Serial killer de Lagnieu : "Un véritable jeu de piste"

Corinne Herrman, une juriste spécialiste des serial killers qui vient d’écrire “Un tueur peut en cacher un autre”, analyse le meurtre du petit Valentin à Lagnieu par Stéphane Moitoiret.

Votre réaction quand vous avez appris ce meurtre de Lagnieu ?
Corinne Herrman : Naturellement un sentiment d’horreur ! Mais j’ai aussi pensé aux crimes non élucidés dans la région et qu’on pourrait rapprocher de ce meurtre. Bien sûr, je ne veux pas accuser Stéphane Moitoiret d’être un serial killer. Mais il y a dans cette affaire des signes d’alerte qui exigent de vérifier cette piste.
Quels genres de signes ?
Les 44 coups de couteaux. Car c’est rare qu’on dépasse les 10 dans un crime. Francis Heaulme, par exemple, est allé jusqu’à plus de 80 mais il s’arrêtait souvent à trois ou quatre. Il y a aussi d’autres signes comme cette déclaration de sa compagne, Noëlla Hego, qui a parlé de “retour en arrière” pour évoquer ce drame. Ou encore cette formule étrange écrite sur le tableau d’une salle paroissiale où le couple a passé la nuit : “remise en route du destin”.
En quoi ces expressions vous semblent intéressantes ?
Elles traduisent une mise en scène. Or, les serial killers ont toujours un vocabulaire codé pour évoquer leurs meurtres. Francis Heaulme parlait par exemple de “trous noirs”.
Et ces rituels de purification auxquels se livraient Moitoiret et Hego ?
Il faut les étudier également de près. Simple délire religieux ou volonté de se nettoyer mentalement et physiquement après un meurtre ? En fait, il ne faut rien laisser au hasard, même ce qui peut paraître à première vue anecdotique. Exemple : quand Monique Olivier écrivait à Michel Fourniret en prison, elle le surnommait “Sherekan”, le tigre du “Livre de la jungle”. Cela peut paraître anodin. Mais Fourniret était lui aussi un tueur d’enfants. Et on sait que ce couple se moquait de ses victimes et allait jusqu’à mimer ensemble leur viol.
Comment savoir si ces expressions cachent d’autres meurtres ?
Il faut oublier notre rationalité pour entrer dans leur univers et décrypter ce qui a un sens pour eux. Car certains criminels se croient intelligents et ces codes leur permettent de valoriser leurs délires. D’autres s’en servent pour se détacher de leurs actes, voire se disculper. Exemple : Fourniret parlait d’un frère jumeau.
Mais se balader de village en village, ce n’est pas très discret !
Au contraire. C’est le meilleur moyen de passer inaperçu ! D’ailleurs, chez les serial killers, on trouve beaucoup de vagabonds : de Joseph Vacher, le tueur de bergères qui a sévi dans la région lyonnaise à la fin du XIX siècle, jusqu’à Francis Heaulme. Car cette errance les rend difficiles à suivre. Pour les mêmes raisons, on retrouve beaucoup de camionneurs et de VRP parmi les serial killers. Alors que ceux qui commettent toujours leurs crimes dans le même secteur finissent souvent par se faire prendre.
De nombreux maires ont pourtant relevé leur identité !
Cela ne veut pas pour autant dire que des recoupements ont été faits avec les crimes. Exemple : après certaines meurtres, Heaulme est allé jusqu’à s’automutiler pour finir à l’hôpital ou en service psychiatrique. Ce qui lui a permis parfois d’échapper aux enquêteurs.
Mais Moitoiret vivait en couple...
Mais les serial killers solitaires sont très rares. Fourniret et Dutroux avaient une femme, Heaulme souvent des complices occasionnels... Mais les relations de ces couples sont très complexes. Fourniret parlait de sa “princesse russe” pour désigner Monique Olivier alors qu’il était très autoritaire avec elle. Et Moitoiret appelait Noëlla Hego “Sa Majesté”...
Montoiret est vraiment responsable de ses actes ?
C’est aux psychiatres de l’examiner et de faire un diagnostic. Mais ce que je remarque, c’est qu’il a tenté d’organiser son impunité en cachant l’arme du crime et en prenant la fuite rapidement. Ce qui est plutôt le signe d’un meurtrier conscient de la gravité de son crime.
Comment ces serial killers échappent à la justice ?
Le problème en France, c’est qu’il y a encore une très forte fragmentation administrative entre les différents services de justice, entre la police et la gendarmerie... Joseph Vacher a été arrêté parce qu’un magistrat a alerté ses collègues en leur demandant de lui signaler tout crime comparable à celui qu’il n’arrivait pas à résoudre. Une réaction inédite à l’époque. Et un réflexe encore rare aujourd’hui !
Il y a quand même des fichiers centralisés...
Oui. La situation s’améliore. Mais il vaudrait mieux préserver les scènes de crime. Trop souvent, la police scientifique retrouve encore les ADN des forces de l’ordre qui sont intervenues au tout début sur les lieux du crime sans prendre de précautions suffisantes. Ce qui brouille les pistes.
La solution ?
Former des criminologues pour assister les enquêteurs. Et étudier toutes les pistes dès le départ avec deux équipes. L’une travaillant sur les proches et l’autre cherchant un criminel de passage. Car on perd souvent un temps précieux en privilégiant une seule hypothèse, celle de l’entourage.

Corinne Herrman : “Un tueur peut en cacher un autre : comment les serial killers passent à travers les mailles du filet”, Stock, 537 pages, 21,50 euros.

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