Marie-Jeanne Roland, appelée familièrement Manon, naît à Paris le 17 mars 1754. Ses parents sont des commerçants assez aisés. Le père, Pierre Gatien Philipon (ou Phlipon), était graveur, miniaturiste et bijoutier. Et la mère, Marguerite Bimont, était fille de bijoutiers. Le couple habite dans l'île de la Cité, quai de l'Horloge à Paris.
Manon est fille unique car les six autres enfants des Philipon sont morts. C'est une enfant gâtée, assez coquine et très douée. Dès l'âge de quatre ans, elle apprend à lire toute seule. De quoi provoquer l'admiration de ses parents.
Elle ne va pas à l'école mais des précepteurs font son éducation. Elle a un maître d'écriture et de grammaire, d'histoire-géographie, de danse, de musique… Tandis que son père lui apprend à dessiner. Mais sa grande passion, c'est la lecture.
Elle dévore tout ce qui lui tombe sous la main. Elle lit ainsi des vies de saints, des récits de voyage, le Télémaque de Fénelon, Candide de Voltaire, elle adore Montaigne et Rousseau. Et surtout Les vies parallèles de Plutarque qu'elle découvre à seulement 10 ans. Fascinée par ces héros antiques, elle veut imiter leurs vertus républicaines.
Manon s'indigne du luxe dans lequel vivent des aristocrates de l'Ile Saint-Louis à qui elle rend visite. La servilité des courtisans, la façon dont les domestiques sont traités… Elle se confie à sa mère sur le sentiment de révolte que lui procurent ces inégalités sociales.
Mère et fille sont très complices. Manon n'a pas cette relation avec son père, un homme un peu léger qui passe son temps à faire la fête. D'ailleurs, lorsque sa femme décède en juin 1775, il néglige son travail et dilapide l'argent de la maison avec ses maîtresses.
A 19 ans, Manon doit donc s'occuper toute seule de son père ingérable. Ce dernier fait tout pour s'en débarrasser et essaie de la convaincre de se marier. Mais les nombreux prétendants que Manon rencontre sont trop communs et vulgaires pour elle.
La jeune femme a eu une série d'expériences traumatisantes avec les hommes, ce qui ne l'aide pas à leur faire confiance. A 11 ans, elle a échappé à une tentative de viol. Et à 17 ans, elle est tombée amoureuse d'un médecin brillant et spirituel. Mais le trentenaire a refusé de l'épouser car sa dot était insuffisante. Ce qui l'a profondément humiliée.
Elle continue toutefois d'apprécier la compagnie des hommes mûrs et cultivés. Avec certains, elle entretient une correspondance mi-littéraire où elle joue la coquette et la frivole.
Son vicomte caladois
C'est ainsi qu'elle rencontre Jean-Marie Roland, avec qui elle se marie le 4 février 1780 dans l'église Saint-Barthélémy de Paris. Elle va avoir 26 ans, lui en a 46.
Son mari est un inspecteur des manufactures qui vient d'une famille bourgeoise de la région lyonnaise. Ses parents possèdent une grande maison rue Nationale à Villefranche-sur-Saône, ainsi que le Clos de la Platière, un domaine à Theizé dans le Beaujolais.
Le père de Jean-Marie Roland est conseiller du roi et échevin caladois. Et sa mère est fille d'un avocat au parlement, également conseiller du roi.
Comme l'écrit Manon Roland dans ses Mémoires, son mari était un homme "assez gringalet, le teint bilieux, le front dégarni… Il n'avait rien pour séduire. Mais ce n'était pas n'importe qui. Il était ce qu'on appelait un homme d'étude, autrement dit un chercheur, et, par ses travaux, il était auréolé d'un certain prestige".
Installés à Paris, les Roland travaillent énormément. Jean-Marie rédige plusieurs mémoires sur le traitement des étoffes, ce qui le fait bien voir de Turgot, le Premier ministre de Louis XVI. Et Manon est une excellente secrétaire pour son mari, rédigeant tous ses courriers et communications aux académies, en particulier celle de Lyon dont Jean-Marie devient un membre assidu en 1785.
Manon Roland découvre Lyon pour la première fois en septembre 1782, un an après la naissance de sa fille Eudora. Elle est enthousiasmé par la beauté de cette ville où son mari à un pied-à-terre place Bellecour. "Son site, ses quais magnifiques, le superbe Rhône, la richesse et le mouvement de la population sont pour moi un enchantement", écrit-elle, s'extasiant également sur les riches coteaux du Beaujolais, n'ayant jamais vu "nature plus riante, plus belle, plus fertile (…) l'air est sain, les soirées délicieuses. Nous courons les champs, préparons les vendanges".
Le couple envisage de s'installer à Lyon mais Jean-Marie est nommé inspecteur général des manufactures pour la Picardie. Ils déménagent donc à Amiens fin 1782.
Deux ans plus tard, en mai 1784, il est enfin muté dans sa ville d'origine grâce à Manon qui, apprenant que la place d'inspecteur des manufactures de Lyon est vacante, postule pour son mari. Et les Roland deviennent lyonnais.
