"Zig et zig et zag la mort en cadence, frappant une tombe avec son
talon..." Son talon ? Non. Son sabot ! Camille Saint-Saëns, compositeur
de la Danse macabre en 1874, n’aurait pas pris ombrage d’une telle
modification de son poème symphonique. Bartabas et Zingaro ont osé. En
s’attaquant à la thématique de l’au-délà, le célèbre créateur et
l’académie du théâtre équestre rendent une copie unique. Dans la forme
tout d’abord. Il fallait s’y attendre en voyant trôner, majestueux, au
milieu du parc de Parilly, ce chapiteau noir. Une impression de fête
foraine saisit alors le spectateur. Va-t-il entrer dans le palais des
glaces ou dans le train fantôme ? Nenni. La bouche qui l’aspire à
l’intérieur du tombeau est l’antichambre d’un enfer voluptueux. Pas de
Charon, pas de Styx à traverser. Un simple escalier à monter, pour mieux
redescendre vers la scène. Au-dessus des gradins, entourant la tribune,
un anneau, où tournent dans une pénitence joyeuse artistes et chevaux,
renforce la sensation de chaos organisé. Pris entre la piste et
l’anneau, dans cette double scénographie, le spectateur devient
prisonnier. Pendant près d’une heure trente, il végète entre ces deux
cercles de l’enfer. Son regard est aspiré par le haut et par le bas. Il
peut rarement se fixer. La mort éveille ses sens, le maintient en alerte.
Il est arrivé, malgré lui, dans le monde des squelettes. Et il en
ressortira différent.
La performance est bluffante. Tous les costumes, pensés par Laurence Bruley, sont inspirés des traditions mexicaines. Réalisés par neuf costumiers, ils ont nécessité des heures d’ouvrage. Cette précision des étoffes concoure au rendu général. Sur la piste et sur l’anneau, ce sont huit cavaliers, dont trois femmes, qui se succèdent dans les différents tableaux. Les masques qui reproduisent les crânes, signés Cedric Kretschmar, sont clairement disproportionnés et les tissus qui habillent certains morts semblent ostensiblement précieux. Derniers reliquats d’orgueil de ces tas d’os, devenu égaux dans l’au-delà. Leurs mâchoires claquent au rythme de ce tourbillon. Traduisent-elles la moquerie ou l’angoisse ? L’interprétation reste à la discrétion du spectateur. Mais cette danse macabre, que Jean Renoir avait déjà reproduite comme un avertissement à ses contemporains dans son film La Règle du Jeu en 1938, figure la mort d’une société moribonde. La nôtre ? Sans doute.