La tour Ycone de Jean Nouvel qui verra le jour à l'emplacement du Charlemagne à la Confluence - DR
Voilà plus de deux ans que la justice lyonnaise enquêtait sur des commissions occultes versées en marge de gros contrats immobiliers réalisés dans le quartier phare des mandats de Gérard Collomb : la Confluence. Les flux financiers ont transité par la Suisse par l’intermédiaire de plusieurs sociétés et comptes bancaires.
C’est le promoteur immobilier Cardinal, l’un des grands artisans de la construction du quartier de la Confluence, qui est au cœur des investigations judiciaires menées en France. Cardinal a en effet à son actif le siège du Progrès, d’Euronews, le célèbre cube Orange où il a installé son siège social ou encore la future tour Jean Nouvel dans laquelle le promoteur lyonnais est associé avec Vinci, le géant du BTP.
Dans le quartier de la Confluence, le groupe Cardinal a été associé dans quasi toutes les opérations à un opérateur public : les Voies Navigables de France à travers sa filiale d’aménagement Rhône Saône développement, la Caisse des dépôts et Consignations, bras armé financier de l’Etat ou encore la société d’aménagement du Grand Lyon, la Société Publique Locale (SPL) Lyon Confluence, chargée d’aménager le quartier de la pointe sud de la Presqu’île pour le compte de la Métropole de Lyon. Aucune de ces grandes structures publiques n’ignorent les enquêtes pénales qui menacent le groupe Cardinal.
Fausses factures et blanchiment
Le groupe immobilier, présidé par Jean-Christophe Larose, est en effet soupçonné par la justice lyonnaise d’avoir versé à de multiples reprises des commissions à la Sepim, une société suisse installée dans le canton de Fribourg. En justification de ces flux financiers, le président du groupe Cardinal a expliqué que cet argent venait rétribuer des apporteurs d’affaires suisses qui rendaient possible la signature de contrats immobiliers. Rien que du légal en somme.
Mais des éléments matériels viennent accréditer l’hypothèse que Jean-Christophe Larose serait en vérité le dirigeant caché de la Sepim. Dès lors, les commissions versées à cette société suisse auraient été effectuées en contrepartie de prestations fictives.
Un document, connu de la brigade financière de la PJ, de transfert d’actions de la Sepim au profit de Jean-Christophe Larose tend ainsi à démontrer qu’il serait le dirigeant occulte de cette société suisse qui jouerait alors le rôle de société écran servant à faire transiter des fonds à la destination douteuse.
Le parquet de Lyon et la brigade financière de la PJ de Lyon suspectent donc ouvertement la société Cardinal d’avoir mis en place un système de fausses factures en utilisant une société contrôlée en sous-main par le dirigeant de Cardinal lui-même.
Ces soupçons sont d’ailleurs repris en toutes lettres dans les justifications de la demande d’entraide émise par le parquet de Lyon et retraduites dans la décision de la justice suisse : "Il ressort de la commission rogatoire que des informations ont été portées à la connaissance de la Direction Interrégionale de la Police Judiciaire de Lyon selon lesquelles la société Cardinal avait établi de fausses facturations avec la société Sepim SA […]. La société Cardinal est soupçonnée de verser à [Sepim] des honoraires en contrepartie de prestations fictives. Il semble en outre que le dirigeant de Cardinal soit en vérité le véritable dirigeant de Sepim. Les faits poursuivis seraient constitutifs selon le droit français des délits de faux et usage de faux et blanchiment de fraude fiscale."
Un exemple tiré de nos propres investigations : lorsque le Groupe Cardinal décide de racheter l’immeuble Le Charlemagne à la Confluence (là même où sera édifiée la future tour Ycone de Jean Nouvel à l’angle du cours Charlemagne et de la rue Montrochet), il le fait avec la société d’aménagement du Grand Lyon, la SPL Lyon Confluence.
L’immeuble est racheté 9,7 millions d’euros. 2,4 millions à la charge de la société publique Lyon Confluence et 7,3 millions payé par le Groupe Cardinal. Mais le groupe Cardinal va contracter un prêt de 7,5 millions d’euros auprès de la Banque Cantonale de Genève au lieu des 7,3 millions nécessaires pour financer l’acquisition.