Ils passent l'hiver quai Monsieur, entre l'Hôtel Dieu et la Charité, l'automne à Theizé et le reste de l'année à Villefranche.
A Lyon, ils côtoient Antoine François Delandine et Emmanuel Gilibert.
Jean-Marie Roland rédige à Lyon le Dictionnaire des Manufactures, une partie de la nouvelle version de la fameuse Encyclopédie dirigée par Diderot.
Les graines de la révolte
Manon l'aide à écrire tous ses discours prononcés à l'Académie de Lyon, à mettre en forme ses articles. Et elle se consacre à aider les plus défavorisées. Révoltée par la misère des paysans, elle les soigne dans la cour du Clos de la Platière. Dans ses correspondances, elle s'offusque : "Nos paysans sont plus misérables cent fois que les Hottentots. Ils souffrent des mois entiers sans discontinuer leur travail, s'alitent sans rien dire, ne songent point au médecin, craignant la dépense, appellent le curé à l'agonie et trépassent en remerciant Dieu de les délivrer".
A Lyon, la situation est difficile. Les tentions sociales sont grandes, l'industrie de la soie qui fait vivre la moitié de la ville est en crise… Jean-Marie Roland se trouve à Lyon en août 1786 lorsque éclate la première révolte des Canuts, "la révolte à deux sous".
Les ouvriers en soie font la grève et s'insurgent contre les fabricants qui les font parfois travailler plus de 15 heures par jour. Le mouvement est vite maté par les troupes de l'armée royale et les meneurs sont pendus place des Terreaux. Ce sont les premières véritables victimes de la Révolution !
Choquée par ces évènements, Manon Roland écrit : "J'avais vu le malheur des paysans de Theizé, je voyais que les ouvriers de Lyon étaient encore plus à plaindre. Nous en parlions souvent avec Roland et nous nous attendrissions sur la misère flétrissante de cette classe malheureuse et sur le despotisme qui favorise l'inégale distribution des richesses, dès ce moment nous étions prêts à nous enflammer pour la Révolution".
Au printemps 1787, Manon et Jean-Marie Roland deviennent correspondants du Patriote français, un journal national créé par Jacques-Pierre Brissot, journaliste engagé qui a écrit un ouvrage sur la révolution américaine et qui a fondé la Société des amis des noirs.
Au cours de l'été 1789, Lyon s'agite. Début juillet, les habitants se révoltent contre la taxe perçue par la municipalité sur toutes les marchandises qui entrent dans la ville. C'est la révolte des octrois. La répression est vigoureuse, il y a plusieurs morts. Et quelques semaines plus tard, c'est le début de la grande peur. Les paysans incendient plusieurs châteaux dans la région.
Pour Manon Roland, c'est "le feu de la liberté" qu'elle encourage : "Nous ne pourrons être tranquilles que lorsque toute l'Europe sera en feu". Dans une lettre datée du 25 août 1789, elle estime qu'il faut "une terrible fièvre politique pour épurer nos mauvaises humeurs".
Son mari parvient à négocier l'effacement d'une partie de la dette de Lyon. Il est considéré comme un personnage de premier plan dans la capitale des Gaules, et devient quelques mois plus tard conseiller municipal, puis député le 1er février 1791. Une élection qui pousse les Roland à se réinstaller à Paris, où ils jouent un rôle essentiel dans la révolution.
Dans la première assemblée législative, les Brissotins, futurs Girondins, sont nettement majoritaires et Louis XVI doit se séparer de ses ministres. Le 17 mars, il constitue le premier ministère patriote où le poste le plus important, celui de ministre de l'Intérieur, est confié à Jean-Marie Roland. Avec l'aide de sa femme, le voilà devenu l'un des hommes les plus influents de France.
Il s'occupe de la répartition des biens du clergé, de la chasse aux émigrés, de l'administration des postes, l'instruction publique… Mais Jean-Marie Roland est surtout un défenseur de l'Etat de droit et de l'égalité entre les citoyens.
Au fond, il n'a pas vraiment l'étoffe d'un grand politicien. C'est surtout Manon qui le maintient au pouvoir, l'influence, le guide par la force de ses convictions. Pour Jean-Marie Roland comme pour tous les Brissotins, elle est l'incarnation du génie de la révolution. Et même une égérie pour tous ceux qui tombent sous le charme de sa beauté, sa culture, son intelligence et la force de ses convictions.
En parallèle, elle fait du député François Buzot son amant.
Un couple dévoré par ses propres créatures
Lorsque la commune de Paris prend le relais du pouvoir, Roland siège au comité exécutif provisoire avec un certain Danton, nommé à la justice.
Manon Roland avait été proche de Danton, le recevant dans le salon de la rue Guénégaud au début de la Révolution. Avant de couper les ponts, révulsée par les atrocités de septembre qu'il a inspirées avec Marat et Robespierre : 1300 victimes dans les prisons parisiennes, les femmes sont violées, les hommes éventrés… On parle même de cannibalisme.
Danton lui rend bien son mépris en lançant à Buzot : "Nous avons besoin de ministres qui voient par d’autres yeux que ceux de leur femme".
