Thomas Dutronc à Fourvière - LyonMag
Le garçon est un faux naïf. Ses textes, d’une apparente bêtise, sont emprunts d’une vérité de présent générale. Il manie la guitare comme personne, toujours avec un médiator, et les mots comme son père, toujours avec finesse. Beau à se pâmer, il ne se prend pourtant pas au sérieux. La preuve, il arrive sur scène avec une chanson intitulée Turlututu. Puis il déroule avec J’aime Plus Paris, déjà un standard. « Lyon par contre c’est pas mal, ici vous assurez question saucisson » lâchera-t-il goguenard tout en recoiffant sa mèche rebelle, sûr de son effet.
Thomas Dutronc sait aussi s’entourer. On dit de lui qu’il fait du jazz manouche, ce qui n’est pas faux. Rythmique éffrénée et délicatesse des accords sont de la partie. A Lyon, hormis bien entendu l’amphithéâtre archi comble jusqu’en haut des escaliers, ils étaient six à ses côtés, six avec qui il joue, pour de bon. Le public a d’ailleurs beaucoup apprécié l’un d’eux, semblant tout droit sorti d’un film de gangsters des années 60 avec son visage longiligne et ses cheveux gominés en arrière : Aldo Maccione pour les amoureux de Tassin, Johnny Stecchino pour les fans de Begnini. Sur la fin, se lâchant, il enfilera le casque de Viking posé sur un ampli. Bon point également pour celui qui, de façon inexplicable, vînt faire de la trottinette sur scène affublé d’une cape rouge. Le ridicule ne tue pas, il ravit. D’ailleurs dans Oiseau Fâché, le chanteur se compare à un camembert jaune.
Son concert a fait la part belle aux cordes, car en plus de ses
guitares, on en dénombrait quatre autres dont une basse plus un violon,
et une batterie toujours utilisée à bon escient. Musicalement, un
summum.
Les chansons de Dutronc fils sont des odes à la vie, à ses
petits plaisirs. Quand il n’y a pas de paroles, grâce à ses simples
doigts, il fait passer une intense émotion. L’assistance se souviendra
sans doute longtemps de son interprétation assise de Le Manoir De Mes Rêves,
bouleversante. La guitare de Dutronc s’envolait très haut dans le
lyrisme, magnifiquement aidée par un violon très dynamique. Ceux des
premiers rangs ont pu savourer la poésie du mouvement des doigts et
l’expression tétanisée de Thomas, lèvres pincées et yeux fermés, courbé
sur sa guitare sèche comme s’il ressentait en lui les accords fendants de
ce vieux django. Déjà la sueur perlait sur son visage.
Mina Tindle à Fourvière - LyonMag
Thomas Dutronc sait aussi jouer le twist. Après un premier essai moyennement concluant, il fît se lever le théâtre romain dans son ensemble, allumer portables et briquets et onduler les bras en rythme. Le rendu était incroyablement saisissant. Jeune Je Ne Savais Rien pouvait alors partir dans le ciel de Fourvière, laissant la fosse debout dans un déhanché qui n’aurait pas eu à rougir de ceux que faisait danser son paternel à ses débuts. Manant également l’humour, il simule une rencontre en gare de la Part-Dieu avec deux de ses guitaristes qui ont revêtu des bonnets péruviens et qu’il surnomme Los Chiquitos. S’en suit une version andine de Sac Ado.
Il est aussi capable d’interpeller les consciences. Sur On N'sait Plus S’ennuyer par exemple, il pose la question : « que serions nous sans connexion à part des gens pleins de questions ? On vit maintenant tous en réseau comme des animaux dans un zoo. On est tous mous sans disque dur, on est tous nus dans la nature. » Le tout bien sûr sur un air entraînant de guinguettes des bords de Marne ou de feu de camps romanichel, c’est au choix.
Après une interprétation de Demain
(dans laquelle il trouve toute une série de bonnes excuses pour ne pas
arrêter) rallongée à dessein pour présenter ses musiciens et parler le
langage des cordes avec le violoniste, Thomas et sa bande se retirent,
sous une pluie de coussins qui a tôt fait de recouvrir la scène.
Naturellement le groupe revient. « C’est super ces coussins freesbees, on va pouvoir dormir là !
» ironise-t-il, radieux. Il s’élance ensuite dans une longue tirade qui
invite chacun à oublier l’hiver et les mauvaises nouvelles quotidiennes
autour d’une bouteille de vin et d’un fromage qui pue, puis termine le
concert avec une faramineuse version d’un titre instrumental, Les Yeux Noirs,
véritable hymne tsigane dans lequel le violon fend les âmes quand la
guitare soulève les cœurs. C’en était fini du spectacle, les quelques
coussins qu’il recevra en partant étaient à coups sûr amicaux, le
batteur se payant ainsi le luxe d’y plonger à la manière d’un footeux
après un but.
Les Nuits de Fourvière se poursuivent jusqu’au 31 juillet. Les deux prochains soirs sont d’ores et déjà complets, et pour cause, le théâtre antique accueille Ben Harper mardi, puis Bob Dylan mercredi.