Comment expliquer l’incroyable ascension de Barack Obama ?
Olivier Richomme : Il arrive d’abord à un moment clef de l’histoire américaine, après deux mandats assez calamiteux de Georges W. Bush. D’où un important besoin de changement que Barack Obama incarne parfaitement car il est jeune, noir et relativement nouveau en politique. Mais c’est aussi un formidable animal politique.
En quoi il est différent ?
Il a l’intelligence d’un homme politique, avec en plus, un certain supplément d’âme. Car il est naturel, charismatique, éloquent... Quand Barack Obama s’adresse au peuple américain, le courant passe. D’ailleurs, il y a une dynamique assez irrationnelle autour de lui, comme si c’était un messie.
D’autres raisons pour expliquer sa popularité ?
Sa force, c’est aussi son histoire. Fils d’une Américaine et d’un Kenyan, il est né à Hawaï, a passé une partie de son enfance en Indonésie... Et alors qu’il est d’origine modeste, il est arrivé au sommet grâce à son travail. Bref, il a une histoire à la fois très américaine et très originale. Ce qui permet à beaucoup d’Américains de se retrouver dans son parcours. D’ailleurs, ce n’est pas pour rien qu’il a écrit sa première biographie à 34 ans seulement, juste avant de se lancer en politique. Car il a bien compris que le peuple américain aime s’identifier à une histoire.
C’est quel genre de personnalité ?
C’est quelqu’un qui a une confiance en lui assez extraordinaire. Il est persuadé d’avoir un destin. Et malgré la pression, il est capable de rester calme, posé, lucide... De plus, il propose une vision du changement basée sur une mobilisation populaire. C’est l’héritier de la démarche du mouvement des droits civiques dans les années 60 aux Etats-Unis : “Parce qu’un individu s’est levé, quelques autres se sont levés. Puis des milliers se sont levés. Et puis des millions se sont levés. Et debout, avec courage et un but précis, ils ont réussi, tant bien que mal, à changer le monde”. Un discours en phase avec l’Amérique de 2008, qui n’a plus confiance en ses institutions et en ses leaders.
Les personnages qui comptent pour Obama ?
Sa mère, Ann Dunham, qui l’a élevé seule car son père est parti alors qu’il n’avait que 2 ans. Elle lui inculquera des valeurs de tolérance, d’ouverture... C’est une progressiste et un esprit libre, qui va se remarier avec un Indonésien, apprendre l’indonésien... Autre personnage central dans la vie de Barack Obama : sa femme, Michelle, qui est sa confidente, même pour la politique. Une femme très intelligente, qui a accepté de mettre entre parenthèses sa carrière personnelle pour la réussite de son mari.
C’est un environnement très féminin !
Oui, ça peut d’ailleurs expliquer sa sensibilité, son sens de l’écoute... Rien à voir avec John McCain, le candidat républicain qui est issu de trois générations de militaires ! Dans la vie de Barack Obama, un homme a beaucoup compté, mais par son absence : son père. Obama écrira qu’il a grandi avec le “mythe” de son père, qu’il n’a revu qu’une seule fois, à l’âge de 10 ans. D’où un besoin de reconnaissance. Ce qui peut expliquer pourquoi il s’est lancé en politique.
Son modèle ?
Barack Obama a dit qu’il admirait Ronald Reagan pour ce qu’il avait fait avec le parti républicain en 1981. Alors que le pays était en pleine crise identitaire, Reagan a su prendre des électeurs au parti démocrate et imposer une nouvelle dynamique politique pendant 20 ans. Obama aime également mettre en avant son côté non partisan, au-dessus des partis... D’ailleurs son objectif, c’est de conquérir des Etats aux républicains pour relancer la machine démocrate.
Comment Obama s’est imposé face à Hilary Clinton pour être le candidat des démocrates ?
Sa campagne a été un modèle d’efficacité. Car il a su s’entourer d’une équipe assez formidable, notamment pour le financement électoral. Des grands donateurs historiques du parti démocrate l’ont ainsi soutenu face à Clinton. Mais Obama a su également exploiter le mouvement populaire très fort qu’il suscitait. En particulier grâce à internet, où le fonctionnement en réseau permet de toucher des millions de personnes. Sa levée de fonds en ligne a été la clé de sa réussite, avec 1,5 million de donateurs. D’où au final, une campagne qui a permis de recueillir une somme record : 265 millions de dollars. Et c’est un avantage décisif en politique aux Etats-Unis où il faut avoir plus d’argent que ses opposants, car il n’y a pas de décompte du temps de parole. Plus vous avez d’argent, plus vous êtes présent à la télé, à la radio...
