Pourquoi ce livre sur Abd el-Kader ?
Christian Delorme : Parce que c’est un personnage qui me touche depuis longtemps. Pour la plupart des gens, aussi bien en France qu’en Algérie, l’émir Abd el-Kader est d’abord l’homme qui a dirigé la résistance algérienne au cours de l’invasion française dans les années 1830. Mais pour les Algériens, l’émir est aussi le fondateur de l’Etat algérien moderne. Car pendant cette résistance, il va créer une armée, une administration, une monnaie... C’est donc le père de la nation algérienne.
Mais c’était d’abord un chef de guerre ?
Le terme est un peu fort. Comme Jean Moulin ou de Gaulle, l’émir est plutôt une figure de la résistance. Mais il va être obligé de se rendre car l’armée française est beaucoup trop puissante. En plus, Abd el-Kader va être trahi par la plupart des tribus qu’il pensait fédérer. Il ne pouvait donc pas gagner... Il va alors entamer la deuxième partie de sa vie, la plus importante pour moi : celle d’un homme d’études et de prières.
Un résistant qui devient religieux, c’est contradictoire !
Non, car il est issu de la noblesse religieuse. Sa famille descend même du prophète Mahomet par sa fille Fatima. Mais il va devoir, malgré lui, jouer un rôle militaire face à l’absence d’une noblesse d’épée en Algérie. Du coup, après s’être rendu, il va reprendre ses études et devenir un grand savant religieux et un mystique. Il ne va d’ailleurs plus s’occuper de l’Algérie. Quand il passe à Lyon les 12 et 13 décembre 1852, il remercie même les autorités françaises alors qu’au même moment, l’armée française vient de massacrer la population de la ville de Laghouat.
Pourquoi ce passage à Lyon ?
En fait, lorsque Abd el-Kader se rend, les Français l’autorisent à s’exiler au Proche-Orient. Mais la monarchie de Juillet est alors renversée et la 2e République proclamée. Du coup, l’émir est emprisonné en France. Ce n’est qu’en octobre 1852, cinq ans plus tard, qu’il est libéré par le premier président de la République française : Louis Napoléon Bonaparte qui deviendra l’empereur Napoléon III le 2 décembre au cours d’une cérémonie à laquelle assiste Abd el-Kader. Et c’est sur le chemin de son exil en passant par Marseille qu’il va traverser Lyon. Une ville où il n’avait pas l’intention de s’arrêter.
Alors pourquoi il s’arrête à Lyon ?
C’est le maréchal de Castellane, le gouverneur de Lyon à cette époque, qui l’invite à assister à une parade militaire. Un haut gradé qui admire Abd el-Kader qu’il considère comme un chef de guerre loyal. Du coup, l’émir va passer une journée à Lyon. Et, par hasard, c’est ce jour-là, le dimanche 12 décembre 1852, qu’ont lieu les festivités officielles pour inaugurer la statue de la Vierge dorée qui vient d’être installée au sommet de la basilique de Fourvière.
Comment réagit l’émir ?
Les journaux de l’époque expliquent qu’il s’est promené en calèche dans les quartiers de Lyon et qu’il a été émerveillé par cette ville illuminée en l’honneur de Marie. Une fête religieuse qui l’aurait marqué puisqu’il aurait lancé au moment de son départ : “C’est aux prières de son clergé que la France devra son salut.”
24 heures à Lyon, c’est court pour en faire un livre !
Jean-Paul II a passé encore moins de temps à Lyon et on a bien écrit des livres sur cette visite ! Mais surtout, j’avais envie d’écrire sur la figure d’Abd el-Kader qui me touche depuis longtemps. Car il a combattu la France avant d’en devenir un grand ami. Mais surtout Abd el-Kader est le précurseur musulman du dialogue interreligieux. Il considérait en effet que les chrétiens et les juifs devaient être respectés. En Algérie comme en France il était d’ailleurs en contact avec des évêques. Il a ensuite accueilli chez lui et protégé de nombreux chrétiens maronites qui allaient se faire massacrer à Damas en 1860. Ce qui lui vaudra une reconnaissance internationale.
L’héritage d’Abd el-Kader aujourd’hui ?
C’est une figure de référence dont nous avons besoin aujourd’hui, surtout entre la France et l’Algérie. Deux pays marqués par une histoire et un destin communs mais dont les relations sont faites d’amour et de haine. C’est d’ailleurs aussi pour ça qu’il était important qu’une place Emir Abd el-Kader soit inaugurée à Lyon. Ce qui vient d’être fait dans le quartier de la Guillotière. En effet, il faut rappeler que près de 10 % de la population de l’agglomération a des racines algériennes.
Une immigration qui a été lancée par ce passage d’Abd el-Kader ?
Non, mais Abd el-Kader a été le premier Algérien à laisser une trace à Lyon. Avant lui, des colporteurs kabyles sont sans doute venus vendre des bijoux, des tapis, à partir des années 1830. Et après lui, des soldats algériens sont passés, dont certains ont été convertis au christianisme. L’un d’eux est même devenu le filleul de l’industriel François Gillet ! Mais c’est surtout au début du XXe siècle que l’immigration algérienne va débuter à Lyon.
Il y a des héritiers d’Abd el-Kader ?
Je n’en suis pas sûr. Depuis le début du XXe siècle, le monde arabe a du mal à laisser émerger des grandes figures spirituelles et humanistes. Mais, heureusement, aujourd’hui en Algérie et en France, on s’intéresse à Abd el-Kader et à ses écrits. C’est donc un personnage d’avenir.
Propos recueillis par Laurent Sévenier
“L’émir Abd el-Kader à Lyon” de Christian Delorme. 94 pages, Ed. Mémoire active. 20 euros.
Jeudi 6 Novembre 2008 à 10h10
Histoire : Abd el-Kader, le premier Algérien à Lyon
Le Lyonnais Christian Delorme vient de publier un livre sur l’émir Abd el-Kader, fondateur de l’Etat algérien qui est passé à Lyon au cours de la première fête des Lumières en 1852.
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