Le Musée des Beaux Arts n’a pas vraiment choisi la facilité avec “1945-1949, Repartir à zéro”. Une période marquée par les traumatismes de la guerre, les millions de morts, la révélation de l’horreur des camps nazis... D’ailleurs les visiteurs sont accueillis par une vidéo du champignon nucléaire au dessus de Nagasaki et par un extrait du film "Allemagne, année zéro" de Roberto Rosselini où on voit un jeune berlinois errer au milieu des ruines... Ambiance. Puis on entre dans les 6 sections de l’expo : Expérimenter, Témoigner, Explorer, Tracer, Saturer et Remplir/Vider. Sur deux étages, on découvre près de deux cent toiles, des sculptures, des photos, des vidéos...
Les premières peintures expliquent clairement le titre de l’expo : les traces de mains sur “The third hand” de Hans Hofmann ressemblent à celles de Lascaux alors que les français Bissière et Dubuffet peignent des Vénus semblables aux divinités du paléolithique. Alors que certains peintres, traumatisés par la guerre, tentent d’exorciser leurs cauchemars. L’américain Franck Lobdell, peind de grandes traces noires, une traduction directe des marques de doigts qu’il avait vues dans une grange incendiée remplie de cadavres. Des toiles dures, sombres, mais bouleversantes. Et qui précèdent des chefs d’oeuvres. Comme ces grands formats de Rothko, de saisissantes superpositions de larges bandes de couleur. Noir, jaune, verte, orangé... superbe. Face au maître américain, un autre monstre sacré : Jackson Pollock. Ses toiles aux coulures de peintures qui s’entrecroisent, laissent imaginer le chaos. Mais un chaos maîtrisé.
Si certaines œuvres ont un côté naïf ou enfantin “Il s'agit aussi de peindre "comme si la peinture n'était pas seulement morte, mais n'avait jamais existé”, selon une formule du peintre américain Barnett Newman" explique Sylvie Ramond, commissaire de l'exposition et directrice du musée.
A l’étage, les chocs sont aussi nombreux. Avec par exemple le splendide “Grand orgasme” de Wols ou la peinture automatique du canadien Jean-Paul Riopelle. Si la pesante muséographie ne favorise pas vraiment l’expo avec ces murs gris et des œuvres qui semblent trop souvent enfermées dans leur cadre, les deux dernières salles justifient à elles-seules le prix du billet d’entrée. Avec notamment les peintures sur verre de Soulages ou les extraordinaires encres sur papier de Barnett Newman, dont “The void”, c’est à dire “Le vide”, qui donne l’affiche de l’expo.
Une expo qui regroupe des artistes de toute l’Europe mais aussi d’Amérique du nord. Et il est étonnant de constater que les peintres de tout ces pays réalisent des œuvres qui se ressemblent. Des toiles qui sont totalement en phase avec cette période d’après guerre où le monde ne s’est pas encore tout à a fait séparé en deux blocs. S’il y a quelques inconnus, “on a voulu prendre les meilleurs tableaux des peintres présentés” explique l’universitaire Eric de Chassey.
Cela donne une expo difficile, à l’ambiance parfois lourde et qui n’est pas vraiment un antidote à la morosité actuelle. Mais qui montre que même après les plus grandes crises mondiales, tout repart. Même de zéro. Bref, une expo essentielle, surtout aujourd’hui.
“1945-1949, Repartir à zéro”, jusqu’au 2 février au Musée des Beaux-Arts. Tarifs : 6 ou 8 euros. Renseignements : 04 72 10 17 40 ou www.mba-lyon.fr
Laurent Sévenier
l.sevenier@lyonmag.com