Dans cette opération, c’est 200 000 euros de commissions qui seront versées en Suisse pour rémunérer, selon les dires de Jean-Christophe Larose lorsque nous l’avions interrogé à l’époque, un intermédiaire qui a permis de conclure ce contrat. Or, aucun intermédiaire n’est intervenu afin de rendre possible la transaction. Les dirigeants de la société Lyon Confluence l’attestent mais également l’acte de vente qui stipule "qu’aucun honoraire de commercialisation n’est dû à un intermédiaire" dans ce dossier.
Perquisitions et blocage
Ainsi, le 17 juin 2014, le parquet de Lyon a donc demandé l’aide de la justice suisse pour poursuivre son enquête. Dès le 14 août 2014, la police fribourgeoise a procédé à plusieurs perquisitions dans les locaux de la Sepim, mais également au sein de deux fiduciaires à Villars-sur-Glâne dans le canton de Fribourg ainsi qu’à Lausanne. Des réquisitions ont été prises par le parquet de Fribourg auprès de la banque de la Sepim afin qu’elle délivre toute la documentation bancaire relative à cette société : la correspondance interne de la banque, sa correspondance avec la Sepim ainsi que les extraits détaillés de ses comptes bancaires et de ses relations avec des tiers.
Le 8 avril 2015, le ministère public du parquet de Fribourg a ordonné la remise à la France de l’ensemble des éléments de preuve. Mais plusieurs recours intentés par les avocats de la Sepim ont tenté d’empêcher ce transfert. Motif invoqué : les commissions versées à la Sepim auraient été réalisées uniquement à des fins fiscales "afin d’induire l’administration fiscale en erreur" selon l’argument développé par les avocats de la Sepim.
Le faux argument de l’infraction fiscale
Leur intention était de rendre totalement irrecevable la demande d’entraide présentée aux autorités suisses car la loi fédérale suisse sur la demande d’entraide internationale interdit de poursuivre les infractions purement fiscales qui tendent à se soustraire au fisc.
Or, la justice helvète a apporté un ferme démenti à cet argument de l’infraction fiscale qui aurait pu rendre les poursuites inopérantes. "Rien dans l’exposé des faits poursuivis ne laisse penser que les fausses factures dont il est fait mention aient été utilisées à des fins fiscales. Ainsi, contrairement à ce qu’allèguent [les avocats de la Sepim], il ne ressort nullement de la demande d’entraide que les fausses factures dont il est question auraient été établies afin d’induire l’administration fiscale en erreur", écrit la justice suisse dans sa décision du 18 décembre 2015 qui valide la procédure d’entraide internationale formulée par le parquet de Lyon.
A quoi servaient les fausses factures ?
Dès lors, si les fausses factures n’étaient pas destinées à tromper le fisc en recourant à de l’évasion fiscale, à quoi servaient-elles ? Dans ce dossier, la justice lyonnaise soupçonne un système de rétro-commissions alimentées par les fausses factures payées par le groupe Cardinal. En clair, un système de pots-de-vin.
Désormais, le parquet de Lyon bénéficie de "la documentation relative à la traçabilité d’un éventuel avantage économique indirectement lié à des faux", estime pudiquement la justice suisse dans son arrêt du 18 décembre 2015. "Il n’y a donc plus qu’à suivre l’argent", selon Une source proche du dossier afin de valider – ou pas – les soupçons de rétro-commissions pudiquement dénommé "avantage économique indirectement lié à des faux" par les Suisses.
Selon nos informations, le dossier continue d’être étudié à la section financière du parquet de Lyon depuis la transmission des pièces par la justice suisse. La procédure en est encore au stade de l’enquête préliminaire. Une information judiciaire pourrait être ouverte à la condition expresse que les éléments de preuves soient suffisamment éclatants. Sollicité, Jean-Christophe Larose, président du groupe Cardinal, n’a pas répondu à nos questions.
Slim Mazni
La justice aura-t-elle les c****** de faire son boulot ???
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