Le réalisateur aurait pu appeler son long-métrage "Toni". "Au-delà du
fait divers qui m'a interrogé, c'est avant tout l'histoire d'un homme
qui se reconstruit", explique Godeau en parlant de son film, "ce qui
m’intéressait, c'est le parcours de cet homme, plus que le casse en
lui-même."
Et force est de constater que ceux qui voudraient aller voir
ce film en espérant des scènes d'action à profusion seront déçus.
Pourquoi? Premièrement parce que les faits en eux-mêmes n'ont rien
d'extraordinaire (un convoyeur de fonds qui vole 11, 6 millions d'euros
simplement en démarrant son fourgon, n'est pas Spaggiari qui veut), et deuxièmement parce-que 11. 6
est centré uniquement sur Toni Musulin vu à travers les yeux de Philippe
Godeau.
Il a choisi François Cluzet pour interpréter cet homme sans
histoires devenu du jour au lendemain le plus célèbre convoyeur de fonds
que la France ait connu. A travers ce choix, on avait compris qu'il
allait être question d'introspection. L'acteur le dit lui-même :
"c'était un travail d'introspection qui m'a amené vers un homme, vers
une intériorité." Le "casse du siècle" intervient ainsi très tard dans
le film, qui s’intéresse en fait à son héros pourtant taiseux et
introverti. Car Toni parle très peu, sa façon de s'exprimer ce sont ses
actes. Celui qui possède une Ferrari F430 Spider (malgré son salaire de 1
700 euros mensuels) et va travailler en vélo n'est pas le moins du
monde charismatique. Renfrogné, brut, quasi autiste, il est pourtant
unanimement apprécié de ses collègues de travail qui le respectent un
peu comme un grand frère. "Toni ce qu'il aime, c'est pas l'argent, c'est
gagner" dit de lui son cousin dans le film (interprété par Johan
Libéreau).
Alors forcément pour le cinéaste, il faut broder. Godeau
prête à Musulin une amourette totalement platonique avec une guide de
haute montagne italienne, des séances d'UV solitaires sur son canapé,
des répliques de films d'arts martiaux apprises par cœur et récitées les
yeux fermées. Autant d'aspects inventés qui étoffent ce personnage si
mystérieux que personne ne sait véritablement les motivations exactes
de ce geste. Dans 11. 6, Musulin prend une dimension sociale évidente.
Sa hiérarchie le considère comme un pion, lui qui arrive tous les jours
en avance depuis 10 ans, ne prend pas de vacances et a toujours fait son
boulot sans rechigner. Qu'à cela ne tienne, il lui fera payer, au prix
fort. Toni a un plan, un plan savamment et discrètement élaboré, en
solitaire.
Une partie non négligeable du film montre Toni et son
collègue Arnaud dans leur fourgon de l'Ibris (qui a remplacé la Loomis),
ce "bocal sans air" qui sert de lieu de travail aux convoyeurs. La
relation de ce binôme est un élément clé de l'intrigue puisque les deux
hommes sont amis alors qu'ils ne devraient pas l’être. Toni démarre au
quart de tour, il est fort face à l'adversité, ne s'en laisse jamais
compter, est capable de tuer "avec deux doigts" grâce au Krav-maga.
Arnaud est tout le contraire : victimisé, raillé, faible. La seule chose
que les deux hommes ont en commun est cette pesante solitude, voulue
chez Musulin, subie chez son collègue qui la trompe avec une souri blanche et fréquente les prostituées
jusque dans le fourgon. Pourtant Toni va le protéger.
Et pour ce faire,
il va chercher à l'écarter de sa vie, en passant de celui qui le défend à
celui qui l'accable. Il va faire le vide autour de lui. Sa compagne,
tenancière d'un bar-restaurant miteux, il va la quitter, mais sans lui
dire. En s’aspergeant de parfum féminin pour qu'elle croit à une femme.
