Lyon Mag : Au titre de membre du comité de pilotage, où en sommes-nous sur l’Hôtel-Dieu ?
Denis Broliquier : Gérard Collomb a décidé, depuis plusieurs mois, d’aménager l’Hôtel-Dieu avec un hôtel, des commerces, des bureaux ainsi qu’un espace réservé aux musées médicaux, s’ils trouvent leur financement. Le cahier des charges a été arrêté par le maire de Lyon. Il a été approuvé contre mon avis. J’ai été le seul a m’opposer au comité de pilotage du projet, dont je fais partie. Aujourd’hui, je ne pense pas qu’il faille s’attendre à des surprises. Cinq groupes d’investisseurs internationaux auraient été sélectionnés. Certains d’entre eux ont rendu une copie cet été. Nous nous retrouvons vendredi pour arrêter un projet. Je pense que Gérard Collomb a déjà en tête le projet qu’il souhaite faire sortir. Avec les seize autres membres du comité de pilotage, il va falloir en quelques dizaines de minutes arrêter une décision. Cela paraît déraisonnable.
Avez-vous pris connaissance de ces projets ?
Je n’ai pas eu connaissance d’un seul de ces projets. Je n’ai aucun élément, aucun dossier. Je ne sais pas du tout comment va se passer la réunion de vendredi. Je ne sais pas si les projets présentés sont intéressants, viables. Avant la conférence de presse de 18h30, je suis invité à une réunion pour arrêter une décision. Encore une fois, en quelques heures, il faudra décider rapidement du sort d’un bâtiment qui demanderait une réflexion, des études. Il demanderait en tout cas beaucoup plus que ces quelques minutes que l’on veut bien m’accorder.
Vous allez donc vendredi être mis devant le fait accompli ?
J’ai cru comprendre qu’on allait me demander mon avis à 14 h pour arrêter une décision à 16 h. Nous aurons deux heures pour faire un choix extrêmement lourd de conséquences pour la ville et l’agglomération. Le bâtiment de l’Hôtel-Dieu est un bâtiment emblématique, ancien, situé dans un cadre exceptionnel avec une histoire et un lien particulier avec l’esprit lyonnais. Je suis surpris de la précipitation. Dans les faits, un homme décide tout seul de ce qu’il veut faire de l’Hôtel-Dieu. Gérard Collomb a été élu démocratiquement, et je ne le conteste pas. Je pense seulement que, comme cela a été fait pour les prisons de Perrache, nous aurions pu lancer un appel à projets. Il ne faut jamais mettre la charrue avant les boeufs.
Comment l’exploitation du lieu va se passer ?
Depuis le départ, Gérard Collomb veut un projet hôtelier à l'Hôtel-Dieu. On sait aujourd’hui que ce seul établissement hôtelier ne sera pas rentable. Pour avoir cette rentabilité nécessaire, je pense que les promoteurs vont pousser sur les mètres carrés commerciaux. L’idée de départ, c’est que les hospices civils restent propriétaire du bâtiment. Un opérateur, prend pour plusieurs années l’exploitation du bâtiment, en payant la totalité des travaux, en cherchant sa rentabilité à l’intérieur du bâtiment. Je ne suis pas contre ce principe qui est raisonnable pour les finances publiques. Le problème, c’est que si vous laissez un promoteur immobilier libre de tous ses mouvements, il va chercher à rentabiliser au maximum son investissement. C’est logique. Dans ces cas-là, nous risquons d’avoir un hypermarché, de la restauration rapide. Si jamais on ne bride pas le projet, et qu’on ne décide pas en amont du contenu, en laissant les coudées franches au promoteur, alors nous irons vers le bas de gamme et la rentabilité facile. C’est cela qui me gène.
Et pourtant, le commercial semble incontournable pour arriver à l’équilibre d’exploitation, voire pour faire des recettes ?
Ce qui est le plus rentable, ce sont les grands commerces. Ce ne sont pas les commerces indépendants, mais ceux qui font partie de chaînes nationales voire internationales. Plus les structures sont importantes, plus elles gagnent de l’argent. J’ai la crainte que le grand dôme, que l’ensemble du bâtiment, soit transformé en centre commercial classique, comme celui d’une galerie marchande. Il y a une absence de réflexion sur la démarche, sur ce que l’on a envie de faire de l’Hôtel-Dieu, qui est alarmante. La seule logique est financière : il ne faut pas que cela coûte un sou à la collectivité. Il aurait plutôt fallu s'interroger : qu’est-ce que ce bâtiment peut apporter au développement de la ville de Lyon ? Que peut-il apporter à l’agglomération lyonnaise ? En quoi l’Hôtel-Dieu, bâtiment emblématique, peut tirer Lyon vers la haut ? Ces questions-là n’ont jamais été posées. On a simplement pris le parti de dire qu’il ne fallait pas que cela coûte un centime à la collectivité. Il faut donc trouver un « gogo » qui paiera tout. J’attends, avant de porter un jugement définitif, de voir ce que les promoteurs vont proposer. Peut-être sortiront-ils des projets très intéressants, mais l’équation parait difficile. On met un musée qui ne rapporte rien. On met des bureaux qui rapporteront un peu. Ils faut donc mettre beaucoup de commerces, qui rapporteront beaucoup, pour équilibrer l’opération.
Craignez-vous une dénaturation architecturale du lieu ?
