais, les monuments, bâtiments, quartiers...
Signaler RépondreMerci à vous !
Le colonialisme était utile pour contrer le poids de l'Allemagne, ça a aussi été utile en créant un marché artificiel lors des crises économiques car ça a soutenu la demande de nos exportations. Ainsi les crises économiques majeures ont toujours été moins fortes en France qu'ailleurs.
Signaler RépondreNéanmoins ça aurait été cool d'assurer les valeurs françaises en en faisant des français même à part (même si quelques centaines de milliers d'indigènes avaient le statut de citoyens normal), certains trucs comme les travaux forcés pourtant interdits en France pique sur les valeurs également...
Pour perpétuer cette utilité on a ensuite fait la France-Afrique mais à partir de Giscard ça devenait un besoin cringe a suporter et de plus en plus problématique à mesure que la force de la France était effacée par les deux Supers Puissances, à partir de Mitterrand on a commencé à faire de l'humanisme, ça a été le début de la fin car les dictateurs voulaient des protecteurs et des moyens pour détourner, ce qui les a incité au fil des ans à aller voir les russes, les américains, les chinois,... Sans parler de la réforme comptable internationale qui mettait à mal la corruption même étatisée ce qui était le reproche que faisait Dassault car c'était sa seule méthode de vente et qu'il le faisait en confirmation avec le gouvernement
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Cependant sur le long terme le colonialisme a eu un effet déléterre sur la performance industrielle, car n'étant plus réellement en concurrence des habitudes néfastes ont été prises, ce qui a entraîné une perte de compétences et de productivité continue. Et ça a aussi poussé la gauche à penser jusqu'à aujourd'hui qu'on pouvait avoir une économie nationalisée. Les leçons des privatisations des années 80 n'ont jamais été comprises et assimilées.
Pourtant on peut citer un seul exemple en matière de perdition économique, l'ordinateur dans les services comptables, jusqu'au début des années 00 pas mal de comptables travaillaient encore en manuel (même pas sur minitel) quand le reste de l'occident bossait sur ordi, le lettrage comptable était fait au pif (comme chez France Telecom ce qui provoquait des milliers de résiliation par erreur) alors qu'il existait des méthodes fiables automatisées depuis les années 70. Quand vous n'avez pas de préoccupations d'assurer une meilleure productivité et de rester à la pointe par rapport à la concurrence, vous finissez par avoir des métiers et des industries qui vieillissent, ce qui est arrivée de manière sévère à l'URSS.
Quand on voit ce qui sert de maire depuis 2020..., après c'est un militant et son truc ce n'est pas la passion pour Lyon mais d'imposer l'écologie politique.
Signaler RépondreTrès bien cet homme là d'avoir virer la religion de la gestion de la ville et d'avoir commencé à contrer le colonialisme.
Signaler RépondreL'État a suivi derrière en séparent la religion de la politique pas longtemps après mais n'a rien fait sur le colonialisme....
Au moins avec ce type de personnage la politique c'est du concret, contrairement aux religions où il n'y a jamais eu une seule mini preuve de quoique ce soit ;-)
Par contre de nos jours certains politiques (et socialistes en plus...) aimeraient voir disparaitre la laïcité uniquement à des fins électorales... Quel retour en arrière de plus d'un siècle pour la liberté de chacun !
En tout cas ce monsieur aura bien bourlingué dans sa vie.