Mais la vraie définition de cette tradition rhodanienne se voit bafouée
par l’émergence d’établissements factices. Une situation qui agace les
plus conservateurs, attachés aux valeurs traditionnelles. Reportage.
Vendredi
soir. Dix-neuf heures trente-et-une pétantes. Rue du Bœuf, Lyon 5e. Une
délicieuse odeur de quenelle de brochet émane au loin. L’effluve nous
dirige droit dans une allée étroite, dégageant une curieuse enseigne
dénommée "Notre Maison". Les fenêtres jaunâtres de l’établissement
laissent distinguer deux silhouettes s’activer dans la salle. Il s’agit
de Justine et Pauline. Les deux serveuses planchent sur les derniers
préparatifs avant d’accueillir la clientèle affamée qui patiente sur le
perron.
Après avoir passé les épais rideaux rouges, les premiers
visiteurs découvrent un lieu aussi singulier qu’authentique. Autour des
saucissons suspendus au plafond et des tables aux nappes cochonou, se
succèdent d’étonnants cadres accrochés aux murs. Des cadres presque
incongrus laissant transparaître des quidams ayant fréquenté ces lieux.
De son côté, Oggy, le stéréotype du matou gris tigré, ronronne
paisiblement sur l’un des tonneaux de la salle.
Vous l’avez compris,
"Notre Maison" n’est pas seulement l’un des derniers véritables lieux
de pèlerinage de la gastronomie lyonnaise, c’est aussi un logis. Et
Bruno en est l’hôte. Crâne luisant et lunettes bariolées, ce
quadragénaire au look excentrique s’est lancé dans la restauration
lyonnaise il y a maintenant douze ans.
C’est d’ailleurs en arpentant les
rues pavées de Saint-Jean que l’envie lui a pris. "Quand je mangeais
dans le quartier, ce n’était tout simplement pas bon. Les autres
restaurants se réclamaient être de vrais bouchons alors qu’ils n’avaient
rien en commun. J’ai de suite voulu inverser la tendance" lance le
gérant, un brin agacé.
Soutenu par sa femme, ce Parisien d’origine aime
défendre ses valeurs. Après avoir mis un an à trouver ses marques dans
le touristique quartier du Vieux Lyon, l’affaire était lancée. La petite
salle de 50 couverts en atteste. "La mission première était de se
différencier des autres et surtout de faire de la qualité, admet le
sapeur du goût au tablier rouge. Maintenant, on essaie de tout faire par
nos propres moyens pour perpétuer au mieux la tradition." La preuve par
les plats cuisinés. Ici, on cuit le sabodet pendant cinq heures. Et pas
dans n’importe quoi. Dans du pinard pardi !
Une ambiance unique dans un cadre typique
Bien
que sévère à l’encontre d’autres bouchons du Vieux Lyon, ce disciple de
la mère Hugon sait aussi reconnaître les plus authentiques d’entre eux.
Ceux si chers à son cœur de gastronome traditionnel. Pour les
différencier, rien de plus simple : "Il faut que ce soient des plats
lyonnais, qu’on n’a plus l’habitude de cuisiner chez soi et qui soient
exclusivement préparés par le cuisinier. L’ambiance doit aussi être
joviale et conviviale."
"Si un client me demande une petite place au
calme et sans bruit, je lui dit qu’il n’est pas à la bonne adresse,
poursuit Yann Lalle, un de ses confrères au Poêlon d’or. J’ai l’habitude
de dire que justement, quand on va dans un bouchon, on y va seul, mais
on ressort accompagné."
Ne vous y trompez pas. Les bastions de la
gastronomie régionale ne sont peut-être pas des clubs de rencontres,
mais sont habités d’une atmosphère bien à eux.
Mais voilà que depuis
de nombreuses années, les restaurants fleurissent dans l’agglomération
(+28% par rapport à 2008) et se revendiquent pour certains comme
véritables bouchons. Pourtant, à en voir la carte -qui ne contient guère
plus de deux produits typiquement lyonnais-, rien n’indique réellement
au gourmet de base qu’il se trouve bien dans un des temples de la
lyonnaiserie. Et généralement, le visiteur reste sur sa faim. Ou du
moins le touriste. Car il est bien connu que le Lyonnais sait
parfaitement où déguster ses gras doubles.
