“Je n’ai aucune nouvelle de Jean-Paul depuis hier soir et je suis très inquiète.” C’est ce que déclare Geneviève Dany, 52 ans, aux gendarmes de l’Arbresle quand elle vient signaler la “disparition” de son compagnon le 29 avril dernier. Selon elle, Jean-Paul Drillard serait parti en fin de soirée au volant de sa voiture pour nourrir ses chiens de chasse qu’il avait confiés à un ami depuis leur installation à Chevinay, un petit village de 400 habitants, situé au pied du col de la Luère, dans les Monts du Lyonnais. Rapidement, la gendarmerie va quadriller le secteur et même mobiliser un hélicoptère. Car cette partie de la vallée de la Brévenne est couverte de forêts et parcourue de multiples petites routes à peine carrossables. Alors que la famille de Jean-Paul Drillard se mobilise en placardant des affiches et en mettant des messages sur les sites internet d’aide aux familles de disparus. Sans oublier ses amis. Car Jean-Paul Drillard est un enfant du pays. Issu d’une famille d’agriculteurs de Courzieu, il est resté dans son village natal tout comme son frère, Jean-Marc, qui a repris l’exploitation familiale, et ses deux sœurs, Thérèse et Alice. De plus, il a exercé deux métiers qui lui ont permis de devenir un personnage dans le secteur. Tout d’abord comme garde-champêtre de cette commune célèbre pour son parc aux loups, puis comme employé de la Serepi, une filiale de la Lyonnaise des Eaux, pour relever les compteurs. Mais il était aussi très impliqué dans la vie associative, notamment comme président de l’association des chasseurs de Courzieu. Avant de déménager l’an dernier à Chevinay, un village tout proche.
Mais les recherches ne donnent rien. Et pour cause : trois jours plus tard, Geneviève Dany retourne chez les gendarmes, cette fois à Brignais. C’est un proche à qui elle se serait confiée qui l’aurait encouragée. Et elle livre une toute autre version de cette disparition. Le soir du 28 avril, elle aurait en fait dîné avec son compagnon à l’heure habituelle, vers 19h. Comme il était très nerveux, elle lui aurait proposé des somnifères. Un cocktail de 5 médicaments. Dépressive depuis plusieurs années, elle en avait tout un stock chez elle. Jean-Paul Drillard aurait donc ingurgité ce mélange tout en se plaignant de son “goût d’amande”. Malgré cette forte dose, il aurait même accepté vers 20h d’aller faire une promenade sur leur lieu de sortie favori : l’étang des Verchères. Situé à environ 2 km en contrebas de Chevinay, ce site a été aménagé par la Gaule Chevinoise, l’association de pêche locale, avec une petite cabane en bois pour la buvette et ses tables en bois peintes en vert. Et c’est là où se déroule la fête du village. Un site bucolique, calme et reposant, presque romantique. Mais à l’abri de tout regard. Même s’il n’est qu’à 200 m à peine de la petite route qui descend de Chevinay. Sur place, on n’entend que le coassement des grenouilles et au loin, les chiens du hameau des Verchères, tout proche, mais lui aussi camouflé par les bois.
Dany explique donc aux gendarmes qu’elle a pris le volant de sa Renault 19 jusqu’à l’étang des Verchères avec son compagnon qui, selon elle, s’était assoupi quand elle est arrivée à destination. Et elle précise aux gendarmes qu’elle aurait alors garé sa voiture devant l’étang et fait quelques pas. Mais tout à coup, les freins ont cédé et la voiture aurait pris de la vitesse pour tomber dans l’étang. Sans qu’elle puisse intervenir. Prise de panique, elle affirme alors être rentrée chez elle avant d’alerter les gendarmes en inventant cette histoire de disparition.
Face à ce témoignage, les gendarmes se demandent s’ils n’ont pas à faire à une déséquilibrée, mais ils vérifient rapidement cette histoire de disparition chez leurs collègues du secteur de Courzieu. Du coup, une équipe de plongeurs fouille l’étang dont ils vont extraire la Renault 19. Puis le corps de Jean-Paul Drillard. Selon les premières expertises, il est mort noyé sans avoir subi de violences. Alerté, le procureur de la République de Lyon, Xavier Richaud, trouve cette affaire très suspecte. Et il décide d’ouvrir une information judiciaire pour assassinat avec préméditation, qui sera confiée à Marion Chaverot, une jeune juge d’instruction. D’ailleurs, quand Jean Varaldi, le substitut du procureur, s’explique publiquement sur cette affaire, il précise que Geneviève Dany s’est livrée à la gendarmerie “pour soulager sa conscience”.
Dans le village, c’est un choc. “On a dû annuler la fête des associations qui était prévue autour de cet étang deux jours après la découverte du corps”, se souvient le maire Gérard Cote. Et surtout, personne n’aurait pu imaginer que la “douce Geneviève” se transforme en meurtrière. “On lui aurait donné le Bon Dieu sans confession”, note André Roux, le compagnon de Simone, la mère de Jean-Paul Drillard.
