Par exemple, si ce n’était pas la puissance publique qui mettait des lampadaires dans les rues il n’y aurait tout simplement pas d’éclairage, car aucune entreprise privée ne pourrait faire payer aux passants la lumière de ses lampadaires. Les passants en question préféreraient déclarer ne pas vouloir payer pour cette lumière sachant bien qu'une fois allumée, la lumière bénéficierait à tous, payeurs comme non payeurs.
Problème classique : sans service public, financé par un impôt obligatoire, pas de lumière (ni de route ni de police ni de justice etc etc) : en un mot : pas de biens publics.
Classique, certes, mais une fois la nécessité d’une intervention publique pour que ces biens publics existent, reste une série de questions complexes : comment savoir quels problèmes il faut privilégier ? Et comment les décideurs doivent-ils réagir si les problèmes identifiés se révèlent – pour diverses raisons - insolubles ? La première solution pour un homme politique est de se tourner résolument et avec énergie vers les problèmes qu’il se sent capable de régler. La seconde est de déclarer, toujours avec énergie, qu’une question est en fait un problème dès que le décideur public et ses équipes disposent d’une "solution" pour régler cette question. Trois exemples :
Exemple 1 : la réforme des rythmes scolaires à l’école primaire
Le décret de Peillon le rappelle et en fait le problème officiel : les enfants français ont une journée de cours beaucoup trop longue. 6h en moyenne, sur 4 jours. Nulle part ailleurs pareille absurdité n’existe.
Résultat : les enfants n’apprennent rien, épuisés.
Solution immédiate : faisons les travailler 3h en plus le mercredi matin, retirons 4 x 45 mn de cours les 4 jours restants et tout ira mieux puisque les journées à l’école seront plus courtes.
Cette solution-au-problème-officiel fait partie de la panoplie du ministre de l’Education nationale face au problème "journée trop longue". Ni la solution "faisons des grandes vacances plus courtes" ou celle "allégeons les programmes" ou celle "faisons une pause déjeuner plus courte" ou celle "augmentons le nombre de semaines travaillées" n’en font partie.
Si le problème officiel avait été "les grandes vacances françaises sont trop longues" la solution n’aurait pas pu être de travailler le mercredi matin. Mais Vincent Peillon n’aurait jamais désigné comme "problème officiel" un problème dont la solution lui échappait aussi totalement que la durée des grandes vacances (exactement de la même façon qu’il n’aurait pas désigné comme problème officiel les résultats en baisse des écoliers français aux tests internationaux depuis 10 ans).
Mais, après tout, peut être que le "vrai" problème est bien que les grandes vacances sont trop longues. En tout cas la "solution" adoptée par le ministre n’a pas l’air de rendre grand monde heureux.
Exemple 2 : la gare de la Part-Dieu
Officiellement quel est le problème ?
a) Trop de gens (120.000 voyageurs + passants) l’empruntent chaque jour, alors qu’elle a été conçue pour 30.000 personnes… et…
b) cette gare est "mal" insérée dans son quartier et dans Lyon. A ce problème officiel, les pouvoirs publics ont la solution : redessiner la gare en retirant les guichets et commerce, casser 2 ou 3 immeubles qui gênent devant, rajouter une nouvelle voie ferrée, enterrer des rues. Ça va couter environ 200 millions d’euros les travaux débuteront en 2016.
Maintenant : quel est le "vrai" problème en matière ferré lyonnais ? Probablement pas la gare de la Part-Dieu, déjà rénovée plusieurs fois et pas plus saturée qu’une autre (essayez Saint-Lazare à Paris si vous voulez faire l’expérience de la sardine en boite).
Le "vrai" problème s’appelle : le Nœud Ferroviaire Lyonnais. Le NFL : tous ces trains Nationaux, internationaux et régionaux qui passent dans le coin lyonnais. Un exemple : entre Saint Fons et Grenay, sur 2 voies pratiquement tout le long, il faut faire cohabiter a) les TGV province-province qui vont rejoindre ensuite la ligne TGV de Saint Exupéry… b) les TER pour Grenoble et Chambéry, et… c) des trains de marchandise. Soit 210 trains par jour. Résultat : bouchons (pas lyonnais) et saturation prononcée.
Mais alors pourquoi ne pas s’occuper de ce vrai problème de saturation au lieu du problème "officiel" que connaîtrait la Gare de la Part-Dieu ? Réponse : régler le Nœud Ferroviaire Lyonnais coûte beaucoup plus cher et tout cet argent dépensé resterait presque invisible aux yeux des citoyens payant leurs impôts (quelqu’un voit il où est Grenay ?). S’occuper du problème de la gare de la Part-Dieu est moins cher, permet de consulter les lyonnais, touche leur vie quotidienne, et est très visible. L’idéal d’un décideur politique.
Exemple 3 : le Grand Stade de Décines
La "maladie" consistant à trouver un problème qui aille avec la solution que l’on possède n’est pas simplement une maladie des décideurs du public. Prenez le Grand Stade de Décines - et passez ce paragraphe si ce feuilleton vous épuise.
