Comment vous êtes-vous retrouvé juré au procès de Raton et Munch ?
Roland Massard : Totalement par hasard. C’était en 1970. J’ai été tiré au sort avec onze autres personnes pour une session des Assises. Ce qui était assez étonnant car j’avais participé aux événements comme responsable FO aux PTT de Lyon et comme militant socialiste.
Vous étiez à la manifestation où est mort le commissaire Lacroix ?
Non. Ce soir là, je participais à une réunion de la FGDS, rue d’Algérie avec André Soulier, qui plus tard deviendra premier adjoint au maire de Lyon. On a su qu’il s’était passé quelque chose de grave et j’ai été envoyé sur place. Mais tout était fini quand je suis arrivé.
Vous connaissiez l’affaire ?
Par les journaux. Raton et Munch étaient présentés comme des truands qui avaient tué le commissaire Lacroix en lançant un camion sur les forces de l’ordre.
Quelle était l’ambiance du procès ?
Revancharde. Les gens de droite voulaient en faire le procès de mai 1968. La salle était bourrée de policiers, de militants politiques. C’était un procès très médiatique... Il y avait beaucoup de journalistes.
Qui étaient Raton et Munch ?
C’était deux personnalités très contrastées. Michel Raton qui avait 19 ans était ouvrier agricole. C’était un méditerranéen volontaire, trapu et costaud... Je me souviens qu’il était couvert de tatouages. Ce type avait beaucoup d’aplomb. Il avait participé activement à l’occupation des facs. On sentait le bagarreur. Munch était au contraire un grand blond, mince, très effacé... Le genre un peu paumé.
Avant le procès, vous pensiez qu’ils étaient coupables ?
Je n’avais pas d’a priori. Mais, j’avais entendu dire que l’affaire était pas aussi clair qu’on le disait. D’abord, je savais que le commissaire Lacroix était un type bien et que ce soir-là, il voulait s’interposer entre les policiers et les manifestants. D’autre part, j’avais appris que ce policier était en congé maladie pour des problèmes cardiaques et qu’il n’aurait jamais dû être dehors ce soir-là. Du coup, j’étais bien décidé à en savoir plus au cours de ce procès.
Comment sentiez-vous les jurés ?
Sur les 12 jurés, on était deux responsables syndicaux. On était les seuls à avoir l’habitude de prendre la parole en public sans trop se laisser impressionner. Du coup, on s’est répartis les rôles pour poser des questions. Ce qui a surpris tout le monde car en général, les jurés se taisent et suivent sagement les débats.
Quel genre de questions avez-vous posées ?
Est-ce que le commissaire Lacroix était en service ce soir là ? Est-ce qu’il était malade ? Est-ce qu’il suivait un traitement... Ces questions ont permis de faire apparaître au grand jour un certain nombre d’indices que personne n’avaient encore évoqués jusque là. Et Me François La Phuong, l’avocat de Raton, s’est engouffré dans la brèche en produisant un certain nombre de témoins importants qui ont changé notre perception des événements.
Quels témoins ?
Des policiers présents qui avaient assisté à la scène. Bizarrement, ils avaient tous été mutés en Corse ! Il a fallu que la défense paye leur billet d’avion pour les faire revenir au procès !
Que disaient ces policiers ?
Ils ont tous affirmé que personne n’était au volant du camion lancé par les manifestants. Ils ont aussi expliqué que le Pont était dans le noir car tous les lampadaires étaient cassés, que la trajectoire du camion n’avait pas été directe, qu’il avait d’abord heurté le trottoir, ce qui avait dévié sa trajectoire...
En quoi ces témoignages étaient aussi importants ?
Parce qu’ils démontraient que Raton et Munch n’avaient pas cherché à atteindre le commissaire Lacroix. Du coup, il devenait difficile de les accuser.
Où avaient-ils trouvé ce camion ?
En fait, c’est un étudiant qui a indiqué aux manifestants qu’on pouvait trouver des camions sur le chantier de l’entreprise de son père, un certain Joannin, qui travaillait pour la Ville de Lyon.
A quoi devait servir ces camions ?
Ils devaient avancer bennes levées et déposer au fur et à mesure leurs chargements pour permettre aux étudiants de monter des barricades. Mais la police a bloqué les deux premiers camions. C’est là que Raton aurait mis cette pierre sur la pédale d’accélérateur du troisième camion.
Mais ce camion a quand même écrasé le commissaire ?
Non. Un autre témoin surprise a complètement balayé cette thèse. C’était le Dr Grammont, l’interne qui a accueilli le commissaire Lacroix à Grange Blanche. Ce médecin avait lu dans les journaux que le commissaire avait été renversé par le camion, ce qui lui avait brisé plusieurs côtes. Du coup, il avait décidé de venir spontanément à la barre pour dire que c’était faux et que le policier présentait tous les signes d’un infarctus. Et il a précisé que c’était lui qui lui avait brisé les côtes en faisant un massage cardiaque.
Ce témoignage vous a paru crédible ?
Oui. Il a expliqué qu’un massage cardiaque manuel très vigoureux enfonçaient les côtes. Et ce témoignage a été un tournant du procès. En fait, cela nous a permis de découvrir que le camion était passé tout près du commissaire, il l’a sans doute touché à l’épaule puisqu’il avait un bras cassé... Mais c’était la frayeur qui avait provoqué chez lui un arrêt cardiaque.
L’accusation n’avait pas de témoins ?
Si, deux étudiants, mais le premier était un drogué et le second était un guitariste amateur qui était venu à la manifestation parce que la violence l’inspirait... La Phuong les a tournés en ridicule. En fait, ces deux loulous étaient côté étudiants alors que le commissaire est mort côté policiers. Ils ne pouvaient donc rien voir !
Mais Raton et Munch avaient avoué ?
Non, ils n’ont jamais reconnu avoir tué le commissaire. Mais le deuxième coup de th&eac
Mai 68 à Lyon en vidéo
Le procès de Raton et Munch accusés d'avoir tué le commissaire Lacroix (22 septembre 1970)
L'acquittement de Raton et Munch (26 septembre 1970)