Alors que 18 autres salariés ont été déboutés par les Prud'hommes.
Les plaignants, d'origine maghrébine, antillaise, réunionnaise, turque ou originaires de l'ex-Yougoslavie pour les hommes, réclamaient chacun 50 000 euros pour réparation et leur reclassement dans la catégorie supérieure. Recrutés comme ouvriers à partir des années 60, ils accusaient la direction de Bosch France d'avoir "bloqué" leur carrière en raison de leur origine ethnique pour les hommes ou de leur sexe pour les femmes.
"Le seul fait qu'il y ait 18 déboutés semble établir sans la moindre difficulté qu'il n'a pas de politique de discrimination au sein du groupe Bosch", a déclaré Me Joseph Aguera, avocat de l'équipementier qui s'est dit "satisfait" du jugement. "Ce n'est pas le nombre qui fait la qualité de la décision", a répliqué l'avocat des plaignants Me Pierre Masanovic, en ajoutant : "Les juges ont considéré qu'il y avait "discrimination ethnique pour six des salariés demandeurs et discrimination sexiste pour une salariée demandeur".
Lors de l'audience, Me Masanovic avait mis en avant la décision inédite de la cour d'appel de Versailles qui avait reconnu le 2 avril Renault coupable de discrimination raciale envers deux ex-salariés, qui estimaient avoir eu des carrières moins intéressantes que leurs collègues blancs, à cause de leur origine. Concernant les femmes, Me Masanovic avait dénoncé le fait qu'à rémunération égale aux hommes, leur carrière stagnait
Selon l'équipementier, les évolutions de carrière "résultent d'une stagnation de la grille salariale" et d'un "turn-over inexistant", avait pour sa part déclaré Me Aguera.
Lire l'interview de Mohamed Brahmi, représentant CGT sur le site de Bosch à Vénissieux, publiée en 2007 dans Objectif Rhône-Alpes.
Ce que vous reprochez exactement à Bosch ?
Mohamed Brahmi : Nous avons déposé 27 plaintes pour discrimination raciale dans le déroulement de carrière et trois plaintes pour discrimination sexiste contre Bosch, à Vénissieux. Pour des faits qui se sont déroulés de 1966 à 1986.
Les victimes de cette discrimination ?
Ce sont des gens originaires des DOM-TOM, d’Afrique ou d’Asie, qui pendant vingt ans n’ont eu aucune promotion, ni augmentation de salaire. Ce qui démontre que Bosch a fait de la discrimination.
Vous-même vous avez été victime de cette discrimination ?
Oui. Moi, j’ai 44 ans et ça fait vingt-quatre ans que je suis entré dans l’entreprise, où je travaille sur des machines qui fabriquent des petits pistons pour Wolkswagen. Je suis entré en tant que P1, et aujourd’hui, je suis toujours P1, c’est-à-dire ouvrier professionnel première catégorie. Avec un salaire de 1 400 euros net par mois. Alors que certains sont entrés chez Bosch en même temps que moi, parfois avec des diplômes inférieurs, et pourtant ils ont évolué plus rapidement que moi. En plus, je subis une double discrimination : raciale mais aussi syndicale.
Mais ils étaient peut-être plus compétents, plus motivés ou plus bosseurs que vous !
Je ne crois pas que ce soit un problème de motivation ou de compétence. D’ailleurs Bosch n’est pas la seule entreprise à faire de la discrimination : regardez le TGV Paris-Lyon. Dans le train, parmi les cadres, combien de gens comme moi ? En revanche, sur le quai, en train de balayer, il y en a beaucoup. D’ailleurs, Il y a cinq ans encore, chez Bosch on ne retrouvait aucun salarié issu de l’immigration chez les ingénieurs ou les cadres et ils étaient très rares chez les agents de maîtrise. Depuis, les responsables de Bosch à Vénissieux ont essayé de rectifier le tir. Surtout depuis qu’on a porté l’affaire devant la justice.
Pourquoi avoir attendu aussi longtemps avant de réagir ?
On a d’abord essayé de négocier. C’était en février 2003. Et ça a duré environ un an et demi, mais on n’a pas pu trouver d’accord avec la direction. Car elle a fait un blocage sur deux points : la reconnaissance claire de l’existence d’une discrimination raciale et sexiste au sein de l’entreprise. Mais aussi le calcul du préjudice que les victimes de cette discrimination avaient subi. Du coup, on a claqué la porte de la discussion. Mais on a pris le temps de réunir des preuves avant d’attaquer Bosch en 2005.
Mais au début il y avait beaucoup plus de plaignants ?
C’est vrai, on était quarante-sept. Mais alors qu’on avait décidé d’attaquer Bosch, un autre syndicat a continué de négocier avec la direction du site, qui convoquait individuellement chaque plaignant en leur faisant des propositions minimum. Du coup, certains ont craqué en acceptant les transactions qu’on leur proposait.
Qu’est-ce que Bosch proposait ?
Certains se sont fait proposer des sommes qui vont jusqu’à 6 000 euros. Mais c’est vraiment pas grand-chose pour trente ou trente-cinq ans de carrière avec des salaire gelés.
Comment vous allez prouver qu’il y a discrimination ?
C’est difficile. Mais nous avons fait en sorte de réunir des éléments formels, notamment avec un vrai travail statistique démontrant que les salariés issus de l’immigration étaient bloqués dans leur évolution de carrière par rapport aux autres.
Combien vous demandez à Bosch ?
On réclame 50 000 euros par salarié victime de discrimination plus un passage à l’échelon supérieur. Mais l’argent n’est pas tout. On veut d’abord que la justice reconnaisse la discrimination raciale et sexiste chez Bosch pour qu’on puisse enfin être traités à égalité avec les autres salariés de l’entreprise.
Et vous, personnellement ?
Moi, je me suis lancé dans cette affaire en pensant à mon père qui a commencé comme OS et qui a fini OS. Mais aujourd’hui, on vit toujours la même chose, alors qu’on nous raconte que les mentalités ont évolué. Mais je me demande combien de générations on va devoir attendre pour qu’on reconnaisse notre travail et notre dignité.
Propos recueillis par Jean-Frédétic Tronche