Une quenelle de brochet et sa sauce aux écrevisse accompagnée par quelques pommes de terre - LyonMag.com
"Les Bouchons Lyonnais", un label qui a soif de réussite
C’est
pourquoi la Chambre de Commerce et d’Industrie de Lyon a lancé le 30
novembre dernier son propre label, 15 ans après celui lancé par le
critique Pierre Grison, intitulé "Les Bouchons Lyonnais". Le but :
"pérenniser la tradition culinaire de la ville et avoir une
reconnaissance auprès du public" dixit Sophie Bilat, responsable du
service innovation, commerce et tourisme de l’institution, à l’origine
du projet. Avec des critères de sélection bien définis (ne pas recourir
aux plats préparés, 80% des produits servis doivent être frais, …) et un
cabinet expert de la gastronomie locale (dont Joseph Viola, patron de
Daniel & Denise), la CCI a fait en sorte de respecter au mieux la
tradition. "L’idée n’était pas d’avoir un grand label regroupant 200
bouchons, mais bien de travailler qualitativement en faisant figurer des
enseignes qui revendiquent les vraies valeurs des bouchons", poursuit
celle qui a piloté le projet auprès des élus et des restaurateurs. Au
total, 17 établissements -sur une vingtaine de candidatures- se sont vus
octroyer cette désignation officielle.
Et pour le moment, les
retours sont positifs. Même si on ne peut pas encore faire de comparatif
par rapport aux exercices précédents concernant le chiffre d’affaires,
un constat se dégage : le label possède un véritable attrait
touristique. "Lorsque des étrangers viennent sur Lyon, ils savent de
suite où ils pourront manger dans un vrai bouchon, se réjouit Yann
Lalle, dont l’établissement figure dans le label. Après, le client qui
veut aller au premier boui-boui à Saint Jean pourra toujours s’y rendre,
mais ceux qui sont mieux informés connaîtront les bonnes adresses".
Preuve que l’international s’exporte chez les labellisés, les cartes
sont traduites en anglais ou en espagnol dans certains bouchons.
D’autant plus que la publicité va bon train. Des flyers réalisés par
l’office du tourisme sont distribués dans l’agglomération tandis que la
prochaine publication de l’organisme chargé de l’accueil des étrangers
consacrera une page au fameux label. Un guide des bouchons de la ville
sortira d’ailleurs bientôt, indépendamment de la CCI, sous l’égide du
célèbre petit futé. Un atout supplémentaire qui renforcera d’avantage
l’aura des restaurants typiquement lyonnais.
Le cochon et le saumon ne font pas bon mélange
Mais
cette situation, bien qu’encourageante, coupe l’appétit à certains. Pas
par jalousie, mais bien par pur respect d’une tradition bien ancrée
dans les gènes. "Cela part d’une très bonne initiative, mais c’est
dramatique. C’est du n’importe quoi, s’offusque Bruno. C’est 100%
touristique, il n’y a pas de crédibilité. Il vaut mieux ne pas être à
l’intérieur car on est associé à des bouchons qui peuvent aussi bien
proposer du saumon que des hamburgers." Comme un hic. Le gérant de
"Notre Maison" vient de toucher le point sensible soulignant la limite
de ce label. Ce dernier peut être attribué à tout établissement
proposant au minimum trois plats typiquement lyonnais dans leur carte.
Ce qui peut dénaturer en partie la définition exacte que l’on se fait
d’un bouchon.
"C’est une association jeune, il y a encore du travail
à faire, se défend Sophie Bilat. Mais nous sommes prêts à faire évoluer
les critères de sélections pour la deuxième vague de labellisation."
Cette dernière, initialement programmée au printemps 2013, a été
repoussée au mois de septembre prochain. Une vingtaine de nouveaux
bouchons, issus du Grand Lyon et non plus de Lyon intra muros, devrait
être intégrée au label de la CCI. Un point de plus qui renforcera l’aura
déjà très positif des établissements défenseurs de la cochonaille.
Prouvant encore plus que les bouchons lyonnais ont encore un avenir
étoilé devant eux.
J'en ai pas mal ... Avenue Berthelot , Cours Emile Zola , Tunnel sous Fourvière , Porte de Saint Clair , rond point de Valmy .... les plus gros bouchons lyonnais ... une spécialité de l'Etat Français parisianiste .... merci pour toutes ces coupes dans les budgets transport ... alors que Paris continue de faire des folies !
Signaler RépondreSi vous avez de bonnes adresses de "vrais bouchons", je prends !
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