Sa hiérarchie, il l'emmerde : "vous n'avez qu'à mettre "Monsieur Musulin
a refusé de signer"" explique-t-il au syndicaliste qui veut lui
remettre une convocation de sa direction, comme il le dira à l'officier
de police judiciaire (Michel Neyret ?) qui l'interrogera après sa
reddition. "Pour moi c'est un Résistant. Sa façon de s'exprimer c'est de
piquer un camion. Il prend son maquis à lui, je n'en n'ai pas fait un
héros" précise le réalisateur. Il fait du mal à ses proches, mais pour
les protéger. On est en plein romantisme".
Dans les faits, Philippe
Godeau a choisi de prendre certaines libertés avec le livre d'Alice
Géraud-Arfi dont le film est librement inspiré. Mais l'essentiel est
malgré tout là. La Ferrari, Monaco, le (long) transvasement des billets
du fourgon blindé au fourgon loué, le faux mur au fonds du box
souterrain, la reddition en Principauté, la prison, la peine alourdie en
appel. Ce film reste pourtant une œuvre de fiction, ce n'est pas un
documentaire. C'est une fiction "inspirée des déclarations de Toni
Musulin dans son livre d'entretiens, car finalement c'est lui qui a fait
la partition que j'ai jouée", rappelle François Cluzet.
Ce film est
également l'occasion de découvrir de l'intérieur le quotidien des
convoyeurs de fonds, qui "ne font la une que 3 ou 4 fois par an, quand
ils se font descendre", rappelle Cluzet. Ces derniers ont servi de
consultants techniques à l'équipe du film, certains sont même figurants.
"Je ne me rendais pas compte de leur réalité. C'est atroce", confie
Bouli Lanners qui interprète l'équipier de Musulin qu'il a rencontré
pour ce rôle.
A l'écran comme dans la réalité, Musulin aura redonné de
la fierté à ses confrères et collègues, dont aucun ne l'a renié. Le
grand public aussi s'est emparé de lui, en en faisant un robin des bois
qu'il est sans être via des tee shirts, des chansons ou des montages
dont 11. 6 ne se prive pas de faire état.
Le tournage aura duré 8
semaines, entre Monaco, les Alpes et Lyon. Toni court, descend dans le
Sud puis s'enfuit par l'autoroute via le pont de la Mulatière, sous
lequel il se permet une sieste après son vol. Le centre-fort de la
société de transport de fonds a été reconstitué à Villeurbanne. L'une de
ses sorties est celle la Manufacture des Tabacs. Les convoyeurs vont
voir les prostituées aux abords du Port Édouard Herriot. La boîte de
nuit est celle du toit de la Sucrière à la Confluence, anachronisme
puisqu’elle n'existait pas au moment des faits (novembre 2009), pas plus
que les bâtiments du quai Rambaud à Confluence que l'on aperçoit
souvent, notamment à l'occasion d'une course de fourgons blindés sur le
quai Jean-Jacques Rousseau ou le chantier voisin du musée des
Confluences.
Philippe Godeau, qui montre un visage métallique et
industriel de Lyon explique ce choix : "j'ai essayer de filmer ce que je
trouve beau artistiquement parlant." Mais contrairement à Oliver Stone
et ses biopics de présidents américains, il n'a pas là fait un film qui
propose une thèse sur des évènements. Rien n'est dit ni suggéré sur les
fameux 2, 5 millions d'euros qui n'ont pas été retrouvés dans le box et
que Musulin, depuis sa cellule à l'isolement de Corbas, nie fermement
avoir en sa possession. "Les millions manquants ne m’intéressent pas,
mais j'espère qu'il les a", s'amuse Godeau.
11. 6, coproduit par Rhône-Alpes Cinéma et distribué par Wild Bunch, sortira en salles le 3 avril. De sa prison, Musulin le verra, si l'administration pénitentiaire le lui permet. En tout cas, une demande a été officiellement formulée.
Jeudi 14 Mars 2013 à 20h43
Toni Musulin, voleur de fourgon devenu héros romantique
François Cluzet est Toni Musulin dans 11.6 - Photo Rhône-Alpes Cinéma
11,6, le film que Philippe Godeau consacre au convoyeur de fonds, met
en scène les parts d'ombre paradoxales du personnage interprété par François Cluzet.
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