Manuel de survie à un dîner chez un réactionnaire

Le réac ? Un être multiple. Qui se recrute à l'extrême droite. Dans une partie majoritaire mais non hégémonique, de la droite. Chez quelques perdus de gauche. Chez un nombre grandissant de gens d'extrême gauche.

Le réac, c'est votre cousin élu UMP de Caluire qui éructe au Grand Lyon qu'il est bien et que tous les autres pas comme lui sont méchants, de l'intermittent du spectacle à l'homosexuel qui veut se marier, en passant par le type qui ne travaille pas dans le même secteur que lui. Le réac c'est le militant d'extrême-droite, quelque soit sa nuance, qui passe ses journées sur Lyon Mag à expliquer sous 15000 pseudos différents que lui seul sait que nous sommes en guerre civile et qu'on nous cache tout. Le réac, c'est le  Dieudonniste croisé au bistrot,  qui voit l'emprise de complots partout.  Le réac, c'est le type qui enferme sa médiocrité dans la haine fascinée et répétitive de celui qui diffère de lui.

Le réac étant dominant idéologiquement, malgré le fait qu'il se prend pour un rebelle au système, il peut arriver statistiquement que suite à une méprise ou à un hasard, vous soyez obligé de dîner à la même table que l'un des personnages de ce joyeux ensemble, quelle que soit sa nuance. Voici, sans être obligé de vous passer un sweat-shirt de la Manif pour tous, le moyen de passer un repas sans dommage.

1- A l'apéro. N'évoquez jamais de problèmes sociaux devant ce verre de Chénas. Jamais. Peu importe que la pauvreté atteigne des sommets en France, peu importe les inégalités, le réac, même quand il se pique de social pour attirer un électorat précarisé, ne s’intéresse pas à ces broutilles. À peine élus, des maires FN, qui avaient fait toute leur campagne sous un vernis social, se sont dépêchés d'enlever le pain de la bouche des enfants et de couper la gratuité à la cantine aux plus pauvres. Pour le réac seul compte l'identité, la religion, l'origine.
Du coup sur ce point le réac est à droite mais aussi parfois, on l'a dit, un peu à gauche. Un élu PS de Vaulx-en-Velin, qui va passer dans quelque temps en conseil de discipline, l'a, d'ailleurs, montré de façon, hélas, éclatante avec des propos à la fois antisémites mais aussi, en écoutant la bande-son, profondément discriminatoires sur un certain nombre d'autres groupes qui avaient le tort de différer de lui... L'hystérie identitaire n'a, c'est son paradoxe, pas de frontière.

2- A l'entrée. Faites votre tête de veau. Aggravez tous les faits divers. Ou comme l'extrême droite lyonnaise, inventez des histoires d'églises à la Duchère qui brûlent à cause de supporteurs algériens. Quand tout le monde se sera rendu à l'évidence que votre histoire était fausse, que le bâtiment en question n'a rien subi et est aussi intact qu'un civet de lapin dans un pique-nique végétarien, chipotez.
Quitte à éviter la vraie question: qu'est-ce qui fait qu'après un match de foot on voit brûler quelques poubelles mais aussi des scooters, des arrêts de tram ? Des incidents pénibles, condamnables, qui font les beaux jours des réacs.
Ceux-ci en faisant mine de les déplorer, savent qu'ils ont là leur fond de commerce. Le réac aime le conflit, pas le calme. Sinon il serait, le bougre, obligé de proposer quelque chose, de travailler ses propositions.  Ah et si quelqu'un à table corrige un peu vos rumeurs "mais non t'abuses, les types avaient pas de chars d'assaut et de soucoupes volantes ce soir là" traitez le de bobo qui refuse de voir la vraie de vraie réalité.

3- Pendant le plat principal. Alors que vous reprenez une quenelle, n'oubliez pas de parler complot. On vous cache tout. On ne vous dit rien. D'ailleurs il y a une grande conspiration pour remplacer les "Français de souche" par des Maghrébins. Le complot est d'ailleurs géré par le socialiste Jamel Debbouze. Ou alors, cela dépend du type de réac chez qui vous êtes, ce sont les Juifs qui sont en train d'essayer de dominer le monde via un message caché dans le dernier sketch de Cyril Hanouna. Ou encore un horrible complot blanc et occidental se cacherait dans un texte de Stéphane De Groodt. On apprend surtout du réac quand on regarde ses ennemis. Bien évidemment, là encore, toute tentative de calmer la paranoïa ambiante vous posera du côté des naïfs, des amis du "système" des aveugles... Si vous voulez vous faire bien voir, inventez-vous aussi des conjurations. Tenez vous saviez que Shakira est en réalité un agent d'Israël ? Que 90% des recettes des fraises tagada servent à financer le Hamas ?

4- Au dessert (non pas de fromages, le Saint-Marcellin est délicieux et coulant à cuillère mais vous commencez à saturer). Faites concurrence à la tartine praline, soyez vous aussi du plus bel des écarlates. Vous en avez marre. Marre. MARRE ! MARREUUUH ! De quoi ? Peu importe vous allez trouver. Soyez incohérent, c'est mieux. De la protection sociale et de l’assistanat si vous êtes au RSA par exemple. Ou de l'Etat si vous êtes un patron vivant uniquement de commandes publiques. Ou du poids de la bureaucratie si vous travaillez à la Banque Postale. Dites sombrement qu'un jour vous en aurez marre et que...(surtout ne finissez pas votre phrase).

5- Au digestif. Devant le marc du Bugey, trouvez que tout était mieux avant. L'avantage c'est que c'est le truc qui rassemble le plus le fait que tout était mieux avant. Quand on n’avait pas d'eau chaude dans les appartements d'ouvriers et pas de sécu mais qu'au moins 'on savait vivre' (notez que le "on" aurait bien évidemment bien du mal à se priver de son bain moussant quotidien). Quand les bars fermaient à 19 h à la Guillotière, mais "au moins il n'y avait pas tous ces bobos avec leur café équitable" (spéciale dédicace aux réacs d'extrême gauche). Qu'on se mettait de l'encre partout à écrire à la plume mais qu'au moins "y'avait pas leur saloperie d'internet avec des chroniqueurs de Lyon Mag, enfin surtout un, vous savez ce type-là qui écrit de ces trucs, enfin vous voyez quoi. Bon ben bonne soirée et à la prochaine".

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Romain Blachier