Barbe rousse et inamovible chemise blanche, manches retroussées aux
trois quarts, Alexis Jenni a l’allure légère, décontracté sur sa chaise.
Face à lui, une cinquantaine de Lyonnais, et presque autant dans le
petit couloir qui mène à l’arrière salle de la librairie Decitre. Un peu
plus tôt dans l’après-midi, le frais Goncourt 2011 dispensait son cours
de sciences et vie de la terre à ses élèves du lycée Saint-Marc, rue
Sainte-Hélène. « Ça me fait du bien de revenir vers eux »,
confesse-t-il. En guise d’accueil, le professeur Jenni a eu droit à sa
caricature au tableau noir. Et à une standing ovation. « Mon premier
cours cet après-midi était sur le thème de l’évolution, précise-t-il.
J’espère pour ma part ne pas avoir muté, mais évolué. » Car si le
Goncourt peut changer la vie, il n’a visiblement pas dévoyé la
personnalité de son récipiendaire.
Dans son échange liminaire avec le chargé de la programmation de la Fête
du Livre de Bron Yann Nicol - préalable à la séance de dédicaces, Alexis
Jenni pose immédiatement le paradigme de son ouvrage. « C’est un roman,
c’est une fiction, ce n’est pas un ouvrage historique », explique-t-il.
Puis continue dans une triple acception. « J’ai essayé de dépeindre
quelqu’un qui a vécu la guerre, qui la raconte, et comment son histoire
résonne dans la tête de son auditeur. » La rencontre entre Victorien
Salagnon, militaire à la retraite et peintre amateur, et un trentenaire
désoeuvré cristallise cette triple ambition dans L’Art français de la
guerre. Elle en est également le « moteur intime », selon l’auteur. « La
relation de maître à disciple dans ce binôme est fondamentale,
justifie-t-il. C’est comme cela que l’on peut transmettre, avec
subtilité et profondeur. » Les deux protagonistes passent alors un marché : le narrateur écrira l'histoire de Victorien Salagnon en échange de cours de dessin.
S’il présente son ouvrage comme un « diagnostic des violences
contemporaines » du point de vue du roman, Jenni confesse également sa
dimension cathartique. « Ce livre a été une machine à comprendre pour
moi, reconnait-il. J’en sais plus, mais pas beaucoup plus. » Ce chaos
provoqué par « le fantasme français de la violence et l’image
particulière de la force » a guidé la plume de l’auteur. Jusqu’à son
point final. « La presqu’île était alors à feu et à sang, explique-t-il,
évoquant les émeutes urbaines d’octobre 2010 à Lyon qu’il voyait depuis
sa fenêtre alors qu’il terminait la rédaction de son ouvrage. Des
CRS-Ninjas attrapaient des gamins de 14 ans... » Une déviance
sécuritaire qu’il juge « absurde et inspirée du grand art français de la
guerre, quant à l’utilisation de la force à tort et à travers »,
témoignage mortifère d’une « société éclaté, hiérarchisée et
inégalitaire. »
Clin d’oeil évident à L’Art de la Guerre de Sun Tzu, traité taoiste qui
fustige déjà, cinq siècles avant JC, l’échec de la force, L’Art français
de la guerre est un ouvrage éminemment politique. Même si son auteur
s’en défend. « Demandez moi comment gérer la délinquance en France, je
ne saurai pas vous répondre », se prémunit-il. Mais les thématiques de
la transmission et de l’engagement, telles qu’elles éclatent dans le
roman, ont valeur d’aveu. L’échange informel entre l’auteur et son
auditoire prend fin. Pour laisser place aux dédicaces. Exercice
jubilatoire auquel se prête Alexis Jenni. De bonne guerre.
Samedi 5 Novembre 2011 à 10h49
L'Art lyonnais de la rencontre par Alexis Jenni
Alexis Jenni renocntrait vendredi ses lecteurs lyonnais à la librairie Decitre place Bellecour à Lyon - LyonMag
L’écrivain lyonnais, qui a remporté le prix Goncourt 2011 pour son roman L’art français de la guerre, était vendredi chez Decitre place Bellecour pour une rencontre-dédicace avec ses lecteurs lyonnais.
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