La salle du tribunal, dont certains se sont vus privés d’accès faute de place, était comble. De nombreux syndicalistes, sympathisants de la CNT ou amis des prévenus avaient tenu à assister à l’audience. Les faits remontent au 22 octobre dernier. Dans le quartier de Perrache, la BAC (Brigade Anti Criminalité) interpelle 9 personnes qui viennent de quitter un piquet de grève des cheminots qui protestent contre la réforme des retraites. Ils sont placés en garde à vue, où 6 d’entre eux restent un peu plus de 24h avant d’être remis en liberté sans être poursuivis. Les trois autres y resteront près de 27h. Deux d’entre eux, âgés de 19 et 21 ans, sont poursuivis pour attroupement avec armes sur la voie publique, le troisième, âgé de 21 ans, pour complicité de ce même délit. Les policiers trouvent dans le sac à dos du premier deux barres de fer que lui a confié celui qui est accusé de complicité tandis que le dernier porte un ceinturon avec une boucle en forme de poing américain.
C’est Bernard Ripert qui les défend. Il est un avocat célèbre du barreau de Grenoble mais a accepté d’assurer la défense des trois jeunes hommes gracieusement. Sa première pique est pour le Procureur de la République : « ce monsieur s’est permis de faire détruire les armes en question, à savoir la ceinture, dont je demanderai le remboursement quand mes clients auront été relaxés, et les deux barres de fer. C’est exactement comme si l’on avait détruit les procès verbaux de la garde à vue ou de l’interpellation. Dans ce cas nous ne pouvons procéder aux vérifications devant le tribunal. » Du coup, maître Ripert réclame bonnement et simplement l’annulation de la procédure et de la garde à vue faute de fondements juridiques, d’autant que l’avocate qu’ont pu consulter les trois jeunes pendant leur garde à vue n’aurait selon lui pas eu accès au dossier.
L'une des banderoles déroulée par la centaine de manifestants présents devant le nouveau palais de justice de Lyon
« Un procès politique »
« Il s’agit d’armes par destination. Il est évident qu’un coup de barre de fer peut blesser quelqu’un. Selon les policiers ils ont en outre dissimulé un bâton de bois dans un fourré avant d’être interpellés. Les trois prévenus n’étaient d’ailleurs pas sur place, de surcroît armés, par hasard. Non loin de là des partisans d’extrême droite, plus nombreux et mieux armés, semblaient décidés à en venir aux mains avec les syndicalistes » argumente le substitut du procureur. « Est-ce là la justice dans ce pays ? lui rétorque Ripert. Ces fascistes étaient d’après votre propre aveu plus nombreux et mieux armés que mes clients mais ce sont ces derniers, qui rentrent chez eux en transportant des armes que le Ministère Public a fait détruire, que la Justice poursuit pour un délit qu’ils n’ont manifestement pas commis ? Quant à ce fameux bâton, qui lui aussi a été détruit, il était déjà dans le fourré car comment voulez-vous que l’on se promène en ville avec un bâton de 2m sans éveiller les soupçons ? » Pour l’avocat grenoblois il n’y a aucun doute, c’est un procès politique : « A l’époque messieurs Sarkozy et Hortefeux voulaient des chiffres. Quand la rue manifeste, le pouvoir réprime pour tenter d’étouffer le mouvement, comme on l’a vu en Tunisie très récemment. Les trois prévenus sont des boucs-émissaires de cette politique, c’est la preuve que bien souvent en France l’arbitraire est présent dans la Justice. » La défense conteste tout, en bloc. Pour elle il n’y a ni rassemblement potentiellement dangereux, ni port d’armes, même par destination, car les barres de fer étaient dans le sac à dos et que le poing américain symbolisé sur la boucle de la ceinture n’était pas utilisable manuellement en tant que tel et qu’ils n’ont pas été coupable d’aucune violence.
Le substitut du procureur, dans un réquisitoire très bref, requiert trois mois de prison avec sursis à l’encontre des trois jeunes gens, sans distinction de leurs chefs d’inculpation différents. Maître Ripert réclame lui la relaxe, « seule issue possible dans cette affaire », après un long plaidoyer digne de Marivaux qui souvent déclenchât les rires de l’assistance. Peu avant que le président ne conclut les débats, l’un des prévenus s’en prend directement au substitut du procureur : « je trouve que la rhétorique employée est ridicule. Les fascistes qui attaquaient ces jours-ci les piquets de grève n’ont même pas été inquiétés… » Il s’en excusera personnellement à l’issue de l’audience auprès de l’homme de loi. Le jugement a été mis en délibéré au 24 février, la défense fait d’ores et déjà savoir qu’en cas de condamnation, elle ferait appel, et le cas échéant, elle se pourvoirait en cassation.