Du 11 mai au 4 juillet 1987, Lyon accueille et vit au rythme du procès Barbie. Un peu plus tôt dans la décennie, c’est Eichmann que l’on jugeait à Jérusalem. Le travail acharné de Serge et Beate Klarsfeld permet de débusquer en Bolivie, en 1983, celui qui se fait désormais appeler Klaus Altman. Il restera pour les 107 témoins se succédant à la barre de la cour d’Assises du Rhône le « boucher de Lyon. » Arte en a gardé 21 heures et 40 minutes.
Présenté mardi à l’Hôtel de Ville, ce nouveau travail sur le procès Barbie a suscité l’émotion d’Evelyne Haguenauer, adjointe à la Ville déléguée à la Mémoire et aux anciens combattants. « Le 24 juin 1944, au café situé 21 rue du port du temple, les hommes de Barbie arrêtent, entre autres, un homme et son jeunes fils, conte Haguenauer. Ils seront déportés le 21 juillet 1944. Le père n’en reviendra pas, son jeune fils si. Ce jeune garçon réchappé, c’était mon père », termine-t-elle, la voix éraillée par l’émotion. On doit également à Barbie, chef de la section IV dans les services de la police de sûreté allemande basée à Lyon, la rafle des enfants d’Izieu et celle de la rue Sainte-Catherine.
L'Histoire au crible de la justice « ordinaire »
Et si le sujet prête à l’émotion, les chevilles ouvrières de cette relecture ont souhaité éviter toute sensiblerie autour du procès. « Nous ne nous sommes pas basés sur les images reprenant les incidents d’audience ou les instants de fortes émotions, convient la directrice éditoriale Dominique Missika, également directrice littéraire des édition Taillandier et productrice pour France Culture. Nous n’avons pas voulu rééditer des morceaux choisis, ni faire un résumé ou un best-of. » Un parti pris qui donne au procès revisité un angle chronologique - imposé au cahier des charges par la chaîne - historique, sans pathos. L’image d’origine, tourné à l’époque par FR 3, est conservée, les time codes restent incrustés à l’écran, sans voix off, avec des coupes signalées par des fondus plus ou moins long appuyant le labeur que représente l’acte juridique. « Nous avons voulu rendre compte de l’activité ordinaire d’une cour d’Assises jugeant un homme qui ne l’est pas », embraye le réalisateur Philippe Truffault, qui a également assuré la direction artistique de l’oeuvre.
On projette sur l’écran du salon rouge de l’Hôtel de Ville la séquence remontée de la dix-huitième audience du procès. Il reste 37 minutes sur les 5h23 qu’a durée l’audience. Et c’est une des rares où Klaus Barbie fût contraint à comparaître devant la cour. Dans le public, une question marque bien la difficulté de faire passer le droit là où les plaies sont encore à vif. « Pourquoi ne pas l’avoir forcé à comparaitre à toutes les audiences », interroge alors un homme. Pierre Truche, procureur général du procès Barbie et présent dans la salle prend la parole : « c’est le droit, nous ne pouvons pas faire comparaître quelqu’un qui ne le veut pas. » Le président de la cour d’Assises de l’époque, André Cerdini, également présent mardi matin, embraye : « Barbie avait de la tension artérielle. Il a été montré par ses médecins que sa présence à l’audience la faisait substantiellement augmenter. Il auarait été terrible de la perdre en cours de procès. » Un échange mâtiné d’incompréhensions respectives qui prouve qu’il est encore trop tôt pour l’histoire. Particulièrement quand, à l’écran, Barbie préfère sourire, quand ce témoin, André Courvoisier, le traite de « chacal. » Il opposera ce même rictus déshumanisé à cette témoin lorsque cette dernière s’épanchera sur le tabassage à mort d’un des 44 enfants de Meyzieu, dont elle fût témoin, à la porte de se cellule au fort de Montluc en 1944. Cellule 20. Celle qu’occupera Barbie près de quarante ans plus tard. Ironie de l’histoire.
Après Barbie, une relecture des procès Touvier et Papon ?
Alain Jakubowicz, président de la LICRA, alors parmi les 39 avocats de la partie civile lors du procès Barbie, espère que l’oeuvre servira de déclencheur à la relecture historique d’autres procès. « Sans procès Barbie, pas de procès Touvier et pas de procès Papon », explique-t-il. Et si le procès Touvier juge un homme tombé dans la plus abominable compromission milicienne, Barbie et Papon partagent ce rôle d’admnistrateurs d’un régime devenu délirant. Ce que fut Eichmann, haut fonctionnaire allemand sous le 3e Reich et en charge de la mise en place logistique de la solution finale, dont Hannah Arendt tente de décrypter la mécanique dans son ouvrage Eichmann à Jérusalem. C’est ce processus inexplicable qui transforme l’homme en un exécutant dénué de toute humanité qui interpelle. Quelque soit le procès. Et pose cette question, qui le fût lors du procès de Barbie par le procureur général Olivier Truche au boucher de Lyon : « Comment, en quelques années, un jeune homme pourtant sensible à la misère humaine peut se transformer en SS convaincu ? »
FYI
Signaler Répondre