Qui vote pour Obama ?
Pour les primaires, c’étaient essentiellement les moins de 30 ans, les diplômés, les cadres... Et bien sûr les Afro-américains. Alors que Clinton avait les ouvriers, les personnes âgées et les femmes.
Il n’est pas trop élitiste ?
C’est ce qu’on lui reproche. Mais c’est aussi le problème de la vie politique américaine, où on ne vote pas sur un programme, mais sur un candidat avec lequel on pourrait boire une bière. C’est comme ça que Bush est passé et que McCain arrive à séduire une partie de l’électorat.
Obama a aussi le défaut d’être très apprécié en Europe !
C’est vrai que le discours d’Obama devant 200 000 personnes à Berlin n’est pas passé inaperçu aux Etats-Unis ! Les Républicains s’en sont servis pour dire qu’il se prenait pour une rock star, que ce n’était pas aux Européens d’élire le président américain... Du coup aujourd’hui, dans le camp Obama, certains pensent que ce voyage en Europe, c’était une erreur.
Les Républicains lui reprochent également son manque d’expérience par rapport à McCain !
C’est pour cela qu’Obama a pris comme vice-président Joe Biden. Un sénateur blanc, plus âgé et surtout, crédible au parti démocrate sur les questions de politique étrangère. En plus, ça fait 25 ans qu’il bosse avec McCain au Sénat, donc il n’aura aucun scrupule à l’attaquer. Le seul problème, c’est que Joe Biden vient du nord-est, comme Obama. Or ça fait des années qu’un ticket président-vice-président sans racine dans le Sud n’a pas gagné l’élection présidentielle. Car la fracture culturelle et politique entre le Nord et le Sud reste forte aux Etats-Unis.
Comme Obama, McCain est aussi un candidat qui dépasse les clivages politiques classiques ?
C’est vrai que McCain a également cette image de maverick, c’est-à-dire d’électron libre. Il a par exemple voté des projets législatifs avec les démocrates, comme la réforme du financement des campagnes électorales. Et il voulait prendre un vice-président qui soit un ancien démocrate. Mais depuis le début de la campagne, il a été pris en otage par la droite dure du parti, qui lui a notamment imposé le choix de Sarah Palin comme colistière. Et elle radicalise le discours des Républicains, ce qui plaît à leur base électorale. Du coup, l’élection présidentielle revient à un affrontement plus classique entre démocrates et conservateurs.
A votre avis, qui va remporter cette élection ?
Si les démocrates ne sont pas foutus de gagner cette année, c’est vraiment que c’est des chèvres ! Ils ont un bon ticket Obama-Biden, du fric à ne plus savoir quoi en faire... Et avec Bush, les Républicains sont discrédités.
Et vous pensez vraiment que les Américains sont prêts à élire un président noir ?
Le problème aux Etats-Unis, c’est qu’un candidat peut être majoritaire en voix et ne pas être élu président, car c’est un suffrage indirect. En fait, dans chaque Etat, les Américains élisent des grands électeurs, qui voteront ensuite pour le président. Donc il vaut mieux gagner de justesse dans des Etats-clés que remporter largement les Etats gagnés d’avance.
Dans quels Etats l’élection va se jouer selon vous ?
Pour gagner l’élection, il faut remporter au moins un des trois Etats les plus importants : la Californie, le Texas et New York. Et le quatrième, c’est la Floride. Obama va gagner en Californie et à New York, alors que McCain aura le Texas. Et si Obama l’emporte en Floride, c’est gagné. Or Sarah Palin peut faire perdre les Républicains dans cet Etat, car de nombreux électeurs, en particulier les retraités juifs originaires de New York, n’apprécient pas ses positions religieuses.
Si Obama est élu président, il ne risque pas de se faire assassiner ?
Beaucoup d’Américains le redoutent, en particulier dans la communauté afro-américaine et ceux qui ont vécu l’assassinat de Kennedy en 1963. C’est vrai qu’il existe un vrai risque. Mais personnellement, je n’y crois pas.
Ses premières décisions s’il devient président ?
Retirer l’armée américaine de l’Irak, afin d’économiser des milliards de dollars qui serviront à réformer le système de santé, mais aussi à construire de nouvelles infrastructures.
Propos recueillis par Thomas Nardone
“L’Amérique de Barack Obama”, de François Durpaire et Olivier Richomme, Ed. Demopolis, 224 p., 19 euros.