Au niveau architectural, je n’ai pas de soucis. L’architecte des bâtiments de France, et toutes les institutions qui, dans notre pays, sauvegardent le patrimoine, sont attentives à ce projet. Les HCL ont mis la barre très haut en matière de protection du patrimoine. Je pense que les travaux seront faits dans le respect de l’histoire et de l’architecture du lieu. Mais tous ces travaux, qui ont un coût élevé, impliquent un fort taux de rentabilité du lieu. Et plus il faut de la rentabilité, plus il faut du commerce. Et celui qui rapporte le plus, c’est le commerce bas de gamme. Je le redoute aujourd’hui.
L’aménagement d’un complexe hôtelier sur le site vous séduit-il ?
Nous manquons d’hôtels « gros porteurs » à Lyon, notamment pour accueillir de manière confortable des congrès internationaux. Pourquoi ne pas développer l’hôtellerie à Lyon ? C’est un choix judicieux et raisonnable. Le problème sur l’Hôtel-Dieu, c’est qu’on va ouvrir un hôtel de 120 chambres. Ce n’est pas un « gros porteur. » Cela ne correspond pas à la demande qu’il y a aujourd’hui à Lyon. Le Sofitel, qui est à côté sur les quais, est rarement plein. Aller y ajouter, à 300 mètres, un hôtel de 120 chambres avec une enseigne internationale haut-de-gamme, ce n’est pas une priorité. Soit on décidait de faire de l’Hôtel-Dieu un « gros porteur », c’est-à-dire que l’on mettait la totalité du bâtiment à la disposition de l’hôtellerie. Cela aurait pu aller de 450 à 600 chambres. A ce moment-là, il y aurait eu une justification économique. Ce n’est pas en voulant mettre quelques hôtels de contenance moyenne, sur des sites comme l’Antiquaille ou Debrousse, que l’on développe une politique touristique. On regarde d’abord ce que veulent les investisseurs et les organisateurs de congrès. On jauge leurs besoins, et ensuite on leur met à disposition les volumes nécessaires. Ce n’est pas en parsemant la ville d’hôtels de moyenne contenance que l’on est efficace.
Cela est-il symptomatique, selon vous, d’une politique urbanistique discutable ?
Cela est révélateur d’une démarche. Lorsque l’on a voulu construire une nouvelle tour à la Part-Dieu, on a mis du commerce en étendant le centre commercial déjà existant. Lorsque l’on a voulu créer un nouveau quartier à la Confluence, on a mis un centre commercial. Même chose pour le Carré de Soie, et pour l’OL Land. Chaque fois qu’il y a un projet d’urbanisme, on va chercher l’argent auprès des commerçants sans soucier de savoir si les besoins sont légitimes. On se fiche du pourquoi. La seule chose recherchée, c’est avoir l’argent du commerce pour pouvoir mettre en oeuvre une politique urbanistique. Je pense qu’il y a un vrai problème de fond. On ne monte pas une politique urbanistique uniquement avec des centres commerciaux. Sur l’Hôtel-Dieu, le centre commercial sera fait pour la rentabilité, mais aucunement par besoin. L’erreur est ici. Les surfaces de commerce à l’Hôtel-Dieu représenteront sans doute 10 000 m2. Et nous avons déjà beaucoup de surfaces commerciales à vendre en presqu’île. L’idée d’ajouter un grand nombre de mètres carrés commerciaux ne me satisfait pas plus que cela. Je pense qu’il n’y a pas un besoin impérieux de surface commerciale supplémentaire en presqu’île. On ne fait pas de l’urbanisme avec du commerce, on intègre le commerce au projet si le besoin s’en fait sentir.
Quelles réponses vous apporte Gérard Collomb quand vous lui faite part de cette inquiétude ?
Je n’arrive pas à lui parler de l’Hôtel-Dieu. Je n’ai jamais eu une discussion en tête à tête avec le maire de Lyon. Je suis pourtant maire du 2ème arrondissement, sur lequel est situé le site. Je lui ai fait passer des notes, des courriers, des idées. Je me suis exprimé à de multiples reprises dans la presse. Je suis arrivé à faire passer deux ou trois idées sur le respect de la tradition de l’Hôtel-Dieu. Je sais qu’il y a été sensible. Ce que je reproche à Gérard Collomb, c’est qu’aujourd’hui, il décide de tout, tout seul. Il n’écoute rien. Il pourrait écouter d’abord, puis décider ensuite. Mais il n’écoute même pas.
Vous souhaitez remettre ce projet dans son ensemble sur la table ?
Je verrai vendredi les dossiers remis par les promoteurs. Je vais voir s’ils tiennent la route, s’ils sont intéressants financièrement et s’ils respectent l’esprit du lieu. Si c’est le cas, nous choisirons le promoteur qui fera la meilleure offre qualitative et financière. Si sur les dossiers présentés, aucun ne respecte l’esprit de l’Hôtel-Dieu, je me retirerai alors du comité de pilotage. Je ne cautionnerai pas, en tant que Lyonnais, un projet qui dénature l’Hôtel-Dieu.
Quels sont vos moyens de recours si vous tombez des nues vendredi après-midi en découvrant les projets ?
Je n’ai aucun moyen de recours. Je ne peux qu’alerter l’opinion publique, en pointant les malfaçons du projet. Il reste trois années et demie avant la fin du mandat de Gérard Collomb. Le nouveau bâtiment sera alors en phase finale. Aujourd’hui, j’espère que le seul homme décisionnaire, Gérard Collomb, fera le bon choix. Je n’en suis pas certain. Son cahier des charges ne respecte qu’à moitié l’esprit du lieu. On verra maintenant s'il brade vendredi l’Hôtel-Dieu aux commerces et à la rentabilité, ou si, au contraire, il choisit un projet intelligent.
Je suis bien d'accord avec Mr. Broliquier, la concertation c'est toujours après avec notre césar local. La Confluence en est un très bon exemple.
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