Cela fait si longtemps que les lyonnais observent Carton Rouge et Aulas se déchirer qu’on oublie un peu le problème officiel. Le problème officiel paraissait simple. Dans un article du Monde du 23 février 2005, il était présenté ainsi : 'le patron de CEGID a fait part de son désir de se doter d’ici 2007(sic) d’un nouveau stade d’une capacité de 80.000 spectateurs contre 41.000 actuellement'.
Officiellement, donc, Gerland est trop petit. C’est un problème; Jean-Michel Aulas a la solution : "construire un nouveau stade, avec un centre d’entrainement, un musée, un club de sport et fitness et un centre commercial" (Aulas à l’AFP le 15/10/2010).
Construire un stade, on sait faire. Et les pouvoirs publics qui soutiennent le projet peuvent aider en faisant ce qu’ils savent faire : des ronds-points, des routes, et des transports en commun (type T3 prolongé en 2015) pour y emmener les gens. D’accord, mais le problème "officiel" est-il le vrai problème ? Un peu plus bas dans l’article précité on lit : "L’OL attire en moyenne (…) 37 000 spectateurs". 37 000 en moyenne ça ne parait pas énorme par rapport aux 41 000 disponibles.
Si on me demandait mon avis, je dirais que le "vrai" problème de l’OL était "comment obtenir des revenus qui ne dépendent pas des résultats aléatoires des matchs de foot". Pour CE problème-là, effectivement, un OL-Land est peut être une bonne solution.
Concluons : il est dans l’ordre des choses que les décideurs publiques cherchent à nous vendre comme "problèmes" les questions dont ils possèdent les "solutions". Mais rien ne nous oblige à acheter les solutions à ces "problèmes" là.
Romain Meltz
@lemediapol
Mardi 29 Octobre 2013 à 11h28
Les solutions, leurs problèmes et – cachés derrière - les vrais problèmes
Romain Meltz - DR
La puissance publique fournit les biens et services que les entreprises privées ne pourraient pas fournir.
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Romain Meltz
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ok, ok, je m'y mets
Signaler RépondreVotre question est intéressante car il faut toujours essayer de ne pas écrire des contributions critiques sans se demander à un moment "ok, mais si j'étais dans l'équipe en charge du dossier, je ferais comment". Et c'est assez difficile de répondre généralement
Signaler Répondreà la rigueur elles fourniraient des lampes électriques à leurs salariés
Signaler RépondreDense et instructif, bravo pour cette leçon M. Meltz
Signaler RépondreN'exagérons rien ! Ce n'est pas très clair et on ne sait pas trop ce que vous voulez démontrer. A réécrire.
Signaler Répondrejuste pour vous féliciter pour cette contribution intelligente , pas polémique.
Signaler RépondreIl faut que les collectivités se projettent plus dans l'avenir et travaillent sur les points fondamentaux souvent techniques ,n'entrainant pas l'intérêt du public car rébarbatif mais qui ont une vrai incidence sur ce que sera notre quotidien dans quelques années.
L'aménagement et la restructuration de la Part Dieu voulu par les politique est trop axé sur la forme ,elle a le mérite d'impulser une volonté mais je crains qu'il faudra remettre tout a plat dans 20 ans!
Un plaisir à lire. Bravo
Signaler RépondreSi il y aurait des lampadaires car les entreprises investiraient pour éclairer la rue menant à leurs locaux.
Signaler Répondre"Les passants en question préféreraient déclarer ne pas vouloir payer pour cette lumière sachant bien qu'une fois allumée, la lumière bénéficierait à tous, payeurs comme non payeurs." et pourtant c'est bien ce qui se passe avec les impôts ils payent et pourtant n'utilise pas de nombreux équipements (par exemple ceux qui n'ont pas d'enfants et qui payent les sorties culturels des jeunes) etc
Tiens vous êtes fan des amis de NPG désormais?
Signaler RépondreDes fois on gagne à ce taire.
Signaler RépondreBien, mais à trop vouloir démontrer, vous vous mélangez les pinceaux : le NFL figure au titre des investissements en infrastructures retenus par la mission Duron en 1ère priorité (échéance 2025 à 2030)
Signaler RépondreLa saturation de la Gare de la Part-Dieu n'est pas uniquement lié à cette question, mais bien au fait qu'elle constitue un pôle d'échange pour tout l'est de l'agglo sans équivalent : trams, bus, métro, trains + centre commercial
Les candidats à la municipale de Lyon gagneraient à vous avoir comme directeur de campagne. Vous postulez ?
Signaler RépondreMerci, votre article est brillant.
Signaler RépondreExcellent, bravo ! Merci.
Signaler RépondreUn plaisir à lire cet article. Merci
Signaler RépondreC'est long, c'est argumenté et c'est intelligent. Merci pour la lecture de cet article enrichissant monsieur !
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