Refroidis par ces dérapages, les Roland, comme l'assemblée, les tribunaux et les ministres, laissent commettre de véritables massacres. A tel point que Manon confie par écrit à un ami : "Vous connaissez mon enthousiasme pour la Révolution. Eh bien j'en ai honte. Elle est ternie par des scélérats. Elle est devenue hideuse".
Le 22 septembre 1792, la République est proclamée. A la convention, les élus les plus radicaux, c'est-à-dire les Montagnards, prennent plus d'influence que les Brissotins. Ils font enfermer le roi dans la prison du temple et votent, contre l'avis de Jean-Marie Roland, son exécution. Le lendemain de la mort de Louis XVI le 23 janvier 1793, le Caladois donne sa démission.
Un véritable bras de fer s'engage entre les Montagnards et les Rolandistes. Le 31 mai, le peuple exige que les 32 députés Girondins qui voulaient sauver le roi soient arrêtés. Si Jean-Marie parvient à s'enfuir, Manon est arrêtée le 1er juin et est jetée en prison.
Transférée de prison en prison, notamment à la Conciergerie comme Marie-Antoinette, elle est mélangée avec les voleuses et les prostituées. Elle obtient le droit de recevoir des visites et de rédiger ses Mémoires.
Manon Roland est exécutée le 8 novembre 1793. Au cours de son procès mené par le Tribunal révolutionnaire, on l'accuse d'avoir participé à une "conspiration horrible contre l'unité, l'indivisibilité de la République, la liberté et la sûreté du peuple français". A la fin du verdict, Manon s'est levée et a dit : "Vous me jugez digne de partager le sort des hommes que vous avez assassinés. Je tacherai de montrer à l'échafaud le courage qu'ils ont montré".
Au moment où le couperet de la guillotine allait tomber, Manon aurait regardé la statue de la Liberté élevée sur la place de la Révolution pour la fête du 10 août et se serait écrié "Ô liberté, que de crimes on commet en ton nom !". Une invention du poète Alphonse de Lamartine.
Manon Roland avait 39 ans.
Réfugié à Rouen, Jean-Marie Roland découvre que sa femme doit être jugée et repart à Paris. Mais sur le chemin, il apprend la nouvelle de son exécution et se suicide en se transperçant avec sa canne-épée.
Buzot lui n'aura vent de son exécution qu'en juin 1794, et se donnera à son tour la mort.
Très peu de gens connaissent aujourd'hui le véritable rôle joué par Manon Roland pendant la Révolution et notamment auprès du mouvement girondin. Certains historiens sont même allés à la qualifier de simple peste ayant semé la zizanie entre Montagnards et Girondins. Après sa mort, elle est devenue une égérie romantique pour Stendhal ou encore Lamartine.
Comme quoi, les siècles passent mais rien ou très peu de choses changent. Les pauvres exploitées , et on massacre le peuple.
Signaler RépondreDire qu'il y en a qui se considèrent plus évolués que l'époque du moyen âge, cela fait donc bien rire. Plutôt rire nerveux sur fond de tristesse, devant l'ignorance et la stupidité humaine, une des rares constantes.
La société de l'époque était donc tout aussi dégoûtante que celle que l'on connait aujourd'hui. La forme a un peu changé, mais pas le fond.
Néanmoins au regard de cet article on comprend que cette femme, madame Roland, a au moins essayé de venir en aide aux plus fragiles et rien que pour ça on peut donc lui dire merci, peu importe les orientations et convictions politiques
pour les Caladois, Manon Roland est une héroïne et on peut voir encore leur maison rue Nationale
Signaler Répondretrès bel article. merci
Signaler RépondreMerci à l'auteur de ces récits que nous apprécions chaque semaine..et aux lecteurs assidu qui parfois rajoutent quelques détails très intéressants ..
Signaler RépondreDanton, Robespierre, St Just.. etc tous guillotinés en 1794 après un an de Terreur. A Lyon près de 2000 victimes et place Bellecour détruite à coup de canon. En Vendée, guerre et génocide. A Paris, un certain gourou actuel est fière d'être comparé à Robespierre !
Signaler RépondreQuatre précisions de détail :
Signaler Répondrec'est "dot" et non "dote".
le mot "canut" est du XIXe siècle, sans usage attesté à cette époque
Le titre "conseiller du roi" ne doit pas faire illusion. Il était porté par tout possesseur de charge, même par de simples notaires
Quant à voir dans les condamnés de 1786 des victimes des événements révolutionnaires, cela se discute fortement : les ouvriers en soie et les chapeliers soutenaient des revendications sociales, notamment pour une indexation des salaires à façon sur le coût de la vie, et leur mouvement n'avait pas de dimension à proprement parler politique.
Merci pour cet article et joyeuses Pâques à tous !
Signaler RépondreDécidément l'esprit Jacobin n'a guère ménagé les femmes à cette époque... Qu'en est-il du fond de la pensée de leur héritiers d'aujourd'hui ?
Signaler Répondrehttps://carnet-dhistoire.fr/personnages-historiques/les-femmes-de-la-revolution/