Mais plus d’un mois après les faits, plusieurs zones d’ombres subsistent. Premier point étonnant dans cette affaire : l’absence de vrai mobile. D’autant plus que Geneviève Dany a expliqué son geste de façon assez étrange en précisant d’abord que Jean-Paul Drillard lui avait donné “une ou deux claques” tout en remarquant qu’il avait “le cœur sur la main”. Puis elle a également indiqué qu’il aurait frappé son... teckel.
Incohérences
En revanche, ce que vont vite comprendre les enquêteurs, c’est que derrière l’apparente tranquillité de ce couple sans histoire, s’était déroulé un terrible huis-clos. “Au fond, tout les opposait”, remarque un habitant du village. En effet, Jean-Paul Drillard était un bon vivant. Corpulent avec ses 80 kg pour 1,70 m, le front dégarni, il affichait toujours un petit sourire. “Ce qui lui plaisait, c’était la vie au grand air”, se souvient un proche André Roux. Et il se plaisait particulièrement dans son village natal de Courzieu où il vivait dans une grande ferme au hameau de la Goutte avec ses chiens. A l’époque, il était encore avec sa première femme, Ghislaine, qui lui a donné quatre enfants, deux filles et deux garçons. Avant de divorcer. Tout en gardant de bonnes relations. Mais après avoir rencontré Geneviève Dany, qui venait alors de perdre son mari d'un cancer, il va déménager pour une petite maison plus confortable située au cœur du village de Chevinay, entre la mairie et l’église. Un crève-cœur pour Jean-Paul Drillard qui a dû placer ses chiens chez Pascal Carret, président de l’association des chasseurs de Chevinay, car il lui était impossible d’aménager un chenil dans ce nouveau domicile.
D’ailleurs, Geneviève Dany ne semblait pas beaucoup aimer la campagne. Car cette petite femme frêle est tout l’inverse de son mari. L’air toujours triste, elle s’est même enfoncée dans la dépression, contraignant Jean-Paul Drillard à refuser ses repas entre copains qu’il aimait tant. “Je ne m’attarde pas. Vous savez bien, Geneviève, sa maladie...”, lâchait-il avant de disparaître.
Mais ce qui va frapper les gendarmes, c’est le nombre d'incertitudes dans le déroulement des faits. Jean-Paul Drillard a-t-il accepté d’absorber volontairement ces médicaments ? Ou sa compagne lui a-t-elle fait absorber ces médicaments à son insu en les mélangeant à sa nourriture ? Et pourquoi a-t-il voulu sortir après une telle dose de somnifères ? De plus, les constatations faites sur place par les enquêteurs ne collent pas vraiment avec la version de Geneviève. Tout d’abord parce qu’ils ont retrouvé le frein à main de la Renault 19 serré. Non seulement cette voiture n’a pas pu glisser toute seule dans l’étang, mais il lui aurait même été difficile de la pousser. D’autant plus que les abords de l’étang sont pratiquement plats. De même, comment expliquer que son corps ait été retrouvé hors de sa voiture ? A moins de supposer que malgré les somnifères, il aurait eu un dernier sursaut de lucidité pour tirer le frein à main et essayer de sortir de la voiture avant de mourir à bout de forces. Autre bizarrerie : Geneviève Dany serait remontée toute seule jusqu’à la place du village. Soit près de 3 km à pied par une petite route escarpée et très pentue. Soit une bonne demi-heure, voire plus. Et tout ça en début de soirée, sans croiser personne.
D’ailleurs, quand on interroge les avocats chargés du dossier, on les sent très perplexes. Maîtres Thomassin et Moroz, les avocats lyonnais de Geneviève, posent clairement le problème de l’impact sur leur cliente des benzodiazépines, ces médicaments qui lui auraient été prescrits pour sa dépression, car ils ont la réputation de provoquer parfois l’inverse de l’effet escompté. C’est-à-dire des espèces de “bouffées délirantes” au cours desquelles tout est possible. Ce qui expliquerait l’absence de mobile avant le passage à l’acte. Alors que Me Hervé Banbanaste, avocat des quatre enfants de la victime, avance une hypothèse nouvelle : “Mes clients se demandent toujours pourquoi et comment elle l’a tué. Voire même si elle n’a pas eu un complice”. Ce qui expliquerait ces incohérences. D’ailleurs, comment cette femme frêle et fragile a-t-elle pu transporter un homme de 80 kg, assommé par des somnifères avant de le jeter dans l’étang où les gendarmes l’ont retrouvé sans vie ? Puis comment a-t-elle pu pousser seule sa voiture, frein à main serré ? Avant de marcher pendant 3 km pour regagner le village ? Des questions sans réponses mais qui laissent planer un mystère sur cette étrange affaire qui pourrait bien connaître de nouveaux rebondissements.
Bruno Le Fresnes
(1) Conformément à la loi, Geneviève Dany reste présumée innocente jusqu’à son jugement définitif.