Puis, une fois la décision prise, ce fut un travail de recherche de deux ans pour réunir les 200 œuvres de l’artiste auquel le musée rend hommage ce vendredi 22 septembre à 18h30, puis jusqu’au 8 janvier. Malgré ce temps long de la préparation on sent encore une ombre d’hésitation dans l’exposé que fait la directrice du musée pour expliquer son choix des œuvres: "A la fin de l’exposition on ne sort pas de l’exposition : on est obligé de la retraverser de la fin au début pour en sortir. J’espère que cela va permettre au public de mieux comprendre l’enchaînement des cycles qui rythme la vie de cet artiste qu’était Fred Deux".
A deux minuscules exceptions près, les œuvres sont présentées chronologiquement, de la fin des années 40 au début des années 2010. Elles témoignent de la puissance artistique incroyable de Fred Deux, d’une vie passée à dessiner, morceau par morceau, pour compléter des dessins mesurant parfois plusieurs mètres. C’est une exposition qui montre les obsessions d’un artiste qui commence son existence dans une cave parisienne où vivent ses parents ouvriers, trop près de la Seine pour ne pas voir l’eau et les rats s’infiltrer quand le fleuve déborde. Une enfance très dure ponctuée de coups du sort comme lors du suicide de cet oncle adoré qui vivait dans le même immeuble, dans une chambre de bonne, et dont la mort traumatise le jeune Fred Deux. Toute sa vie l’enfant devenu dessinateur par le miracle de la découverte d’un livre de Paul Klee, cherchera à traverser les murs qui ont enfermé son enfance.
Cela donnera une vie entière à dessiner des corps, des os, des sexes, des lignes et des tâches, et surtout des monstres noirâtres, pour ne pas se laisser entraîner par ceux qui peuplent parfois son esprit. Une vie passée à dessiner, même pendant les années où la douleur psychique se fait plus forte, pour en faire un moteur de créativité et pour ne pas se laisser emporter par la dépression. La série des "otages" évoque ainsi les heures sombres de l’occupation allemande et témoigne de cet effort pour mettre à distance les horreurs qui l’entourent. Comme pour le Massacre des Innocents (Pour Mémoire. Les Remz) dessiné en 1986, qui évoque la disparition, dans les camps nazis, de la famille de sa seconde femme, Cécile Reims, graveur et compagne d’une vie entière de création.
L’exposition suit les étapes (qui ne sont pas toutes aussi sombres) d’une vie entièrement tournée vers l’exploration hyper prolifique par un artiste qui ne cesse de remettre sur le papier les tentatives offertes par la ligne et de la tâche. Les salles s’enchainent, souvent terribles et sombres. Puis vient la dernière, au fond d’une aile du musée, qui rassemble les toutes dernières œuvres des années 2010. Tout change au dernier moment, la couleur rime enfin avec douceur, sous les mains devenues raides de l’artiste réconcilié avec sa vie, à l’image du si tranquille "Souvenir de l’oncle", magnifique adieux final à cet oncle adoré qu’il avait fallu voir mourir. Selon le souhait de Sylvie Ramond, le spectateur peut alors retraverser entièrement l’exposition, comme on regarde un film qui fait un peu peur mais dont on sait qu’il finira bien.