Il y a ici-bas des gens qui ont pour seul idéal et seule vérité la liberté. Ils ne demandent rien, à personne. Et comme tout un chacun, ils sont quotidiennement violentés, humainement et institutionnellement. Ce sont des gens qui souffrent dans ce monde, a fortiori l'occidental, a fortiori l'américain. Mais eux ne frondent pas, ce n'est pas dans leur nature.
Patti Smith en est, à ceci près que mettre les pieds dans le plat est un credo. Et elle chante pour ses semblables qui n'ont pas cette audace. Ce n'est pas un concert qui était donné dans les ruines antiques, mais une messe. Cette femme est une pythie, une oracle. Elle arrive avec un bonnet noir et un grand sourire, se rapproche immédiatement du public, le sien, pour être à son contact. Sa dégaine de mal sapée, elle l'assume. Elle est elle-même et rien d'autre, cela n'est pas de notre temps (et ne l'a jamais été). Patti Smith est une femme libre et le restera, elle donne à ses fans les clés pour l'être en chantant.
Comme elle, sa musique est écorchée. Il y a de la souffrance, une souffrance épique que sa longue crinière grise et bouclée incarne en flottant dans le vent de la nuit lyonnaise, un vent mythologique venu tout exprès saluer sa prophète.
Le concert a débuté sobrement, pas d'écart, un positionnement rassurant derrière le micro. Et puis, sur cette colline qui prie, et ce depuis des millénaires qui sont désormais multiples, le miracle a opéré. Portée par son band de quatre musiciens de génie, Patti Smith, légende s'il en est, commence la catharsis. Son poing et ceux de l'assistance se dressent, rageurs mais fiers, elle crache sur scène, de gros mollards, balance son bonnet et hurle, simplement.
Sa version du Summertime Blues d'Eddie Cochran est envoyée telle une homélie. Possédée par sa musique et ses textes qui encouragent l'esprit libertaire et déchaînent l'assemblée, l'artiste balaie tout sur son passage. Son rythme progressivement imprégnant évoque la prière, lui qui grimpe, culmine et irradie. La foule est en transe, elle aussi. Elle recrache, tend son micro à la fosse qui lui tend les bras. Son légendaire Because The Night arrive comme un hymne, elle chante avec plaisir, ses musiciens savourent, Fourvière exulte. Gloria déboule ensuite, la grande prêtresse surpasse la basilique voisine, la version donnée est démente. On veut la toucher comme une idole, une icône. Elle prend car elle donne, tout est partagé, elle exige du public qu'il soit heureux. "Jesus died for somebody's sins... but not mine".
La folie s'empare des gradins qui ont commencé à enfiler des ponchos car l'averse se pointe. On la sait amoureuse de la France et de sa culture, et c'est à Maria Schneider (merci à nos lecteurs avisés) qu'elle dédie un titre bouleversant après en avoir interprété un pour les gens qu''on aime. Ces mots et ces idées là, on veut nous les faire passer pour ridicules. En leur redonnant la vraie noblesse, celle du cœur, elle rappelle qu'ils sont vitaux. Et créateurs premiers de l'élan vital. Sa musique est d'une intensité et d'une densité absolues, sa voix assurée, et elle joue même des riffs immémoriaux. Phénoménale, il fût un temps où l'on parlait de messie, n'ayons pas peur des mots, ils sont là pour décrire.
Pour s'en convaincre, il suffit de voir l'hystérie qui anime les premiers rangs qui se jettent sur les serviettes qu'elle lance après s'être essuyé le visage : ce sont des saints suaires.
Les trois cordes et la batterie ne sont pas en reste. Patti quitte les planches, ils jouent un morceau dantesque qui emporte les spectateurs, devenus acteurs. Elle revient sur scène et danse en communion avec le public. Après une courte pause (les coussins ont déjà volé), elle revient le temps de quelques chansons rageuses, il faut être heureux, c'est dur mais il faut tenter le coup, dont Banga, issue de son dernier album et totalement enivrante. Dieu, pardonnez nos offenses... mais au pied de l'une de vos basiliques de marbre, cette femme, déguenillée, est divine, on croit littéralement en elle. Et elle termine en arrachant les cordes de sa guitare électrique, toutes jusqu'à la dernière. On ne ressort pas indemne d'un concert de Patti Smith, c'est impossible.
excellent concert, Patti Smith a été divine! l'article est fidèle.
Signaler Répondreexcellent article qui retranscrit bien l'ambiance divinatoire au pied de la basilique de Fourvière hier soir
Signaler RépondreArticle magnifique, il reflète parfaitement ce concert unique. Merci!
Signaler RépondreExcellent concert, magique !
Signaler RépondreLe morceau dantesque joué sans Patti Smith (qui était restée pour danser devant son public) était en fait un medley de pépites garage sixties que son guitariste Lenny Kaye avait compilées en son temps, les fameuses Nuggets.
c'était énorme énorme énorme, exceptionnel, elle est juste l'authentique l'unique et l'inimitable Patti Smith
Signaler RépondrePetit détail. Elle a rendu hommage à Maria Schneider, et non à Romy Schneider.
Signaler RépondreMerci pour l'article. Le concert était sublime.